#PJLRenseignement, suite

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Christine Tréguier  • 16 avril 2015
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Illustration - #PJLRenseignement, suite

Le projet de loi sur le renseignement a fait office de feuilleton de la semaine. Bien qu’on sache déjà qu’il sera très majoritairement voté, le gouvernement semble mettre un point d’honneur à convaincre l’opinion que son texte est sans faille. Lundi 13 avril, jour du démarrage de la lecture à l’Assemblée nationale, c’est d’abord le service de communication du gouvernement qui a mis en ligne un « Vrai/Faux sur le #PJLRenseignement » inspiré du fact checking pratiqué dans les médias. « Le texte fait l’objet de nombreuses rumeurs et d’autant de fantasmes » lit-on en introduction. Il propose donc de faire le tri entre infos et intox sur « ce projet de loi essentiel à notre démocratie ». Suivent 11 affirmations confirmées ou infirmées. Mais à trop vouloir convaincre, les arguments finissent par se contredire. Exemple : après nous avoir dit et redit que ce n’était pas une loi contre le terrorisme, on nous explique que « son principal objectif [est] de tenir compte de la réalité de la menace et des méthodes employées par les réseaux terroristes ou d’espionnage international ». Même tonalité dans le discours d’ouverture de Manuel Valls qui est venu en personne défendre ce texte essentiel. Tellement essentiel qu’il n’y avait qu’une petite trentaine de députés présents sur les bancs de l’hémicycle. Il a redit l’urgence de cette loi en agitant la menace terroriste et en excipant quelques chiffres inédits sur le nombre de convertis français morts dans des attentats fomentés par Daesh.

Au même moment, les opposants avaient appelé à une manifestation sur la place Edouard Herriot, derrière l’Assemblée. Elle a réuni plusieurs centaines de personnes ce qui, soit dit en passant, au vu du lieu et de l’horaire (12h30) est un chiffre honorable et dit bien l’inquiétude soulevée par ce projet de loi. Des représentants du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France, d’Amnesty International, d’Attac, de la Ligue des droits de l’homme, du Syndicat national des journalistes-Confédération générale du travail (SNJ-CGT), du Syndicat national des journalistes (SNJ), Solidaires, des fournisseurs d’accès à internet, de la Quadrature du Net ou de Droit au logement, mais aussi quelques (rares) députés verts se sont succédés pour redire tout le mal qu’ils pensent de cette loi.

Ce texte dont Bernard Cazeneuve et Jean-Jacques Urvoas jurent qu’il n’a pas été rédigé dans l’urgence, qu’il est équilibré, encadre les pratiques du renseignement et protége les libertés, souffre de toute évidence de quelques lacunes. Au fil des critiques, pas si fantasmatiques que ça, énoncées par les opposants, le gouvernement dégaine des amendements-rustines à l’écriture alambiquée qui ne modifient que peu les choses. Leur avantage, donner l’impression qu’il est dans le dialogue et évacuer des amendements plus efficaces déposés par des députés frondeurs. Ainsi une heure avant l’ouverture du débat à l’Assemblée, un amendement a été déposé pour protéger certaines professions sensibles. Il précise que les techniques de renseignement « ne peuvent être mises en œuvre à l’encontre d’un magistrat, un avocat, un parlementaire, ou un journaliste ou concerner leurs véhicules, bureaux ou domiciles que sur autorisation motivée du Premier ministre prise après avis de la commission réunie » et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) recevra les retranscriptions des données collectées. En d’autres termes, le secret professionnel peut être suspendu à tout moment, non plus sur décision d’un magistrat comme c’est actuellement le cas, mais si le premier ministre évoque l’une des sept atteintes à la sécurité de l’état contenues dans la loi. Signalons au passage à ce sujet l’argument présent dans le Vrai/Faux du gouvernement qui laisse pantois : « Certains individus pourraient être tentés de se dissimuler derrière ces professions pour échapper à la surveillance des services de renseignement ; c’est pourquoi il ne peut être envisagé une interdiction absolue de mise en œuvre des techniques de renseignement pour ces professions ». Qu’on se le dise !

Un autre amendement a été introduit en urgence pour calmer la fronde des fournisseurs d’accès et acteurs d’internet qui, dans un appel libellé #NiPigeonsNiEspions, menaçaient de quitter la France. Il concerne les fameuses « boites noires » prévues pour aspirer le trafic et le passer au crible d’algorithmes censés détecter des séries d’activités en ligne faisant penser qu’il pourrait s’agir d’un individu terroriste. Il stipule qu’il ne peut y avoir d’urgence et que le premier ministre devra donc prendre l’avis de la CNCTR pour prescrire leur mise en oeuvre. Il semble que les opérateurs aient plus ou moins la charge de leur installation, de la conservation des données, et qu’ils puissent (dixit l’amendement) « s’assurer par eux-mêmes que les données de contenu seront exclues de la mise en œuvre de ces traitements ». Pas sur que cela suffise pour rassurer tout le monde.

Petite bonne nouvelle pour finir, François Fillon l’a annoncé : il se fait fort de réunir 60 députés et sénateurs pour saisir le Conseil Constitutionnel, une fois la loi votée. Croisons les doigts pour que ce soit le cas.

{{Sur le Web :}} Les débats décryptés au jour le jour par Next InPact [http://www.nextinpact.com/->http://www.nextinpact.com/] L'appel NiPigeonsNiEspions [http://ni-pigeons-ni-espions.fr/fr/->http://ni-pigeons-ni-espions.fr/fr/]
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