L’islamisme comme prétexte à la révolte radicale

Poursuivi une nouvelle fois par une justice dont l’acharnement confine au ridicule, Julien Coupat en appelle sans faiblir à la révolution. Mais la révolte radicale qui couve présentement pourrait bien ne pas correspondre tout à fait à ce que lui et ses compagnons de Tarnac en attendent.

Le Yéti  • 18 mai 2015
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L’islamisme comme prétexte à la révolte radicale
=> Lire l'entretien d'Alain Bertho sur le site {{[Regards->http://www.regards.fr/web/article/alain-bertho-une-islamisation-de]}} Photo : AFP/A. Majeed

Manifestation contre Charlie-Hebdo à Karachi le 16 janvier

Les explosions de violence qui éclatent sporadiquement aujourd’hui contre l’ordre établi, stigmatisées par les défenseurs de ce dernier sous le vocable infamant de « terrorisme », ont le très mauvais goût de ne plus se réclamer de la révolution des Lumières, ni du communisme, encore moins de l’archaïque maoïsme cher à certains soixante-huitards nostalgiques, mais de l’islamisme pur et dur.

Une idéologie de pur raccroc

C’est du moins l’avis exprimé par l’anthropologue Alain Bertho dans un passionnant entretien accordé à la revue Regards :

« Je pense qu’il nous faut comprendre que nous n’avons pas affaire à un phénomène sectaire isolé, et surtout que nous n’avons pas affaire à une « radicalisation de l’Islam », mais plutôt à une islamisation de la révolte radicale . »

D’ailleurs, note André Bertho, Mohammed Merah, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient des pratiquants fort tardifs, les meurtriers tunisiens du Bardo n’étaient salafistes que depuis peu, les jihadistes français bien blancs qui donnent des boutons au ministère de l’Intérieur sont des convertis de très fraîche date.

On pourrait même ajouter que les dirigeants actuels de l’État islamique n’ont guère brillé dans un proche passé par la solidité de leur foi religieuse, à commencer par leur vénéré calife Abou Bakr al-Baghdadi.

Pour André Bertho, l’État islamique se manifeste moins sur le terrain spirituel ou religieux que sous « des formes politiques explicites ».

Toute révolution est radicale avant que d’être romantique

Il en va ainsi de toute période pré-révolutionnaire : celle-ci se caractérise par une volonté forcenée d’éradiquer l’ordre honni . Nous sommes à juste titre effarés par les meurtres féroces et par les destructions de tout ce qui symbolise la culture et l’histoire des civilisations précédentes, commis par les « fous de Dieu ».

Mais faut-il rappeler que la révolution des Lumières de 1789 commença par vouloir éteindre celles d’avant à grands coups de guillotine et de destructions des lieux du culte de la religion officielle d’alors ?

Faut-il rappeler que la révolution bolchévique russe de 1917 s’empressa d’éliminer sans pitié les représentants du régime tsariste précédent ?

Faut-il se souvenir que bien des joyeux émeutiers de Mai 68 se réclamaient ingénument du maoïsme et de leur petit Livre rouge, au moment même où les Gardes rouges du président Mao massacraient des centaines de milliers de personnes au nom de la « grande Révolution culturelle prolétarienne » ?

On aurait garde d’oublier que toute révolution radicale est radicale avant que d’être parée de romantisme par une Histoire à œillères.

L’enterrement de la génération de 68

Les événements tragiques des 7-8-9 janvier 2015 ont été marqués par des réactions d’effroi et de rejet tout à fait compréhensibles , souligne André Bertho. Mais il y a fort à craindre que des manifestations plus ou moins spontanées et spectaculaires comme celles du 11 janvier ne suffisent pas à faire le deuil du traumatisme subi. Encore moins à enrayer le terrible engrenage qui l’a provoqué.

Il faudra bien des trésors d’imagination à Julien Coupat et à ses compagnons pour coiffer sur le poteau une révolte radicale qui leur échappe totalement. Et il y a fort à parier qu’ils n’y parviendront pas en ressortant les vieilles idéologies fatiguées du siècle précédent.

André Bertho complète l’analyse d’Emmanuel Todd sur l’esprit incertain du 11 janvier par un constat lapidaire :

« Je ne sais pas si nous avons déjà connu dans l’histoire une mobilisation aussi massive, construite sur du désarroi . Je l’ai un peu vécue comme une marche funèbre, l’enterrement de la génération de 68. »

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