Marché transatlantique UE-Etats-Unis : le mandat secret de la Commission européenne

Le 8 juillet, à Washington, s’ouvrira le premier cycle de négociations pour un accord de libre échange entre les États-Unis et l’Union européenne (en anglais Transatlantic Trade and investment Partnership, TTIP). Or, la Commission européenne ne veut pas rendre public le contenu de son mandat. Ouvrons ce débat avec une récente version de ce mandat, que nous publions ici.

Thierry Brun  • 20 juin 2013
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Le premier cycle de négociations pour un accord de libre échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne débutera le 8 Juillet à Washington, a déclaré la Maison Blanche dans une note d’information.

Ces négociations pour un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement  (Transatlantic Trade investment Partnership, TTIP) sont considérées comme une priorité pour l’administration Obama. Le 17 juin, au cours du G8 qui s’est tenu en Irlande du Nord, le Premier ministre britannique David Cameron a souhaité qu les négociations mènent au « plus grand accord bilatéral commercial dans l’histoire » .

Ces négociations ont été rendues possible par l’adoption d’un mandat de la Commission européenne, à l’unanimité, le 14 juin, lors d’un conseil des ministres européens du Commerce.

Voici des extraits en français concernant la « diversité culturelle » et les « services audiovisuels », mais il y a bien d’autres aspects du mandat qui sont explosifs (voir ici)

Dans cet extrait il est indiqué que l’audiovisuel n’est pas exclu de la négociation, avec certes des réserves. Le mandat évoque aussi les questions de « diversité culturelle », en aucun cas il n’est question d’exception culturelle :

21. Compte tenu de la sensibilité du secteur audiovisuel de l’UE, les négociations concernant les services audiovisuels doivent être effectués selon les paramètres suivants: (i) les mécanismes existants au niveau de l’Union européenne ou des États membres pour la promotion de la diversité culturelle européenne ne sont pas affectés, (ii) toutes les formes de subventions à l’audiovisuel sont exclues de tout engagement, (iii) dans le but de préserver et de développer leur diversité culturelle, l’UE et les États membres garderont également la capacité d’adaptation de leur législation à l’environnement numérique.

Il est important de souligner l’existence du paragraphe 9, entièrement remanié au fil des versions qui ont fuité ces dernières semaines. En effet, il n’est nullement question d’exception culturelle clairement revendiquée. Surtout, il n’interdit pas de négociation sur la diversité culturelle et l’audiovisuel :

9. « L’accord ne doit pas contenir des dispositions qui risquent de porter atteinte à l’Union ou à la diversité culturelle et linguistique de ses États membres, notamment dans le secteur audiovisuel ni limiter le maintien par les États membres des politiques et mesures existantes en faveur du secteur de l’audiovisuel compte tenu de son statut spécial au sein du droit de l’UE. L’accord n’aura aucune incidence sur la capacité de l’Union et de ses États membres à mettre en œuvre des politiques et des mesures pour tenir compte du développement de ce secteur dans l’environnement numérique. »

Mais le terme de « diversité culturelle » ne protège en rien les biens culturels : ce terme est issu de la convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle adoptée en 2005, laquelle n’a pas de caractère juridique contraignant.

La traduction en français de la version définitive du mandat de la Commission européenne est disponible sur le site contrelacour.over-blog.fr (lire ici).

Or la Commission européen dispose d’un mandat autorisant l’introduction d’un mécanisme d’arbitrage privé entre investisseurs et États, nommé « règlement des différends » (investor-to-state dispute settlement, ISDS), dans l’accord de libre échange (voir ici). Rien n’interdira une multinationale d’attaquer le secteur des services audiovisuels, si elle considère que des règlements sont des entraves au commerce.

Dans l’ensemble, le mandat de la Commission européenne s’inscrit dans les réglementations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : le démantèlement des normes (lois) provoquant des « distorsions » de concurrence doit faire l’objet de négociations.

Il s’agit donc de supprimer un certain nombre de droits :

Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce chargé des négociations et Ron Kirk, représentant américain au Commerce, ont « recommandé que l’objectif d’un tel accord soit d’obtenir un accès aux marchés qui va au-delà de ce que les États-Unis et l’Union européenne ont atteint dans les accords commerciaux précédents » .

Une partie importante d’un éventuel accord transatlantique porte « sur la capacité des États-Unis et l’UE à adopter des approches nouvelles et novatrices pour réduire l’impact négatif sur le commerce et l’investissement des barrières non tarifaires, avec pour objectif de créer progressivement un marché transatlantique plus intégré » .

Très important : « L’accord doit prévoir la libéralisation progressive et réciproque du commerce et de l’investissement en biens et services, ainsi que les règles sur ces questions liées au commerce et à l’investissement avec un accent particulier sur l’élimination des obstacles réglementaires inutiles. L’accord sera très ambitieux, allant au-delà des engagements actuels de l’OMC. Pour être équilibré et commercialement intéressant pour l’UE, l’accord devra inclure des engagements à tous les niveaux de gouvernement » .

Avertissement : les négociations ne s’arrêtent pas à la conclusion du seul accord de libre échange. Le mandat demande d’inclure un dispositif permettant de poursuivre les négociations sur les réglementations afin de lever les « derniers » obstacles existants et de prévenir les nouveaux obstacles en gestation.

Le Partenariat transtlantique de commerce et d’investissement n’est que le début d’un mouvement de dérégulation tous azimuts organisé hors d’un cadre démocratique. A rejeter.

Illustration - Marché transatlantique UE-Etats-Unis : le mandat secret de la Commission européenne

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