Casseroles et ballon rond : le regard de Jean-Marc Notelet

L’univers de la gastronomie se partage bien souvent entre deux passions. D’un côté les fondus de l’ovalie, de l’autre les amateurs de foot. Ce Mondial est l’occasion d’un tour de table autour du foot, avec Alain Passard, Jean-Marc Notelet, Michel Portos et Guillaume Iskandar. Après Alain Passard, place à Jean-Marc Notelet à la tête du restaurant Caïus, à Paris.

Jean-Claude Renard  • 2 juillet 2014
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Illustration - Casseroles et ballon rond : le regard de Jean-Marc Notelet

Quel est votre rapport au football ?

Jean-Marc Notelet : Aujourd’hui, je suis directeur général d’un club, à Vaucresson, et j’ai moi-même longtemps joué, formé à Valenciennes. Je suis entré au club à l’âge de 8 ans, j’en suis sorti à 22 ans. Au moment de signer les contrats pro, à l’intersaison, deux copains se sont blessés, ça m’a refroidi. J’ai eu la pétoche. A l’époque, on n’avait pas les structures scolaires que l’on connaît aujourd’hui. Mon père m’a convaincu d’en rester là. A ce moment, pro à Valenciennes, ça devait équivaloir à gagner 3 000 euros par mois, et ça ne durait pas très longtemps. Comme j’étais dans la bouffe depuis tout petit, j’ai décidé de faire une école hôtelière.

Vous rappelez-vous la première fois où vous êtes allé dans un stade ?

J’avais 4 ans. J’étais avec mon père, c’était au stade Grimonprez Jooris, à Lille. C’était l’époque de Delio Onnis, qui jouait à Monaco. C’est sans doute l’un des premiers matchs que j’ai dû voir, en 1971…

Quelles sont vos plus grandes déceptions ?

En termes de football pur, c’est France-Allemagne de 1982. Ça a été un traumatisme. Il y avait un tel surclassement technique des Bleus aux prolongations. A 3-1, on pensait que plus rien ne pouvait arriver. Mais, sur le foot, dans sa globalité, ma plus grande déception, c’est combien l’argent a fermé le cercle, un cercle qui va se refermer davantage encore. C’est d’autant plus dommage que c’est le sport le plus facile, celui qui rassemble les peuples, les cultures. C’est un sport qui ne coûte pas très cher, que tout le monde peut pratiquer. Une licence de foot, ça reste un prix modique par rapport à d’autres fédérations. Mais l’image que le foot renvoie n’est pas celle-ci. La seule question est de savoir qui va gagner la Ligue des champions, et ça se dispute entre trois ou quatre clubs, Barcelone, le Bayern, le Real, ou Chelsea. On a peu de chances de se tromper ! C’est dommage. Quand je jouais encore, on avait des clubs comme Anderlecht, ou Lens qui affrontait la Lazio de Rome. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, parce que le moteur dominant, c’est l’argent. On crée des équipes de toutes pièces. Mais c’est comme le reste. C’est pareil en cuisine. On crée des stars culinaires instantanées, au bout de six mois avec une étoile Michelin, sans attendre de les voir faire leurs preuves, comme on crée des stars du foot, ou plutôt des clubs. Il n’y a qu’à voir Manchester city, un club qui ne possède aucune histoire. Il a suffi qu’un type mette de l’argent sur la table pour en faire aussitôt un grand club, et entrer dans l’élite du championnat anglais. C’est moche. Manchester, Liverpool, ont tous une histoire. Si tu n’as pas d’histoire à raconter, c’est vraiment pas beau. Alors, évidemment, ça donne des matchs incroyables, des Barça-Real.… Mais est-ce vraiment l’essence du foot ? Est-ce que c’est ce que l’on a envie de voir, est-ce que c’est dans le sens du rassemblement des gens dans le foot ?… A la longue, on finira par faire une espèce de NBA du football, ce sera pareil qu’au basket. Si ce n’est pas déjà fait ! Pour le coup, quel est le sens pour Valenciennes de rester en Ligue 1 ? La culture club n’existe plus. Les joueurs sont devenus des mercenaires. Ils jouent à Arsenal sans avoir le cœur d’Arsenal. L’année suivante, si on leur offre un contrat à 50 millions, ils vont à Chelsea. Une fois qu’ils ont fait ça, quand ils arrivent en équipe nationale, ils n’ont plus faim et n’ont plus l’amour du maillot. Ces gens sont déjà blasés. Aller ou pas en Coupe du monde, ne change pas grand-chose pour eux.

