Une école sans ambitions

TRIBUNE. Professeur d’histoire-géo dans un collège de Seine-et-Marne, Jean-Riad Kechaou réagit aux propos tenus par Najat Vallaud-Belkacem lors de sa présentation, le 22 janvier, de son programme de « Grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République ».

Jean-Riad Kechaou  • 23 janvier 2015
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Une école sans ambitions
Photo: ERIC FEFERBERG / AFP Blog de Jean-Riad Kechaou : jiairblog.com

« Mixité sociale dans les collèges »* , « lutte contre le séparatisme social » :** des mots que la ministre de l’Éducation nationale a utilisés hier et qui résonnent comme une offense pour les professeurs des 200 réseaux d’éducation prioritaire qui doivent disparaître à la rentrée prochaine.

Ghettoïsation des établissements

Nous avions en décembre mené une lutte courageuse pour nous faire entendre, nous, enseignants des écoles et des collèges déclassés de l’enseignement prioritaire.

Nous allons tout droit vers une ghettoïsation de nos établissements, qu’ils soient en zone rurale ou urbaine. Ghettoïsation dans le sens où le manque de moyens et d’encadrements humains à venir vont faire fuir les familles les plus aisées qui avaient bien compris l’intérêt de scolariser leurs enfants dans nos écoles. Dédoublement des classes en maths et en français, lutte intense contre le décrochage scolaire, matériel pédagogique à la pointe, accompagnement éducatif (études culturelles, sportives et pédagogiques le soir après l’école) et école ouverte (ouverture des établissements pendant les vacances) : voilà tout un arsenal amené à disparaître.

Mon établissement est situé dans un quartier pavillonnaire avec beaucoup d’élèves issus de classe moyennes, mais aussi 50 % d’enfants issus des classes sociales défavorisées qui viennent essentiellement des trois cités HLM qui nous alimentent. De nombreux parents nous ont fait part de leur inquiétude et ont soutenu notre lutte car ils avaient bien compris l’enjeu de ce déclassement. Les parents les plus aisés, très actifs dans le soutien du mouvement, nous l’on dit clairement, ils hésiteront à scolariser leurs enfants chez nous l’année prochaine. Quant aux parents des cités HLM, le départ probable de ces élèves et donc de cette mixité sociale les inquiète tout autant. L’enseignement privé (confessionnel, faut-il le rappeler ?) a de beaux jours devant lui…

Un manque d’ambition désastreux

Hier, nous aurions pu entendre un discours ambitieux davantage tourné vers la politique de la ville et l’investissement massif de moyens pour l’ensemble des écoles de notre pays (classées ou non dans l’enseignement prioritaire, qui, rappelons-le, représente moins de 4 % du budget de l’Éducation nationale). Au lieu de ça, nous avons eu droit à des effets d’annonces dignes de l’époque de Sarkozy et de sa fameuse de lettre de Guy Môquet en 2007.

Une journée de la laïcité le 9 décembre pour nous rappeler la loi sur la séparation de l’Église et de l’État de 1905. Et pourquoi pas un culte de sainte Marianne aussi avec la lecture d’une prière en son honneur ? La laïcité, c’est tous les jours que nous la défendons dans nos écoles, notamment quand on enseigne comme moi l’éducation civique. C’est l’un des piliers de notre République, et il l’est encore plus dans les quartiers cosmopolites. La laïcité, c’est la mixité sociale ; la laïcité, c’est savoir vivre ensemble en oubliant ses différences. La laïcité, c’est la lutte contre les discriminations aussi. On en est loin malheureusement.

Être formé par 1 000 professeurs spécialisés, voilà donc les moyens alloués à cette lutte contre l’obscurantisme ?

Une professeure de français dépitée par le déclassement de son établissement et prête à renoncer à ce métier qu’elle aime tant a déclaré récemment à une journaliste : « On nous avait dit que notre mission était philanthropique, elle est en réalité sacrifiée sur l’autel de la finance et de notre soumission aux contraintes budgétaires voulues par Bruxelles. » Voilà la triste réalité.

