Vladimi Poutine réinvente l’Union soviétique et nie toute intervention en Ukraine.

Claude-Marie Vadrot  • 25 novembre 2014
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L’Union soviétique est de retour mais sans la culture et les intelligences qui ont fait sa force et son rayonnement. Des intelligences et des talents qui ont toujours résisté, à Moscou comme à Leningrad et à Akademgorod en Sibérie, où savants et intellectuels attendaient patiemment que le régime qui les surveillait ou les censurait de moins en moins efficacement, se délite. Une grande partie de la population les suivait en scrutant les articulets qui se glissaient souvent et subrepticement, depuis le début du règne de Léonid Brejnev, dans les pages de la Litteraturnaya Gazeta et d’autres journaux ; comme des clins d’yeux que tout le monde comprenait. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que tous les esprits libres qui rongeaient leur frein dans ces cénacles se sont un jour de 1985, retrouvés dans l’entourage de Mikhaïl Gorbatchev. Leurs positions et analyses qui ne s’exprimaient auparavant que dans les cuisines réputées ne cacher aucun micro indiscret, pouvaient enfin, bonnes ou mauvaises, s’afficher et se proclamer au grand jour.

L’esprit de l’Union soviétique est de retour avec le nationalisme, avec la hantise et la peur (voire la haine) de l’Occident où tout serait organisé par l’Otan et les Etats-Unis, avec la condamnation des musiques, des livres, des films et des pièces de théâtre réputées corruptrices par le Kremlin et l’Eglise orthodoxe qui a repris le pouvoir abandonné en 1918. L’esprit de l’Union soviétique est également de retour avec une contrôle de plus en plus parfait de la presse, avec la propagande et bientôt avec les affiches « réalistes » qui ont pu nous faire sourire. Tous les journaux, ceux qui se lisent encore, toutes les radios, toutes les télévisions sont possédées et ou sous la surveillance de l’équipe de Vladimir Poutine ou des entreprises qui sont au service du Kremlin.

Le système vient d’être perfectionné par le lancement de l’Opération Spoutnik –terme qui n’a pas été choisi au hasard-, autrement dit un service international (et national) d’information qui, comme « au bon vieux temps de l’URSS » repeindra en rose tout ce qui se passe dans le pays et à ses frontières, même lointaines. Ce nouvel organe de propagande sera fourni en une trentaine de langues, intérieures comme extérieures. Il ne restera plus qu’à achever l’encerclement des consciences et des expressions, avec une loi sur l’utilisation d’Internet actuellement en préparation à la Douma. Le régime pourra, par exemple, faire disparaitre, sans remous internes, l’association Mémorial créée par Andreï Sakharov qui se bat contre tous les arbitraires.

Ainsi, la Fédération de Russie, pourra expliquer au monde entier et aux Russes qui ne seraient pas encore convaincus –il en reste- que la Crimée a choisi librement de proclamer son indépendance puis son rattachement « à la mère patrie », que les troupes russes n’ont jamais mis les pieds et les armes dans l’Est de l’Ukraine, que l’avion de la Malaysian Airlines est tombé tout seul ou (au choix) a été abattu par une missile de l’Otan, qu’il est normal que les Ukrainiens de l’Est n’aient pas eu le droit de participer aux élections dans leur pays, que les scrutins des rebelles ont été organisés dans la liberté et que des bandes de pillards ne ravagent pas les zones tenues par les milices et les troupes russes. Spoutnik, comme l’immense majorité des médias russes, pourra aussi expliquer au monde entier, au mépris de la réalité, que le pays qui la finance ne mène aucune guerre meurtrière–il faut bien appeler les choses par leur nom- dans les provinces orientale de l’Ukraine.

Le pays que le Russie étrangle n’est évidemment pas exempt de reproches, qu’il s’agisse de son passé ou de son présent, qu’il s’agisse de la corruption ou du règne de l’oligarchie. Avec une différence essentielle : ce sont les Ukrainiens qui ont choisi démocratiquement leur destin, à la fois par la révolte de Maidan il y a un an et par leurs deux élections législatives et présidentielles. C’est leur choix dans un pays où la presse est désormais libre. Toutes les ratiocinations sur la main de l’Otan, des Etats Unis, de la CIA ou de l’Europe ne changent rien à cette réalité. D’autant plus que les extrêmes droites, les droites et les extrêmes gauches qui reprennent ces thèmes sont en parfait accord avec le tsar de toutes les Russies orthodoxes. Cela se comprend pour les uns mais pour les autres cela relève de vieux fantasmes et d’un aveuglement qui ne relève que d’idéologies anciennes que cultivaient justement l’URSS. Aveuglement qui fait bien peu de cas des intelligences russes niées et bafouées.

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