Travail, famille, foot

Patrick Piro  • 30 juin 2014
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Travail, famille, foot
capture d'écran du décisif match France-Ukraine (3-0, le 19-11-2013) pour la qualification à la Coupe du monde.

Illustration - Travail, famille, foot

La Coupe du monde de foot de 1998 , enlevée de belle manière par la France, avait ouvert un champ d’investigation insoupçonné aux psychologues de l’âme hexagonale : la réussite inattendue de l’équipe black-blanc-beur théâtralisait sur tapis vert l’intégration possible des populations « issues de l’immigration », et restée largement incantatoire sur d’autres terrain. Puis non. Dans les cités, les gamins rêvent un peu plus de gloire, mais il n’y a toujours que 11 élus sur la pelouse.

Depuis le mémorable France-Suisse (5-2) du 20 juin dernier, les Diafoirus du ballon rond ont découvert une nouvelle pharmacopée concoctée dans les effluves tropicales du Mundial brésilien : enthousiaste, cartonneuse, soudée, rapide (etc.), l’équipe de France serait le remède au déclin de notre belle nation. Pour un peu, les buts de Benzéma guériraient des écrouelles.
Ça a commencé timide, mais depuis la qualification pour les huitièmes de finale, les commentateurs osent le dire haut : la France fait partie des favoris pour le titre. Hier même, alors que les (autres) cadors peinent terriblement (Brésil, Pays-Bas… émotions à la tonne) en match éliminatoire devant des adversaires pas du tout consentant, LA France serait devenue LA favorite. Le regretté historien Jean Chesneaux brocardait ce syndrome franchouillard, celui de l’ex-empire devenu puissance moyenne, en perpétuelle nostalgie d’un statut rayonnant que l’étranger nous envie puisque « nous le valons bien ».

Cette aspiration spirituelle vers le haut , dont l’adversaire nigérian pourrait bien ce soir démontrer l’inanité (une fois de plus), s’habille d’un message de redressement moral chez TF1, chaîne patenté du foot sous redevance (pour quelques matchs seulement, il faut l’abonnement à BeIN Sport plus pour l’intégralité des retransmissions, mais c’est une autre histoire). Depuis avril, on y voit en boucle un spot innocemment intitulé « partageons des ondes positives ». Il prend désormais une dimension non plus seulement suggestive mais quasiment démonstrative avec la stature prêtée la bande à Deschamps. Que lit-on ? « Les français font la gueule ». Image : des amis se bidonnent dans un bistrot bien de chez nous. « Les Français sont feignants » : un fermier qui bosse de nuit sur son tracteur. « Les Français ne croient plus en rien » : une maternité pleine de bébés. « Les Français sont des perdants » : Benzéma (bien sûr), qui embrasse son maillot bleu.
Bref, le bleu-blanc-foot 2014, pour la chaîne sarkozyste (et pas trop effarouchée un peu plus à droite) c’est Travail-Famille-Patrie. Lors des premières diffusions s’insérait aussi un « Les Français sont racistes », que démentait démenti l’image coquine de deux paires de pieds de couleur différente se caressant sous une couette. Supprimé depuis. On n’est plus en 1998.

Temps de lecture : 3 minutes
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