Christophe

Eloïse Lebourg  • 31 octobre 2014
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Jeudi 15 octobre 2014

Me voici sur mon nouveau journal de bord d’un SDF ! Parce que la nuit dernière, je me suis fait voler mon sac avec le cahier à l’intérieur. J’avais déjà bien écrit dessus, bon, là faut tout recommencer… Tant pis, y’a plus grave dans la vie.

Alors tout d’abord, je tiens à remercier mes petits habitués de la manche, sans qui je n‘écrirais plus, par dépit. Mais ils viennent de m’offrir ce beau cahier, alors je continue. Merci donc mes habitués, je vous kiffe grave !

Sur celui-là, je peux aussi dessiner vu qu’il n’a pas de ligne, et ils veulent m’acheter du matos à dessin, je vais leur en faire de super rien que pour eux…

Après quelques courses je me remets à écrire, ça fait un bien fou.

Dans mon sac, il y avait aussi la laisse de ma « fifille » (mon chien) et ben mes petits habitués, un petit couple de jeunes, viennent de m’en racheter une ! Ce sont vraiment des amours.

C’est con que ce que je vais dire, mais sans ce genre de personnes, j’aurais quitté la rue, je serais peut-être même mort (enfin j’espère pas !)

Quand j’y pense, imaginez une rue dans laquelle il n’y aurait que des clochards, l’extrême du SDF. Car, oui, il y a une grosse différence entre SDF et clochard : un clochard mange dans la poubelle, les restes des gens, nous autres SDF avons encore beaucoup d’estime de nous-mêmes, on se débrouille toujours pour s’en sortir, par le biais de la manche par exemple.

Je tenais à le dire, car c’est important de faire la part des choses, j’ai rien contre les clochards au contraire, je les plains. Bref, tout ça pour dire, si je suis encore là c’est à cause de vous, braves gens. Bah bravo, merci hein, non, mais eh quoique…

Donc imaginez, un monde rempli de clochards, ce serait bien plus triste que de nous voir, nous avec le sourire, pour la plupart, faire des choses de nos 10 doigts. Bien sûr certains boivent, d’autres se droguent, ceux-là ne sont pas forcément mauvais, ils ont juste vécu des choses bien souvent terribles. On ne peut juger quelqu’un sans connaître son passif, et ce qui l’a amené là. Je le dis, car moi-même, j’ai jugé et je juge toujours d’ailleurs, même mes propres collègues d’infortune. J’ai malgré tout une approche différente.

Certains m’exaspèrent, et pourtant est-ce que je vaux mieux ? Souvent j’en ai l’impression, je me demande même ce que je fous là. Le jour j’observe, et le soir, je bois ma bière sans faire chier personne, j’ai appris à m’autogérer, tout de même parce qu’avant, aïe ! Mais c’est une autre histoire. Il est 21 h 30.

Vendredi 16 octobre, 14 h 15

J’ai super bien dormi, debout 8 h 15, je me réveille doucement puis direction l’accueil de jour. Une fois restauré, je monte doucement en ville faire la manche. Le temps est au beau fixe. 16 h 20, 2 heures de manche, 8,30 euros dans la gamelle, on va continuer un peu des fois que… j’ai pas d’inspiration pour faire mes dessins.

Dimanche

Oh punaise déjà dimanche, j’ai pas écrit une ligne depuis vendredi. Samedi, j’étais avec Tony le marseillais, j’ai pas vu le temps passer. Aujourd’hui, 9 h 30, au marché salin, j’en ai fait que 10 euros, pas grave, ça suffira bien.

13 h : je suis à la cathédrale, je pense continuer la manche histoire de, j’ai rien d’autre à faire, finalement j’ai rien fait. Ce soir, je suis convié à une petite soirée organisé par Fanny, une connaissance d’une première soirée à Clermont.

Minuit : bonne petite soirée, j’ai bien mangé, bien bue, j’ai la peau du ventre bien tendue !

Lundi 20 octobre

Punaise, j’ai été réveillé par la police cette nuit, ils m’ont demandé mes papiers d’identité. Ils ont été appelés parce que je dormais sur un canapé bien souillé dans une ruelle. Il était là, j’aurais eu tort de ne pas en profiter ! C’est pas souvent que j’ai le droit à du confort. Ils m’ont finalement laissé dormir tranquillement.

9 h : j’ai pas envie de quitter mon canapé, snif. Accueil de jour, je récupère un colis alimentaire des restos du cœur. 13 h 30, je remonte en ville pour « bosser » !

18 h : j’ai vendu un dessin 5 euros, j’ai 10 euros en poche, petite course et je vais me poser tranquille !

Mardi 21 octobre

Éloise, je vais te taper sur les doigts, dans l’article je passe pour ce que je ne voulais pas ! Bon, je ne t’en veux pas, t’es journaliste !!! ON se voit mardi, en revanche, y’a un passage que j’ai adoré et qui est totalement vrai ! Sauras-tu lequel ?

Vers 15 h 30, je suis à la manche, et y’a ce foutu vent qui m’énerve.