Que pensez-vous de l’arbitrage vidéo ?

Il me semble que les fautes arbitrales, le long d’une saison, d’une équipe à l’autre, finissent par s’équilibrer. Mais le plus souvent, on ne retient que les moments d’erreur dans un seul sens. La vidéo risque de casser le rythme du match. C’est moins flagrant au rugby, parce que les efforts sont d’une violence rares dans les impacts. Les joueurs ont besoin de récupérer, ce qui n’est pas vrai pour le foot. Par ailleurs, ça discrédite aussi l’homme en noir, lui qui doit choisir. Mais, bon, quand on regarde le match d’ouverture cette année entre le Brésil et la Croatie, c’est révoltant. On est devant des milliards de téléspectateurs, et l’on voit un joueur s’écrouler pour avoir un pénalty, et un but anormalement refusé. In fine, c’est un match volé. Dans un moment pareil, en effet, on se dit qu’il faut arrêter l’image, au moins infliger une sanction après match.

Comment regardez-vous les matchs ? Seul, en groupe, en famille ?

Il n’y a pas de règles. Je peux les regarder seul, comme avec 60 amis autour de moi. Pour le premier match des Français, j’ai même fait venir un abbé pour bénir tout le monde !

Illustration - Casseroles et ballon rond : le regard de Jean-Marc Notelet

Comment conciliez-vous les horaires des matchs et le service au restaurant ?

Priorité au boulot. Je m’en suis fait une raison parce que je n’ai plus vingt ans, et que cela reste un match de foot. Mais lors de la dernière Coupe du monde, j’avais installé une télé dans la cuisine…

Quel regard portez-vous sur ce Mondial et les mouvements sociaux au Brésil ?

J’ai envie de dire que je prie pour que tous ces gens qui souffrent de tout ce pognon qui n’a pas été investi comme ils l’auraient voulu, puissent ressentir grâce au foot quelque chose qui les emmène plus loin que leur tristesse. C’est tout ce que l’on peut souhaiter parce que, malheureusement, ça ne changera rien. Ce sont des mécaniques, puissantes, lourdes, qui écrasent tout. On ne peut pas les blâmer de profiter de cette occasion pour s’exprimer, pour crier haut et fort ce qui se passe. C’est aussi aux journalistes de relayer les choses.

Comment jugez-vous l’attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2022 ?

Ça pue ! Qu’une personne comme Platini ait pu tremper là-dedans, ça me blesse aussi. C’est un joueur qui a bercé mon enfance footballistique, pour lequel j’ai un grand respect, un regard admiratif. Si demain on apprend qu’il a mis la main dans le pot de confiture, ça me fera mal. La vie change les hommes. Ce n’est pas les hommes qui changent ; c’est la vie ! Maintenant, cette Coupe du monde au Qatar, je ne l’imagine même pas. On sort des codes. J’aurais préféré qu’elle se joue en Belgique !

Un favori, un pronostic pour cette dernière édition ?

Comme d’habitude, comme toujours, comme je le vis depuis tout petit, j’ai pensé à l’Italie. Sur la longueur, c’est toujours le milieu de terrain qui fait la différence, pour aller jusqu’aux derniers matchs. Et Messi peut aller très loin…

{{Restaurant Caïus}}, 6 rue Armaillé, Paris XVIIe.

Temps de lecture : 7 minutes
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