Emploi : Montebourg embellit son bilan

Alors que le chômage a battu un record en février, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, gonfle le chiffre des emplois sauvés par son ministère, sans doute pour apparaître plus efficace. Décryptage d’un coup médiatique.

Thierry Brun  • 9 avril 2013
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Emploi : Montebourg embellit son bilan
Photo : AFP

Certain y verront un mauvais procès instruit contre le dynamique ministre du Redressement productif, qui fustige à tour de bras la « dérive » du système financier. Mais Arnaud Montebourg s’est lancé récemment dans un exercice risqué, qui consiste à présenter le bilan de son action. Confronté à la déception des syndicats à l’occasion de plusieurs plans sociaux phares, le ministre a enjolivé ce bilan : « Depuis mon arrivée, nous avons sauvé 59 961 emplois sur 70 909 postes menacés » , se réjouit le ministre du Redressement productif lors d’un entretien accordé au Journal du Dimanche , le 16 mars.

Arnaud Montebourg a sans doute réussi son coup : convaincre de l’efficacité de son action en présentant des chiffres sérieux, à l’unité près, et spectaculaires par l’ampleur du sauvetage. Près de 60 000 emplois sauvés du marasme économique créé par l’austérité budgétaire, sur 71 000 menacés, relève de l’exploit en période crise. Il aurait dû surprendre. Cette information a cependant circulé sans être vérifiée, sans le moindre commentaire, par le biais d’une dépêche de l’AFP. Reprise dans son intégralité, l’annonce du ministre a été publiée sans réserve sur les sites Internet des grands médias, et sous la forme d’une brève dans les pages des quotidiens.

Difficile donc de mettre en cause un ministre volontariste, qui a accompagné ces chiffres de tonitruantes déclarations : « On m’a reproché de faire le pompier. Mais il y a nécessité à préserver l’appareil industriel et notre savoir-faire technologique. Auparavant, personne ne l’avait jamais fait » . Et d’affirmer : « On renforce tous nos points forts et on unifie les forces par filières autour de projets d’avenir. J’appelle cela le colbertisme participatif » . Le pragmatique Arnaud Montebourg peut aussi multiplier ses interventions pour défendre le « made in France », clamer qu’il a un ministère « avec une obligation de résultats » , et lancer un vibrant plaidoyer pour les accords dits de « sécurisation » de l’emploi (l’ANI).

La réalité est cependant cruelle : le 13 mars, l’Insee a publié des estimations sur l’emploi qui ont quelque peu atténué le redressement reproductif : 99 500 postes ont été détruits en 2012, annonce brutalement l’organisme statistique. Ce chiffre a dépassé de loin des estimations provisoires, avoue l’Insee, qui tablaient sur un total de 66 800 emplois détruits en 2012.

A côté, les 60 000 emplois sauvés font pâle figure , d’autant que le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi a battu un nouveau record, selon la note statistique du ministère du Travail récemment rendu publique le 26 mars. 5,7 millions de personnes étaient inscrites à Pôle emploi en février, de quoi s’interroger sur les effets des politiques économiques et sociales menées par le gouvernement. Et sur les chiffres présentés par Arnaud Montebourg.

Le 15 mars est publié sans bruit le rapport annuel 2012 des commissaires au redressement productif, nommé depuis le 1er juillet de la même année. On ne trouvera pas dans ce document la confirmation des 60 000 emplois sauvés mis en avant par Arnaud Montebourg. Le bilan au 31 décembre 2012 fait état de 48 116 emplois « préservés » sur un total de 59 308 emplois « concernés pour l’ensemble du dispositif de défense et de promotion de l’activité industrielle sur notre territoire » . En clair, 368 dossiers ont été traités « avec succès » par les commissaires, indique le rapport.

Combien de dossiers ont été enregistrés ? Combien d’emplois à sauver représentent-ils ? Les commissaires au redressement productif ont déclaré avoir reçu 2 211 dossiers. Ce qui révèle une autre réalité : l’ampleur des difficultés rencontrées par l’activité industrielle fait qu’une grande majorité de dossiers n’a pas (encore) été traité dans les 22 régions concernées. Surtout, les 2 211 dossiers concernent 261 398 emplois, si l’on cumule les chiffres régionaux comptabilisés par les commissaires.

Autrement dit, le ministre du Redressement productif a trompé son monde à deux reprises. Il n’y a eu que 48 116 emplois préservés (et non 60 000). Ces emplois sauvés doivent être comparé au total de 261 398 emplois menacés enregistrés par les commissaires au redressement productif. Ce qui relativise considérablement l’exploit du ministre. Mais seuls les dupes seront surpris.

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