Depuis quelque temps, j’ai des compagnons du soir, rencontrés par hasard. Ils sont un peu spéciaux, mais très sympas. J’aime bien les gens spéciaux. Julien, ancien excellent grapheur, Arold ancien empailleur et Brice, lui n’aime pas mon chien et c’est réciproque. Puis Michel, très philosophe. Tous les soirs, à peu près à la même heure, on se rejoint au pied de la cathédrale et on fait le bilan de nos journées.

Arold a du mal avec certains mots quand il parle, il n’arrive pas à prononcer le D, alors il s’autoappelle « Arol ! » Michel, il philosophe sur tout et n’importe quoi, de tempérament calme. Julien lui, a vécu un drame familial et a abusé de produits, il a changé avec le temps, il est très calme et blagueur, il garde la pêche. Brice, c’est un petit jeune, il parle peu, je ne sais rien de lui.

18 h : comme prévu, la manche n’a pas été folichonne : 4,70 euros, je ne vais pas aller loin. Je vais m’installer à la cathédrale, accompagné de Julien.

20 h : je descends à la maison des sports, il pleut, il vente. Petite journée. 22 h, dodo… À demain de bonne heure et bonne humeur.

News de dernière minute, je suis posé et sans rien demander, des jeunes me filent 5 euros et 3 clopes. Le coup de bol ! Finalement c’est une bonne journée ! Négatif, moi ? Jamais ! C’est énoooorme la vie quand même !

Mercredi 22 octobre

Ce matin, il fait froid et toujours ce foutu vent, ce qui n’arrange rien. Accueil de jour, maintenant Manche. Une demi-heure de manche : 2,80 euros plus les sous de la veille. Ça devrait suffire, j’ai pas envie de m’éterniser, il fait froid. Je vais rejoindre mes potes spéciaux, Julien et Michel. Petite soirée sympa chez Julien.

Jeudi 23 octobre

Je suis à la manche depuis 3 heures et ça décolle pas, 2,90 euros dans la gamelle. Désespérant, en plus, il fait froid, j’en ai ras le cul aujourd’hui. Suffit que je me plaigne dans le bouquin et bizarrement ça tombe : 5,40 euros !

6,90 Euros plus tard, petite course et montée à la cathédrale où je rencontre des « potes » de l’accueil de jour, dont mes très vieux potes, mais personne ne veut de moi. Rien à foutre, je vais voir Julien, Arold et Michel. On discute un moment et puis ils vont voir un autre ami, du coup je pars à la maison des sports pour me caler. Bonne nuit !Vendredi 24 octobre

Il fait super beau et bon au soleil. Jour idéal pour, je l’espère, une bonne manche.

Illustration - Christophe - « Tribal », le dessin du jour. ©Christophe

14 h : à peine arrivé, qu’on m’offre une clope… pourquoi pas… 3 heures plus tard, 8,50 euros dans la gamelle, pas trop mal va-t-on dire. J’ai fait un dessin durant ces 3 heures, sacré dessin, je l’ai intitulé Tribal.

Samedi 25 octobre

5 heures du matin, j’ai l’esprit confus, la veille, je suis allé voir les gens (d’autres SDF) avec lesquels je déjeune à l’accueil de jour et qui me disent parfois bonjour. Mais ils m’ont envoyé chier comme un pestiféré, d’après eux, je manque de respect, et je me fous de tout. Mais d’où vient ce portrait de moi venu de nulle part. J’ai pas compris. Le pire, c’est que je n’ai aucun argument et je suis comme ça point ! Ça me turlupine.

J’ai un bon karma : à 5 h 30, un monsieur me file un billet de 10 euros, je le refuse d’abord, mais comme il a insisté. Il s’est assis à côté de moi et nous avons discuté. Très sympa ce JP. Merci à toi, tu m’égayes la journée, et pas pour les 10 euros, mais pour ta gentillesse et ta bonne humeur (et pour les 10 euros aussi quand même un peu !!!)

JP est gay, il a au moins 60 ans, mais il me promet ne pas me draguer. Heureusement sinon ce serait peine perdue. J’ai rien contre les homos, chacun fait ce qu’il veut, mais moi ça ne m’intéresse pas.

N’empêche si je n’avais pas été turlupiné par l’histoire de mes camarades, à 5 h 30 quand JP est passé, je serais en train de dormir et je n’aurais pas les 10 euros dans la poche. Moi je suis sûr que j’ai un bon Karma parce que je ne suis pas quelqu’un de mauvais ! Et même entre SDF, on se juge, c’est fou ça ! N’empêche, j’ai fait le choix d’être seul avec ma fifille, ma chienne, elle, au moins elle me comprend, et si elle pouvait parler elle dirait à tous les crétins que je suis un gars bien !

7 h 45 : je suis encore en train de ressasser c’est pas bon ça ! Je suis fatigué, mais je n’arrive pas à dormir, trop de choses dans la tête !

