Journal de bord d’un SDF

Il pèle. J’ai mes poings serrés dans mon paletot fermé, quand j’arrive vers l’accueil de jour. On se tape la bise, avec les gens de la rue. Et puis… Christophe se plante là. Pas vu depuis mi-novembre. Depuis qu’il vivait au squatt. «Je n’ai pas arrêté d’écrire, j’ai continué mon journal de bord…» Il me tend son cahier. Arrivée des bébés de sa chienne, incendie au squatt, rien n’a été simple…

Eloïse Lebourg  • 10 janvier 2015
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Journal de bord d’un SDF

Mercredi 19 novembre: Debout 5 Heures du matin, j’ai bien dormi. J’entends du bruit, les voisins de palier font la fête. Je sors Yassou, ma chienne. Puis je m’ennuie, je n’ai pas envie de me mêler aux autres, ils ont bu, pas moi. Je touche le ventre de Yassou, rien, les bébés n’ont pas l’air de vouloir venir. 10 heures, un huissier passe alors que je devrais être à l’accueil de jour. J’ai droit du coup, à un débrief avec les habitants. Cette journée est spéciale: je ne suis pas allé à l’accueil de jour, et je fais désormais la manche au Leader Price du quartier. Je ne vois personne que je connais.

Vendredi 21 novembre: Je ne sais pas quelle heure il est. Ça fait deux jours que je ne vais plus à l’accueil de jour. Je pense qu’inconsciemment j’appréhende l’arrivée des chiots. Avec Nico, un autre résident du squatt, on a fait un peu de bricolage, de rangement. J’ai la radio dans ma chambre, ça change du silence, trop pesant parfois.

Lundi 24 novembre: Week-end peinard au squatt. Ce matin je suis allé à l’accueil de jour faire un petit coucou. Ça bouge dans le ventre de Yassou.

Mardi 25 novembre: Aujourd’hui, bricolage pour la ludothèque du squat avec des copains. Malheureusement, Nico se blesse le doigt en voulant pousser une vitre d’un mur de bureau. C’est pas joli à voir, direction Urgences. On continue malgré l’accident. La cloison vitré qui nous a tant donné de mal est enfin retiré. Il est 18h30, je croise Nico et Pauline. Plus de peur que du mal. 3,40 euros de manche, et un peu de tabac. Je rentre au squatt. Le repas collectif est prêt, ça sent bon, mais je n’ai pas faim pour le moment. C’est bon d’être avec des copains.

Samedi 29 novembre: J’écris de moins en moins. Les journées se suivent et se ressemblent, rien de palpitant. J’attends toujours les chiots. Ça m’inquiète un peu. Ça fait plus de deux mois…

Mercredi 3 décembre: Toujours pas de chiots. selon Sam, je ne dois pas m’inquiéter. mais être patient, c’est tout…

Jeudi 4 décembre: Ayez, les chiots sont enfin là, quelle joie, c’est génial. 3 pour l’instant et tous en bonne santé. 16 heures: 6 chiots dont un mort-né, je l’ai enterré décemment dans un parc à côté du squatt. 16H30, je file à la manche pour ses croquettes. Je rentre: finalement, 8 chiots vivants…Elle n’a pas fait semblant.

Illustration - Journal de bord d'un SDF

Lundi 8 décembre: Les chiots vont bien, en revanche, moi, j’ai un abcès. Impossible de dormir. Hier, le chiot de 4 mois de mon pote, Louna, est morte de la parvovirose… On est tous tristes…

Mardi 16 décembre: Les chiots se portent à merveille. Il est 13h30, et je tourne en rond. Il pleut dehors, un temps à rester au squatt et pourtant, je vais devoir aller faire la manche, je n’ai plus de croquettes.

Jeudi 18 décembre: 14h, j’ai pris un vélo pour aller en ville, ça faisait un bail que je n’en avais pas fait. Du coup, je fais mon petit tour à la recherche de mes potes, mais personne… Je vais faire la manche en attendant.

Dimanche 21 décembre: La manche, à l’approche des fêtes, ne marche pas. C’est la crise. Y’a un monde pas possible, mais rien. Aïe, Aïe, Aïe! Bref, persistons. Le fait de ne pas avoir Yassou avec moi change la donne.

Mardi 23 décembre: 14h30 à la manche, on croise les doigts pour que ça marche. 15h30, 16 euros déjà!

Mercredi 24 décembre: La journée est censée marcher pour le moment, ce n’est pas vraiment le cas, en plus, ça pèle grave. Bon finalement, 22 euros! Impeccable.
J’ai passé Noël seul dans ma chambre, à boire mon pastis… Pathétique…

Vendredi 26 décembre: Au squatt, ça devient tendu, beaucoup de tensions entre résidents, ce n’est pas bon pour le moral des troupes. Entre ceux qui s’investissent trop, ceux qui ne font rien, et ceux qui font le strict minimum. Dure la vie en communauté. Je me demande comment cela va finir, suspense…. J’essaie de dédramatiser. Quant aux chiots, ils grandissent et vont bien, ils sont magnifiques.

Lundi 29 décembre: 18h30, je suis à la manche au Leader Price à côté du squatt, quand soudain les pompiers s’arrêtent devant le squatt. Ni une ni deux, j’attrape mes affaires et monte en trombe, mon dieu, il y a le feu au premier étage, là ou sont Yassou et les chiots. Je n’ai pas réfléchi, je monte malgré l’interdiction des pompiers. J’entendes mes chiots crier. Ils me laissent aller les chercher. Mon dieu toute cette fumée. L’enfer, mais j’ai pu les récupérer sains et saufs. Mes petits vaillants vont bien, c’est l’essentiel.

Mardi 30 décembre: Ménage, ce n’est pas une mince affaire. Tous les étages sont noirs et les pompiers ont dû péter toutes les portes qui étaient fermées à clef. Ça reprend doucement forme. À mon étage, un boulot monstre à effectuer du sol au plafond.

Samedi 3 janvier: Bonne année 2015 à tous. Dans la nuit du 31 au 1er décembre, jusqu’à une heure 30, tout allait bien, et puis il a fallu qu’à cause de l’alcool, certains cassent l’ambiance. Bref, je me suis réveillé en colère en ce premier janvier, mais aujourd’hui ça va. Malgré tout on sent qu’il y a un certain malaise et un calme froid entre habitants. Dans ces moments-là, l’idéologie de certains me fait doucement rire, vivre libre, sans autorité. Faut redescendre sur terre, les copains. On n’est pas des sauvages. Mais vivre ensemble avec toutes ces personnalités différentes ce n’est pas si simple. Là, nous sommes en période de conflits, on se tire dans les pattes les uns les autres. Critiques, hypocrisie et j’en passe. Du coup, je reste dans mon coin, au calme. Je suis mieux tout seul. Bon, je n’ai presque plus de croquettes, va falloir aller bosser…

Dimanche 4 janvier: Bonne journée! 16 euros de manche à la place de Jaude, en une demie-heure. A 16 heures, nous avons fait la réunion des habitants du squatt, certains partent, d’autres arrivent. Moi je reste.

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