« Only God Forgives » de Nicolas Winding Refn ; « Grisgris » de Mahamat-Saleh Haroun

Christophe Kantcheff  • 23 mai 2013
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« Only God Forgives » de Nicolas Winding Refn ; « Grisgris » de Mahamat-Saleh Haroun

Pour ceux qui n’ont pas suivi la polémique, sur Tweeter notamment, sachez que François Ozon, réalisateur de Jeune et jolie , a déclaré il y a quelques jours au Hollywood reporter, un magazine professionnel états-unien : « je pense que les femmes peuvent facilement se connecter avec cette fille [le personnage de son film] car c’est un fantasme de beaucoup de femmes de se prostituer. » Des propos qui sont en phase avec le machisme latent de son film (pas absent de ses précédents non plus). Et voici notre cinéaste, qui n’assume plus ses dires, tentant de se rattraper aux branches : « Propos maladroits et mal compris. Évidemment je ne voulais pas parler des femmes en général, juste des personnages de mon film » , a-t-il déclaré sur son compte Twitter. Bien sûr…

Only God Forgives

Illustration - « Only God Forgives » de Nicolas Winding Refn ; « Grisgris » de Mahamat-Saleh Haroun

Il est venu pour en découdre. Parce que la rumeur qui le précédait, du moins en France, était exécrable, Only God Forgives , de Nicolas Winding Refn, présenté en compétition (et en salles depuis ce mercredi), avait fort à faire. Au sortir de la projection de 8h30, des sifflements et des « What a shit ! » se faisaient entendre. Match apparemment perdu, donc.

Ce qui est finalement raccord avec la personnalité de Julian, le « personnage principal » (je mets des guillemets, car il n’est pas vraiment un personnage, ni vraiment central, j’y viens) interprété par Ryan Gosling, dont la caractéristique est d’être faible. Non pas lâche, mais pas dominateur. L’explication : il a toujours été préféré par sa mère à son frère aîné, tué dès les premières minutes du film pour avoir voulu accomplir « une descente aux enfers », selon ses propres mots – c’est-à-dire violer et assassiner une fille.

L’action se passe à Bangkok. Julian, qui a fui les Etats-Unis, dirige un club de boxe thaï, vitrine du trafic de drogue qu’il organise. Après la mort de son frère, sa mère (Kristin Scott Thomas), chef d’une vaste organisation criminelle, débarque pour venger son fils. Tandis que se dresse face à eux un flic redresseur de torts, Chang (Vithaya Pansringarm), une sorte de chevalier blanc de la justice (divine ?) aux mains recouvertes de sang.

Illustration - « Only God Forgives » de Nicolas Winding Refn ; « Grisgris » de Mahamat-Saleh Haroun

Only God Forgives , ultra-violent et méga-stylisé, est un film qui demande d’y croire. Ses images sont des icônes. Elles sont religieuses bien que désacralisées, parce que nourries de la mythologie de certains genres (les films d’arts martiaux en particulier) – et d’un cinéma américain plus contemporain (Lynch, Tarantino) –, parce que sans une certaine fascination de la part du spectateur elles restent lettre morte, et on en vient vite à dénoncer un summum de vacuité.

Personnellement, après 20 minutes où j’ai flotté, je me suis retrouvé sous le charme vénéneux d’ Only God Forgives – il m’est arrivé exactement le contraire avec Drive , le film précédent de Nicolas Winding Refn, en compétition il y a deux ans à Cannes, dont le début m’avait semblé melvillien avant que le film ne sombre dans la vaine violence réaliste.

Ici, la tonalité est rouge, l’atmosphère moite, le rythme hiératique, la musique planante et itérative. Julian et Chang sont des figures impénétrables, quasi silencieuses (même si Chang aime se produire sur une scène de karaoké devant ses subalternes). Seule la mère de Julian a une réelle existence en tant que personnage. C’est l’héroïne œdipienne de cette tragédie grecque, celle qui entretenait une relation qu’on devine incestueuse avec son enfant mort, et qui n’a de cesse d’humilier Julian, justement parce qu’il lui survit. Dans ce contre-emploi, Kristin Scott Thomas est bluffante. Julian provient de ses entrailles et c’est là qu’il plonge la main une fois sa mère terrassée. Only God Forgives (Seul Dieu pardonne), mais Dieu est mort. Pas sûr qu’il faille développer une emphase métaphysique à propos de ce film. Reste qu’on y trouve des tableaux de maître.

Grisgris

Illustration - « Only God Forgives » de Nicolas Winding Refn ; « Grisgris » de Mahamat-Saleh Haroun

Grigris , film en compétition de Mahamat-Saleh Haroun, le seul d’Afrique subsaharienne (Tchad) de tout le festival, raconte l’histoire d’un boiteux – Grigris (Souleymane Démé) – qui se transforme en sublime danseur dans les boites de nuit ; et de son amoureuse, Mimi (Anaïs Monory) une jolie prostituée. Le premier ne parvient pas à trouver un travail suffisamment rémunérateur pour payer l’hôpital à son beau-père malade, la seconde voudrait sortir de sa condition. Deux personnages à la marge de la société, qui se montrent obstinés pour ne pas en être totalement exclus. Le film, nocturne et fluide, porte la lumière du refus d’un destin imposé, où les femmes, au moment decisif, jouent de toutes leurs capacités de résistance au malheur.

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