Air France : la violence comme seule et ultime arme des salariés

La prise à partie musclée de deux dirigeants d’Air France par des salariés en colère n’a pas manqué de déclencher l’indignation officielle. Mais la violence n’est-elle pas la seule et ultime arme qui reste aux salariés pour peser sur le « dialogue social » ?

Le Yéti  • 6 octobre 2015
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Air France : la violence comme seule et ultime arme des salariés

L’indignation très sélective (peu de références à la violence d’un « plan social » condamnant 2900 postes) a ceci qu’elle émane de tous les acteurs officiels de la politique et du fameux dialogue social :

« Violences inacceptables » (François Hollande, président de la République).

« Ces agissements sont l’œuvre de voyous qui font mal à l’image de la France » (Manuel Valls, premier ministre).

« La dignité humaine a été ce jour mise à bas chez Air France. Honte à ceux qui ont commis ce crime quelques soient leurs revendications » (Razzy Hammadi, PS).

« Nous ne sommes pas en 1793. Nous ne pouvons pas accepter que deux dirigeants soient au bord de se faire lyncher (Nicolas Sarkozy, Les Républicains).

« La violence de certains salariés condamne leur colère et condamne toute possibilité de dialogue » (Emmanuelle Cosse, EELV).

« D’ailleurs M. Brusetta, le DRH d’Air France, l’a dit, « ça ne représente pas l’ensemble du personnel d’Air France », donc ça ne représente pas non plus le syndicalisme » (Laurent Berger, CFDT).

« C’est la négociation qui doit l’emporter » (Jean-Claude Mailly, FO).

Lire > Air France : salauds de grévistes !

La violence inévitable

Arrêtons-là le concert de ce chœur outragé trop unanime (et violent) pour être honnête. Examinons les autres armes dont on nous dit qu’elles sont encore à disposition des salariés pour se faire entendre :

-* Les organisation syndicales ? Il y a belle lurette que celles-ci ont plus à cœur de pérenniser leurs vieilles structures héritées du siècle précédent que de réellement protéger les salariés. Chaque conflit social démontre que le rôle des représentants syndicaux est plus de faire tampon pour éponger le trop-plein de colère sociale que de sauver les acquis sociaux. Qui a vu les acquis sociaux ne serait-ce que simplement préservés depuis une quinzaine d’années ?

-* La grève ? Celle-ci demande des moyens que les salariés n’ont pas et des organisations syndicales pour qui le maître-mot est depuis longtemps devenu de savoir terminer une grève, plutôt que de la faire triompher. Combien de mouvements sociaux conclus à l’avantage des salariés depuis une quinzaine d’années ?

-* Le Droit du travail ? Jugé dépassé, « trop lourd », anti-compétitif, celui-ci n’en finit pas d’être brocardé, détricoté, néolibéralisé. Qui a vu une amélioration de la protection contractuelle des salariés depuis une quinzaine d’années ?

-* La Justice ? Le conseil des Prudhommes a été réduit à peau de chagrin, ne serait-ce qu’en nombre (60 conseils supprimés sur 271 depuis 2008), connaît de graves carences de fonctionnement et est considéré comme tellement essentiel par l’État que celui-ci en a repoussé sine die les élections, prévues en 2013, pour des raisons de coûts budgétaires.

De fait, depuis une bonne quinzaine d’années, jamais le « dialogue social » n’a été aussi stérile et à sens unique. Aucune « négociation » entre « partenaires » (sur le dos de qui ?) n’a jamais empêché la dégradation continue des conditions de travail, la montée du chômage, la précarisation, les délocalisations compétitives…

Que reste-t-il alors d’autre que la violence comme arme de légitime défense aux salariés spoliés ? Rien, strictement rien d’autre ! N’en déplaise aux cris d’orfraies des vertueux à sens unique (les forces de l’ordre hésitent-elles à recourir à la manière forte pour sauver leur ordre sans que ceux-là ne trouvent à y redire ?), la violence devient parfaitement légitime. « Je crois que la violence est inévitable » , écrivait Albert Camus qui poursuivait : « injustifiable mais inévitable » .

Lire > Crise de civilisation : la question de la violence

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