Trou noir systémique : l’Occident au cœur du cyclone

Nouveau séisme financier, similaire en intensité à celui de septembre-octobre 2008, parti cette fois de Chine. Mais c’est bien le cœur du système de l’Empire occidental qui est dans la tourmente.

Le Yéti  • 31 août 2015
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Trou noir systémique : l’Occident au cœur du cyclone

Illustration - Trou noir systémique : l'Occident au cœur du cyclone

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La nouvelle secousse a commencé par toucher en août l’ensemble des places boursières mondiales, asiatiques d’abord, occidentales ensuite. Un plongeon qui entrainait immédiatement le yoyo caractéristique des tsunamis financiers , comme à la veille de celui de 2008, avec les ordinateurs haute fréquence au taquet pour sauver les apparences à défaut des meubles, mais en pure perte.

C’est que les meubles économiques ne sont guère plus vaillants que l »édifice financier, avec une croissance mondiale toujours atone, aux
États-Unis comme en Europe (0% en France au second trimestre), au Japon, au Canada, en Australie… Et ce malgré les injections massives de liquidités par les banques centrales, BCE en particulier.

Car ce qui marque ce nouvel épisode de l’effondrement systémique, c’est précisément la perte de contrôle de la situation par les banques centrales, derniers remparts du système contre le trou noir financier d’une dette qui n’en finit plus d’exploser.

Le trou noir et ses marionnettes selon Dmitry Orlov

« Le trou noir », c’est ainsi que l’ingénieur russo-américain Dmitry Orlov appelle le cyclone financier en train d’aspirer le vieux monde dominant dans son tourbillon autodestructeur.

« Le trou noir suce la moelle des familles individuelles (bien qu’il suce aussi parfois des villes entières, comme Detroit, Michigan, ou Bakersfield, Californie, ou Camden, New Jersey). Il suce aussi les maisons, et les recrache rechargées de mauvaises dettes. Avec l’aide de l’industrie médicale, il suce les personnes malades et les recrache ruinées. Avec l’aide du racket de l’enseignement supérieur, il aspire l’espoir des jeunes, et les recrache diplômés mais avec des diplômes sans valeur et aux prises avec une dette étudiante vertigineuse. Avec l’aide du complexe militaro-industriel, il aspire à peu près tout et recrache des cadavres, des invalides, des dommages environnementaux, des terroristes et une instabilité mondiale, etc… »

Voilà, explique encore Dmitry Orlov, que le trou noir se met maintenant à avaler des pays entiers : la Grèce, par exemple, et tous les pays « fourrage » qui l’entourent…

Y-a-t-il un pilote dans l’avion pour nous tirer de ce guêpier, demanderez-vous ? Hélas non, répond Dmity Orlov, il n’y a plus aux manettes que des marionnettes que le trou noir a rendu infiniment stupides et totalement incapables d’enrayer leur descente aux enfers.

La Chine a les clés de la crise en main

Mais le trou noir se heurte encore à des morceaux trop gros pour lui : la Russie de Poutine, tout récemment, avec le bourbier ukrainien. Pas sûr non plus qu’il soit sorti d’affaire avec la Grèce, berceau de la démocratie, qui a eu le temps de lui tirer deux vigoureux bras d’honneur en élisant d’abord un pouvoir non institutionnel (Syriza), puis lors d’un référendum mémorable le 5 juillet dernier. La Grèce qui n’a peut-être pas dit son dernier mot, malgré le naufrage politique personnel de son leader Alexis Tsipras, et qui pourrait donner quelques idées à ses voisins du sud, tout aussi victimes qu’elle de l’infernal trou noir.

Et puis, il y a la Chine. C’est en Chine que se tient l’épicentre du séisme en cours. Mais il y a une différence entre les marionnettes addicts au trou noir des marchés et la Chine. Comme le remarque Paul Jorion, la Chine, elle, ne se sert des marchés que lorsque ceux-ci la servent en retour. Quand ils jouent aux cons, elle les ferme et elle les enferme. Et les manipule à sa guise. Demandez-vous pourquoi la dévaluation du yuan chinois a immédiatement entraîné la chute du dollar-étalon américain , alors que ça aurait dû être l’inverse, note Lucie Couvreur sur Mediapart. Réponse : parce que les Chinois n’ont pas vraiment dévalué leur monnaie, mais mis en place de nouveaux systèmes de régulation bien à eux , en particulier sur la fixation des taux et des parités permettant de limiter les manipulations monétaires sur le marché des devises. La guerre des monnaies à son comble.

C’est pourquoi aujourd’hui, ce ne sont pas les marionnettes dépassées de l’Empire occidental qui ont en main les clés pour sortir du trou noir financier, mais probablement des pays comme la Chine. Et même peut-être, ô horreur, la Fédération de Russie de l’infâme Vladimir Poutine.

Ah bien sûr, devant un tel constat, les adeptes de la dénégation vont encore sortir de leurs gonds, hurler au catastrophisme, au complotisme, au confusionnisme, pousser leurs cris d’orfraies sporadiques et répéter en boucle les éléments de langage complètement creux que leur soufflent leurs marionnettes d’en haut : poutinien ! rouge-brun ! … Laissons Dmitry Orlov leur apporter la réponse qui sied :

« Aimez-vous votre trou noir ? Si vous n’êtes pas sûr de l’aimer, laissez-moi vous poser quelques autres questions. Aimez-vous le fait que vos cartes de crédit fonctionnent toujours, ou que vous pouvez toujours garder de l’argent à la banque et même obtenir de l’argent à un distributeur de billets ou recevoir – ou espérer recevoir – éventuellement une pension ? Aimez-vous le fait que vous pouvez obtenir des choses utiles comme de la nourriture, du gaz, des billets d’avions, contre de simples morceaux de papier imprimés avec des images d’hommes blancs morts ? Aimez-vous le fait que vous avez accès à Internet, que les lumières sont allumées et qu’il y a de l’eau au robinet ? Eh bien, si vous aimez ces choses, alors vous devez aussi aimer le trou noir financier, car c’est lui qui rend toutes ces choses possibles malgré la faillite de votre pays. Peut-être que c’est une relation d’amour-haine : vous aimez être en mesure de prétendre que tout va bien, même si vous savez que ce n’est pas le cas, et vous souhaitez profiter un peu plus du business as usual avant que l’enfer ne s’abatte sur nous, que ce soit pour quelques jours ou pour un an ou deux ; mais vous détestez le fait que finalement le trou noir vous aspirera, après quoi les choses vont définitivement… couler. »

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