Vue imprenable …

… sur la folie du monde.

Bernard Langlois  • 12 novembre 2013
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Vous êtes quelques-uns à avoir trouvé la devinette littéraire que je vous proposais pour ce « pont » du 11 Novembre (voir  » Je crois … « ), il s’agit bien de Denis Robert, le  » tombeur  » de Clearstream.

Ou plutôt, celui que Clearstream (remis sur pieds), malgré tout ses moyens, ses avocats (dont le copain de Val, avocat de Charlie contre Siné, et signataire du « manifeste des 343 salauds » — le qualificatif lui va bien, je trouve —), ses pressions et menaces, n’aura pas réussi à faire plier : Denis a définitivement gagné la kyrielle de procès que lui avait intenté la multinationale pour lui clouer le bec.

C’est dire que je tiens le gars en haute estime.


Illustration - Vue imprenable …


(photo La Croix)

Il vient donc de sortir un énième ouvrage qui quitte les méandres de la finance (vous savez, la finance ? L’ennemi intime de François Hollande …) pour suivre ceux de la Moselle — dont le département qui porte le nom est son douar d’origine.

En fait, on ne sort pas vraiment du sujet : car si Vue imprenable … [^2] n’a rien de l’austérité (nécessaire) aux précédentes démonstrations de l’enquêteur en apnée dans les coffres virtuels, ordinateurs, listings et autres conseils d’administration bancaires ; s’il se présente au contraire comme une sorte de road movie plein de charme, de tendresse et d’humour qui aurait pu s’appeler « en passant par la Lorraine » (l’auteur s’y promène de ville en campagne en compagnie de son fiston Woody — hommage au célèbre pic vert, on suppose, ou si c’est au grand Allen ? —) ; si l’on sent, dans les portraits des hommes croisés et les tableaux des paysages traversés, l’indécrottable attachement qu’il porte à son pays natal et ses collines inspirées (« Mais ou voulez-vous, M. Barrès, que je m’enracine ? ») : c’est tout de même et encore les irrattrapables dommages causés par cette même finance (sa domination glacée, son appétit sans fin, son esprit de lucre obscène …) à la vie de toute une province jadis travailleuse et prospère, ses hommes et ses femmes, frappés jusque dans leurs cœurs d’acier …

Pauvre Lorraine, où de sidérurgistes on a osé faire des Schtroumpfs, puis de ceux-ci des chômeurs.

Extrait : « La Lorraine est une des régions les plus massacrées par le capitalisme financier, sa capacité d’infiltration et de désintégration du tissu humain. Elle est à l’épicentre de la crise industrielle. Il y a en Lorraine des blessures dans le sol et dans le cœur des hommes, des paysages et des populations sacrifiées. »

(…)

« C’est la France qui a morflé, déprimé, mais qui finit par vivre sans se préoccuper des discours et des promesses politiques, une France groggy de mauvais coups, cherchant sans arrêt à se relever et à avancer. »

(…)

« Des restaurants ferment par manque de clients capables de lâcher 8,90 euros pour un steak, quelques frites et un quart de rouge. D’autres apparaissent, mais jamais pour longtemps. Par contre, les snacks et les kebabs fleurissent. » (…) « *Le nombre d’obèses grimpe au rythme de celui du Revenu de solidarité active. Les militaires se font la malle. On vient de fermer l’antenne médicale, le régiment d’artillerie, la base aérienne. Le centre de chirurgie cardiaque du nouvel hôpital est mal en point. Il vaut mieux ne pas être vieux et pauvre quand on a des problèmes de palpitant ici.


Illustration - Vue imprenable …

Photo (lexpansion.lexpress.fr)

Les cigognes qui migrent vers l’Alsace vont cette année pouvoir faire leurs nids sur les haut fourneaux de Florange.* »

Denis Robert n’est pas un type commode. Serait même un rien rugueux, s’il a pour ses copains de toujours de la fac de Metz toutes les indulgences. Sans doute pas facile à vivre pour sa famille, on subodore. Mais un père copain aimant et cool (un peu trop ?) pour un Woody qui le promène par le bout du nez …

Ici, c’est le lecteur qui se balade avec bonheur dans sa vieille Jaguar (frimeur, va !), une occase achetée pour une bouchée de pain dans les sous-sols du Répu , le quotidien du coin où il fit ses débuts.

Je vous incite très fort à vous asseoir à l’arrière avec ce chauffeur devenu sobre depuis qu’il n’a plus qu’un point au permis.

Vous ne serez pas déçus du voyage.

[^2]: Vue imprenable sur la folie du monde , Les Arènes, 282 p., 21 euros.

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Temps de lecture : 4 minutes
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