« Jeune et jolie » de François Ozon ; « The Bring Ring » de Sofia Coppola ; « Wajma » de Barmak Akram

Christophe Kantcheff  • 17 mai 2013
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« Jeune et jolie » de François Ozon ; « The Bring Ring » de Sofia Coppola ; « Wajma » de Barmak Akram

Quatre films présentés aujourd’hui parlent de la jeunesse. Une tendance du festival qui déjà se dessine ? C’est bien possible. « La » jeunesse, ou plus justement « les » jeunesses, tant les catégorisations sont toujours fausses, et aussi parce que celles qui sont montrées ici viennent d’endroits très divers : du Mexique, avec Heli , d’Amat Escalante (en compétition), de France, avec Jeune et jolie , de François Ozon (en compétition), des Etats-Unis, avec The Bling ring , de Sofia Coppola (film d’ouverture d’Un certain regard), et enfin d’Afghanistan, avec Wajma , de Barmak Akram (Acid). Ce qui différencie aussi ces jeunesses, ce sont les milieux sociaux auxquels elles appartiennent: pauvres dans les films mexicains et afghans, classe moyenne dans les films français et états-unien.

Reste le point de vue qui, au cinéma, au-delà de tout autre considération, oriente l’architecture d’un film et le sens qu’il prend. À cette aune, le plus convaincant et le plus riche de ces quatre films est celui de Barmak Akram.

Je passe rapidement sur Heli . Amat Escalante a des équations simples dans la tête. De très jeunes mexicains sont capables d’une violence extrême = filmons une longue séquence de torture pour montrer que cela existe. Comment expliquer cette violence = ajoutons dans la pièce où se déroule la séance de torture un jeu vidéo violent pour bien souligner le lien de cause à effet… On l’aura compris, Heli n’aura pas ma palme du film le plus futé de l’année.

Illustration - « Jeune et jolie » de François Ozon ; « The Bring Ring » de Sofia Coppola ; « Wajma » de Barmak Akram

François Ozon, quant à lui, met en scène les tourments ordinaires d’une adolescente de 17 ans, la splendide Isabelle (Marine Vacth). Mais, moins classique, les interrogations et les émois qui l’assaillent l’amènent à se prostituer, sans que personne ne le sache, surtout pas ses parents. Ozon cite Rimbaud ( « On n’est pas sérieux quand etc… » ) et Françoise Hardy. Avec un tel sujet, Ozon aurait pu faire un film illuminé. Il a préféré verser dans le petit confort yéyé : « Tous les garçons et les filles de mon âge etc… » .

Jeune et jolie a le poli et le savoir-faire des films de la qualité française. On est là pourtant au-dessus des basses eaux de Ricky ou de Swimming pool . Manifestement, François Ozon aime à filmer sa jeune actrice, autant qu’il a du plaisir (et le spectateur le ressent) à retrouver Charlotte Rampling, dans un petit rôle qui a son importance.

Mais ce côté propre sur lui n’est pas sans conséquence sur ce que véhicule Jeune et jolie . Isabelle, que le dépucelage sur une plage au cours de vacances d’été a laissé indifférente, semble redouter plus que jamais de tomber dans le schéma attendu du « bonheur » petit bourgeois, sa routine et ses hypocrisies. Quelle échappatoire trouve-t-elle ? La prostitution cool , c’est-à-dire agréable et bien payée (même si la question financière n’est pas une motivation).