Nous souffrons, nous enseignants, des villes et des campagnes des Alpes-Maritimes au Nord-Pas-de-Calais, de ce manque d’ambition de notre pays en matière d’éducation. Nous souffrons de voir ces étudiants se détourner de l’enseignement car notre métier est devenu répulsif. Il n’y a qu’à constater l’absence de candidats suffisants dans certains Capes (mathématiques notamment) ou dans les concours de professeurs des écoles des académies les plus difficiles.

Nous souffrons de voir que dans certaines académies comme celle de Créteil, on assiste à une précarisation du métier d’enseignants. Combien de vacataires, de contractuels sont devant nos élèves sans formation digne de ce nom ? Recrutés directement par le Pôle emploi, c’est une réalité que nous, Français, ne devons pas ignorer.
Les citoyens doivent le savoir, notre politique en matière éducative manque d’ambitions

Lutter contre le décrochage scolaire

La lutte contre le décrochage scolaire aussi doit être une priorité absolue. Elle permet de lutter contre la délinquance et la radicalisation religieuse aussi d’élèves que la République abandonne quand ils ont 16 ans.

Nous devons généraliser des dispositifs de réinsertion scolaire. À Chelles, en banlieue parisienne, un dispositif issu d’une collaboration entre l’Éducation nationale, la communauté d’agglomérations, la préfecture de Seine-et-Marne (via l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, Acsé) et les partenaires culturels, sociaux et juridiques a été créé. Il fonctionne bien aujourd’hui (50 % des élèves se réinsèrent scolairement) et beaucoup d’autres villes aimeraient en avoir une.

Il faut donner davantage de moyens aux missions générales d’insertion qui luttent contre ce décrochage des 16-20 ans quand l’école n’est plus obligatoire mais qu’elle permet d’obtenir une formation insérante professionnellement. Ces structures ont des liens privilégiés avec le secteur privé, les centres de formation d’apprentis (CFA) et sauvent de nombreux jeunes adultes.

Faire de l’école primaire une priorité absolue

Si on veut éviter ce décrochage scolaire au collège ou au lycée il faut s’attaquer à la racine du problème.
Pour l’apprentissage du français, il faut revaloriser ce beau métier de professeur des écoles. Ce sont les moins bien lotis de l’Éducation nationale. Manque de moyens pédagogiques, salaires moins élevés (et donc profession moins attrayante).

On ne peut pas non plus laisser des communes pauvres gérer seules leurs écoles élémentaires pendant que des régions bien plus riches construisent et entretiennent de magnifiques lycées. Pendant que les collégiens (grâce aux conseils généraux) et les lycéens (grâce aux conseils régionaux) suivent leurs cours sur des tableaux numériques, nos professeurs des écoles n’ont plus de budget pour leurs photocopies dès le mois de janvier et sont obligés de quémander à leurs mairies.

Quand on veut lutter pour la réussite des élèves, on met le paquet dès le début de leurs apprentissages, là où c’est le plus important : l’école primaire.
Les problèmes que nous rencontrons avec les collégiens et lycéens sont liés à ce manque d’ambition.

Prenons juste un exemple : le dispositif des maîtres supplémentaires. Il s’agit d’un enseignant en plus dans les classes de CP situées en zones sensibles pour faciliter l’apprentissage de la lecture. Aujourd’hui, dans des quartiers très sensibles du 93, par exemple, des professeurs de CP se retrouvent seuls face à 25 élèves avec très souvent plus d’un tiers d’élèves qui parlent mal le français, voire pas du tout.
Voilà la réalité. Comment réussir dans ces conditions ?

Et n’oublions pas que ces problèmes existent aussi en dehors des zones sensibles : le réseau d’aides spécialisées aux enfants en difficulté (Rased) n’existe que dans les zones d’enseignement prioritaire (et encore !) alors qu’il devrait être étendu sur l’ensemble du territoire.

Dans quelques années, quand les problèmes seront toujours présents, ne rejetons pas sur les professeurs la responsabilité de cet échec probable. Nous ne pouvons pas relever ce défi avec des effets d’annonces et des politiques sans ambitions à des années-lumière des promesses entendues en 2012, ce que nous vivons comme une trahison.

Lire > École : les valeurs républicaines plutôt que l’éducation prioritaire

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