À qui profite le business du cancer du sein ?

Christine Tréguier  • 11 octobre 2012
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L’UFC Que choisir s’est calée sur le lancement d’Octobre rose, la campagne de dépistage du cancer du sein du ministère de la Santé, pour en dévoiler les épines. Depuis dix ans, en effet, de nombreuses études indépendantes contestent les bénéfices avancés (30 % de cancers dépistés et soignés), et en février 2012 même la Haute Autorité de la Santé (HAS) a admis la nécessité d’une remise à plat des données scientifiques. Quelle importance, direz-vous, si on sauve des vies et si cela économise l’argent de la Sécu, un dépistage coûtant moins cher qu’un traitement ? (300 000 millions d’euros en 2010 quand même, et dans 30 % des cas, un traitement en sus.)

Pour l’UFC, l’information accompagnant l’injonction de dépistage est erronée et ne permet pas une décision éclairée. On fait miroiter les vies sauvées aux femmes-cibles pour qu’elles aillent faire la mammographie salvatrice. Elles ignorent que les Danois de la Collaboration Cochrane – organisation internationale, indépendante qui apporte des informations sur l’efficacité des interventions dans le domaine de la santé – l’estiment fiable à 15 % et non 30. « On est dans le marketing sanitaire » , la « propagande jouant sur la corde sensible » , dénonce Alain Bazot, président de l’UFC. Plus grave, il existe un risque de surtraitement : on panique les patientes au risque de faire proliférer les cellules malades, on les passe à la chimio ou aux rayons, voire on ablationne un sein par mesure de précaution pour des cancers qui ne se seraient jamais développés. La Collaboration Cochrane estime là encore que 10 % des 30 % de cancers détectés sont surtraités. Mais motus, pour le politique, qui croit sans doute bien faire, il ne faut pas remettre en cause l’efficacité du dépistage ni sa volonté d’agir.

Tout aussi grave : les médecins traitants sont eux aussi mal informés et… intéressés aux résultats (245 euros/an si 80 % de leurs patientes concernées participent) par la Sécu elle-même. C’est peu, mais cette logique de l’intéressement est problématique, explique Mathieu Escot, responsable de la mission Santé de l’UFC. « Un, ça biaise la relation de confiance entre médecin et patiente ; deux, c’est généralisé sans évaluation réelle à de multiples critères pour rapporter jusqu’à 9 000 euros/an. Nous demandons le retrait de ce critère. »

Il ne s’agit pas de dénigrer le dépistage, souligne Alain Bazot, mais de rétablir la vérité des avantages et des inconvénients. En Angleterre, par exemple, le gouvernement, alerté par le mouvement d’objectivation de l’information, a chargé, à l’automne 2011, une commission d’experts indépendants de passer en revue la littérature et les données. Un groupe de travail doit parallèlement redéfinir l’information à diffuser. En France, l’UFC a demandé à Marisol Touraine de faire de même. Mais, confesse Bazot, comme avec les ministres précédents, « c’est silence radio, et en dépit de l’avis de la HAS, on ne nous retourne aucun contre-argument » . Lors de sa propre conférence de presse, la ministre, interrogée sur l’étude de l’UFC, a affirmé que l’information avait déjà été objectivée (un peu, admet l’UFC), et elle a évoqué les études en cours de l’Institut national du cancer (INCa) sur le surdiagnostique et le surtraitement. Lequel promet de communiquer certains résultats (sur le surdiagnostique) début 2013.

Une question demeure : pourquoi ce « silence radio » ? Manque de circulation d’infos au sein des organismes de santé ? Conception idéologique du dépistage ? Volonté de collecter massivement des dons, à l’instar du Canada ou des États-Unis (voir le documentaire de Léa Pool), et d’alimenter l’INCa ou la Fondation médicale pour la recherche sans taper dans les fonds publics ? Lobbying des fabricants de mammographes qui verraient d’un mauvais œil que la machine à cash du dépistage rapporte moins ? Affaire à creuser…

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