En réalité, cette perversité sur papier glacé ne dérange personne. Ni les clients : la plupart, satisfaits, lâchent de gros billets. Ni Isabelle : qui ressort de cette expérience quasi indemne, sinon munie désormais d’un petit lot de conseils sexuels pour ses copines ou ses amants défaillants. Cette expérience serait-elle si anodine ? Ni, enfin, le spectateur, qui aura finalement assisté aux ébats d’une très jolie jeune fille avec des messieurs d’un certain âge, c’est-à-dire à rien de très nouveau au niveau du fantasme rance…

Illustration - « Jeune et jolie » de François Ozon ; « The Bring Ring » de Sofia Coppola ; « Wajma » de Barmak Akram

Dans le film de Sofia Coppola, une bande d’adolescents, attirés par tout ce qui brille, les robes, les chaussures et autres objets de marque, dévalisent les maisons des tops mannequins quand celles-ci s’absentent. Ils font la fête en permanence, dans des soirées ou des boîtes où ils consomment alcool et drogues, tandis que leurs parents semblent avoir totalement désertés leur rôle ou s’être réfugiés dans des croyances leur faisant perdre toute vigilance.

Ces jeunes s’échappent dans la superficialité – comme dans un roman de Brest Easton Ellis –, et développent une véritable addiction du vol de luxe, qui transforme leur vie, et les fait entrer, au propre comme au figuré, dans l’univers des people . D’où une certaine répétition des scènes, qui peut sans doute lasser mais qui a sa nécessité.

Quand enfin ils se font prendre, le film acquiert une dimension critique vis-à-vis de cette société américaine qui allie hypocrisie et hyper-individualisme, et dont ces gosses sont en même temps les emblèmes et les victimes – une dimension qui existait déjà dans Marie-Antoinette bien qu’insuffisamment remarquée. Cette charge critique est d’autant plus cruelle qu’elle s’exprime aux dépens de ses personnages, mais donne tout le suc de The Bling Ring .

Illustration - « Jeune et jolie » de François Ozon ; « The Bring Ring » de Sofia Coppola ; « Wajma » de Barmak Akram

Wajma , pour finir, . On a beaucoup à redouter des films qui prennent la cause des femmes en pays musulmans avec la volonté de plaire avant tout au public occidental. Ce n’est pas le cas de Wajma , réalisé par le cinéaste Afghan Barmak Akram, formé aux Beaux-Arts et à la Fémis. Le film, qui ouvre la programmation de l’Acid, a cette énorme qualité de ne pas juger ses personnages, en particulier masculins. Non que le film ne développe un point de vue : il est résolument aux côtés de Wajma (Wajma Bahar), enceinte de son amoureux clandestin qui refuse dès lors de l’épouser, et rejetée, battue par son père. Mais, précisément, la caméra est « aux côtés de », jamais en surplomb.

Dans la première partie du film, on suit la manière dont Wajma et Mustafa flirtent à l’abri des regards. Les deux jeunes gens jouent avec les interdits, alors qu’eux-mêmes ont des gestes de tendresse furtifs, balbutiants. Ils s’arrangent pour se retrouver secrètement dans un appartement. Là, le garçon paraît un peu plus entreprenant. Mais leurs étreintes restent réservées. L’une des belles qualités de ce film est de faire sentir avec justesse ce qui les traverse : à la fois l’élan vers l’autre et la pesanteur de l’interdit.

Ils vont toutefois transgresser celui-ci. La scène d’amour n’est pas montrée, mais le moment qui suit, quand Wajma demande à voix haute s’ils auraient dû faire ce qu’ils viennent de faire. Les conséquences en seront plus graves pour elle que pour lui.

L’intelligence de Barmak Akram est d’avoir conçu Wajma comme un film avec de jeunes Afghans, tout aussi « modernes » que leurs homologues iraniens, et non pas sur la condition de la femme dans ce pays. Le cinéaste filme simplement et avec sensibilité ce couple en proie à des désirs, porté par des espoirs. Mais Wajma et Mustapha ont à faire avec une société aux représentations contraignantes, qui permet aux hommes de s’en abstraire alors que les femmes ne peuvent y contrevenir.

La dernière scène, déchirante, est aussi à mettre au crédit du film : elle « sauve » peu ou prou le personnage du père de Wajma, dont la conscience soudain déborde le rôle de tyran qui s’était imposé à lui. Wajma est décidément un beau film sur la responsabilité individuelle.

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