Amina et son fils handicapé chez un marchand de sommeil

Amina est égyptienne. Son fils, français. Elle est venue en France pour l’accompagner dans sa prise en charge car Karim est handicapé mental. Elle avait un matelas pour deux chez un marchand de sommeil à 250 euros par mois. Malheureusement, le visa d’Amina a expiré. Elle a pris son enfant sous le bras et est reparti en Algérie où elle est journaliste. Elle espère revenir bientôt, mais ne veut pas être dans l’illégalité. Avant de partir, elle a écrit son témoignage. Le voici…

Eloïse Lebourg  • 20 décembre 2014
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Amina et son fils handicapé chez un marchand de sommeil

Illustration - Amina et son fils handicapé chez un marchand de sommeil - Repas de Noël à l'accueil de jour.

Véronique va bien. Elle est toujours dans son petit studio, et s’amuse toujours à écouter les conversations de ses voisins à travers sa porte. D’autres sont arrivés. Une maman avec son petit garçon de 8 ans ont débarqué le jour du repas de Noël de l’accueil de jour. L’enfant avait l’air amusé. Paco a trouvé une guitare, il nous a joué un air de Flamenco. Romain s’est fait tabassé par des «fafs». Ils lui ont enroulé les laisses de ses chiennes autour des jambes et l’ont frappé. La maraude l’a récupéré dehors. Christophe est toujours au squatt, le moral n’est, parait-il pas très bon. Seb écrit des chansons, des poèmes. On les diffusera bientôt…

Et voilà que soudain, le froid décide d’envahir la région. Les SDF du coin sont de plus en plus nombreux à venir prendre le petit déjeuner, siroter des cafés dans l’attente du repas de midi. a cette occasion, les jeunes et moins jeunes aident pour la préparation d’un menu plus ou moins équilibré. Tout dépend des denrées qu’ils ont sous la main. Mais, à force d’habitude, ils parviennent de mieux en mieux à accommoder les restes. Ils enregistrent nos noms et nous demandent 50 centimes par repas. 50 centimes! Souvent la réponse négative me révolte. IL faut du culot pour refuser de donner une pièce en échange de ce geste de solidarité.

Ce lieu s’appelle l’accueil de jour. en haut des escaliers, dans un grand cadre, la photo de l’abbé Pierre. Cet homme qui s’est tant débattu, qui a aidé tant de jeunes…

Quand on y met les pieds la première fois, c’est avec beaucoup de gêne et d’hésitations. Mais cela ne dure pas longtemps, l’accueil y est si apaisant.
Qui sont ces gens qui se retrouvent à devoir manger ici? Des êtres humains venus d’un peu partout de France et d’ailleurs, de l’autre côté de la Méditerranée, et de très loin. Beaucoup de victimes du chômage, mais aussi de «mauvais tours» de la vie. Comme ce monsieur venant d’une petite ville proche de Clermont-Ferrand, abandonné par sa compagne quand elle a appris qu’il était atteint d’un cancer. Puis son employeur qui lui a signifié son congé. Aller aux prud’hommes était alors au-dessus de ses forces. Et un jour, la CAF qui lui arrêtait toute aide financière car l’institution avait reçu son avis de décès! Pas étonnant de la part de la CAF, plusieurs cas subissent actuellement les conséquences des décisions de cet organisme qui prend des décisions totalement arbitraires.

J’ai remarqué qu’en France subsiste un phénomène qui cause beaucoup de problèmes: la mauvaise coordination entre les organismes.
J’aurais aimé voir de temps en temps des spécialistes en sociologie, psychologie venir faire un tour ici. Personne n’a donc l’idée de faire une thèse sur ce phénomène de la pauvreté grandissante?

En ce qui concerne les piliers de ces associations, il me semble qu’il est grand temps de redémarrer sur d’autres bases, d’autres structures, vu le nombre colossal de demandeurs de droit d’aide.

On trouve même des gens qui profitent de la précarité. Des bénévoles qui volent dans les denrées, remplir des sachets de linge dont ils n’ont pas besoin. C’est révoltant.

A quoi sert d’apprendre la division si on ne sait pas partager en deux?

Quant au 115, le standard est toujours saturé mais leur système est plus que bizarre. A quoi cela sert-il? Obliger les gens, les familles à changer de lieu de résidences chaque semaine. actuellement, des mamans sont au bord de la dépression, des enfants qui à force d’être ballottés auraient besoin d’un suivi psychologique. Comment ces petits, qui souvent viennent de loin, après des voyages dans des conditions terribles peuvent-ils trouver des repères?

Parfois, j’ai l’impression qu’on a mis des œillères au personnel. Allo le 115? Selon vos données vous faites partie d’une case, d’une catégorie. Par exemple, si par malheur, vous êtes maman, mais maman 3ème âge, et que votre fils est un adulte handicapé, alors vous n’avez droit à rien…vous êtes censé pouvoir dormir dehors et vous passer d’un lit. Que dire des squatts dont les tenanciers manquent totalement d’expériences, de formations…
On m’a même conseillé de rester en France malgré l’expiration de mon visa. Mais raccompagnée à la frontière, je ne pourrais plus jamais redemander de visa. Alors, je pars avant d’être dans l’irrégularité. Je pars avec mon fils, qui lui est pourtant français. Je sais qu’il sera triste en Algérie, sans repère, sans soin adapté. Nous tenterons alors de revenir. Mais je ne peux le laisser ici tout seul.

Et puis, tout est trop fait pour les pauvres de la ville , qui peuvent récupérer leur colis alimentaire… Mais les pauvres de la campagne? ceux-là sont les oubliés de la France. Pourquoi chaque église ne pourrait-elle pas distribuer des colis, un repas du dimanche? Pourquoi chaque voisin ne peut-il pas prendre soin de l ‘autre de la rue d’à côté? Une autre lacune dans ce pays: les médias. Ce sont à eux d’inculquer aussi, l’art du partage, celui de la SOLIDARITE. Et à l’école? A quoi sert d’apprendre la division si on ne sait pas partager en deux? Il est temps d’être moins égoïste et de se dire: «Cela pourrait m’arriver à moi aussi, un de ces quatre matins d’être à la rue, de devoir crier: À L’ AIDE!»

Je terminerai en exprimant toute mon admiration pour le Fonds kowétien pour le développement économique qui a pour devise: «Ne me donne pas de poissons, mais apprends moi plutôt à pêcher.»

**Amina**

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