Un exemple de poujadisme autorisé

Les élections de 2012 ont coûté plus d’un demi-milliard d’euros, selon un rapport officiel qui faisait la manchette du Parisien jeudi matin.

Michel Soudais  • 21 novembre 2014
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Un exemple de poujadisme autorisé

Illustration - Un exemple de poujadisme autorisé


Les élections ne sont qu’un gaspillage d’argent public. Voilà l’idée développée, dans son édition du 20 novembre, par Le Parisien . Qui lâche un montant de nature à marquer les esprits :
« Le coût total de la présidentielle et des législatives de 2012 s’est élevé, pour l’État et les communes à plus de 600 M€ (…) dont 70 % à la charge du budget national ! »
Signalons tout de suite aux rédactrices de ce dossier, qu’il n’y a rien de choquant à ce que le coût de l’organisation d’élections nationales soit pris en charge par l’État, au contraire. Le fait que l’État, selon elles, ne prenne en charge que 70 % de ces rendez-vous démocratiques dont dépend la conduite du pays et de son administration étatique constitue bien en revanche une anomalie.
Mais là n’est pas l’objet du dossier alarmiste du quotidien du groupe Amaury. Ce dernier se fonde pour étayer son « alarme » sur « un rapport encore confidentiel de l’IGA, l’Inspection générale de l’administration, qui dépend du ministère de l’Intérieur » . Non sans préciser que cette étude , « commandée en mars par Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur, ne restera pas sans suite » .

En clair, le gouvernement entend faire des économies sur l’organisation des élections , et Le Parisien a accepté d’initier la mise en condition des esprits sans laquelle les réformes projetées par Matignon et la Place-Beauvau ne pourront être conduites. Ce qui, en l’espèce, s’est déjà produit à deux reprises : l’an dernier les députés et sénateurs ont refusé de supprimer l’envoi des professions de foi électorales par la poste aux européennes. Ces derniers jours, les députés ont à nouveau retoqué ce projet du ministère de l’Intérieur qui visait cette fois les élections départementales de mars 2015 et les régionales de décembre 2015. « Cette mesure (…) aurait permis d’économiser 130 M€ » , pleurniche Le Parisien , qui déplore que « le chemin de la modernisation de l’État et de la démocratie [soit] encore long » . Il est surtout inaccessible à un grand nombre de foyers non équipé en informatique, privé d’accès à internet ou peu familier de ses usages. Toute une population dont ce quotidien populaire feint d’ignorer l’existence alors que beaucoup de ses lecteurs sont dans cette situation.

L’envoi des professions de foi n’est pas la seule piste d’économies suggérée par Le Parisien. Mais la plus importante – le chiffre de 203 M€ pour les élections de 2012 est avancé – parmi les « dérives budgétaires » pointées dans le rapport de l’IGA, que nos consœurs nous détaillent avec gourmandise afin de nous convaincre que nous sommes bien face à une « addition salée pour l’État et les communes » . Addition appuyée avec force infographie pour arriver au faramineux total de 604 M€.

Illustration - Un exemple de poujadisme autorisé

« Coûteuse » , la gestion des listes électorales… « Onéreuse » , la transmission des procès-verbaux du scrutin des mairies vers les préfectures… Le coût d’une procuration ? « Environ 10€ » or leur nombre ne cesse de croître. Faible en métropole, le coût de la propagande audiovisuelle (les émissions officielles sur le service public) est « disproportionné » dans les DOM-TOM. L’envoi des cartes électorales représente une « dépense élevée au regard de leur utilité »  : 2,2 M€ en 2012. Etc.
Face à un tel «coût exorbitant» , dont il souligne fortement qu’il n’empêche ni l’abstention, ni des dysfonctionnements pouvant laisser croire que «les élections ne sont pas sérieusement organisées» , Le Parisien plaide-t-il pour une suppression des élections? Non, bien sûr. Il affirme que la démocratie coûte trop cher, mais se contente de suggérer qu’il faudrait organiser les élections autrement, et qu’à tout le moins on pourrait se passer d’une partie des électeurs…

Faire des économies sur le dos de la démocratie , c’est déjà ce que fait le gouvernement en supprimant les élections prud’homales, jugées trop compliquées à organiser et trop coûteuses pour un nombre d’électeurs trop faible. Il y a donc lieu de s’alarmer quand, à leur tour, les élections sont décriées au nom d’un même poujadisme gouvernemental qui n’a plus d’autre horizon politique que la baisse de la dépense publique.
Si Le Parisien veut, malgré tout, diminuer les dépenses électorales, pourquoi ne pas réclamer la suppression de l’élection présidentielle? Coûteux, ce scrutin l’est assurément pour les deniers publics. Mais il l’est plus encore pour la république avec l’esprit de cour et la sujétion qu’il engendre chez nos représentants. Et il l’est au moins autant pour la démocratie avec ce qu’il génère d’abaissement de l’esprit civique et de corruption de la morale publique.
Il faudra bien qu’au moment de passer à une VIe République tous ces coûts soient enfin pris en compte.

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