10 h : je m’en vais faire la manche. 10,50 euros, je remballe et vais me promener avec Julien et ma fifille. J’ai pu poser mes affaires chez lui, se promener sans son gros sac, ça libère ! Du coup, pour le remercier de ce petit moment, je lui propose un repas chaud le soir : c’est moi aux fourneaux, j’ai fait des pâtes à la carbonara et du blanc de dinde ! Délicieux ! La mère de Julien du coup m’invite à passer la nuit chez eux ! Mmmmmmhhhh, un vrai canapé douillet !

Dimanche 26 octobre

J’ai passé une bonne nuit au chaud. 9 h 30, je file au marché Salins avec Julien qui ne pourra pas rester avec moi.

À 11 Heures, je me fais aborder par une étudiante, elle est aux beaux-arts et m’explique qu’elle est sur un projet avec les gens de la rue, surtout les artistes de rue. Elle se nomme Tong, en plus elle est charmante, mais comme elle est asiatique, elle a du mal à parler français. J’accepte de participer à son projet, mais pour me contacter, il faut se rendre sur mes lieux de manche, car je n’ai pas de téléphone. On verra bien !

Bon 11 h 30, 7 euros dans la gamelle, j’ai pas besoin de plus, je vais y aller tout doucement.

Ah, hier, je suis allé sur Facebook, j’avais un message de ma mère qui me demande de venir sur Montluçon pour voir ma famille… Ça m’a fait plaisir…

12 h 30 : Julien se tape un délire bizarre. C’est pourtant quelqu’un de bien, mais là il veut un poisson rouge en boucle. Sa maman en souffre beaucoup, ça se voit, elle parle beaucoup de lui, de sa vie, comment il a changé avec le temps, j’aimerais les aider, mais je n’ai pas cette faculté.

C’est dans ces moments-là que ma vie ne me semble pas trop dure, moi j’ai juste à m’occuper de moi et mon chien ! L’essentiel c’est que je reste sain de cœur et d’esprit. Ma seule chance de m’en sortir avant de pouvoir aider les autres. M’aider, d’abord moi-même. J’ai confiance.

13 h 30 : une dame, comme ça, alors que je ne montre aucun signe de manche, me file 2 euros. Ça arrive régulièrement, c’est marrant. Je lui dis alors que ça me fera un petit pécule pour demain. Merci Madame ! On est dimanche, et Juju me demande de monter, mais là j’ai pas envie. Je suis à jeun et je bois une bière à 11 degrés, je commence à fatiguer et j’ai faim.

Je m’ennuie, je déteste ce sentiment. Ça faisait quelques temps que je m’ennuyais moins. Du coup, je repense à Tony, le marseillais, qui lui aussi est seul, place du 1er mai. Peut-être que je devrais aller le voir, on avait bien ri le week-end dernier. C’est un mec sympa lui aussi. J’aime les gens, même ceux qui picolent un peu trop ! On a tous des problèmes au fond, et pourtant même au fond, y’en a qui sont là pour t’emmerder.

Bon j’hésite : Juju ? Tony ? Allez, j’opte pour Juju, c’est un peu opportuniste, mais j’assume. J’ai bien fait. Juju s’est calmé et sa mère m’apprécie. J’ai l’impression que quand elle me parle, ça lui fait du bien. Elle est un peu artiste dans l’âme elle aussi, et son mari aussi… Dommage, Juju lui ne l’est plus trop. Mais sa sœur et son père sont morts, ça détruit un homme ça… Je ne préfère pas imaginer la douleur. J’admire beaucoup Julien et sa mère en ce sens. Elle est forte, moi je pourrais pas surmonter ça… perdre son enfant…

À 19 h, je les laisse, pour m’installer dormir vers la maison des sports.

Lundi 27 octobre

J’ai bien dormi, debout à 8 Heures à la fraîche. 8 h 45, accueil de jour puis colis alimentaire au resto du cœur, chargé à bloc de bouffe que je partagerai avec les copains. Je tourné en rond c’est chiant, là vraiment j’aimerais travailler !

Ce matin un gars que je n’aime pas beaucoup me tend la main, mais bien sûr ! Bref, à 13 h 30, je suis à la manche, 20 euros en 3 heures, super bonne journée !

Mardi 28 octobre

La veille au soir, j’ai passé la soirée avec mes potes artistes. J’ai fait de belles rencontres, dont une jolie blonde de 22 ans… sur les coups de 22 heures, je suis sorti me coucher (et oui moi je ne rentre pas me coucher !).

Ce matin, 8 h 45, accueil de jour ! il fait beau, j’ai quelques pièces dans la poche et il fait beau, aujourd’hui c’est le jour avec Éloïse. Cool, allez go !

En partenariat avec l’accueil de jour de Clermont-Ferrand de la fondation Abbé Pierre, ce blog ouvre ses pages à ceux que l’on ne voit ni n’entend jamais. Les sans-domicile-fixe clermontois, par le biais d’un atelier d’écriture animé par Éloïse Lebourg, peuvent désormais raconter chaque semaine leur quotidien ou réagir à l’actualité.
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Temps de lecture : 13 minutes
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