Vagues réactionnaires sur les programmes d’histoire

TRIBUNE. La refonte des programmes ne rompt pas avec l’empilement des connaissances et supprime l’unique chapitre consacré à l’histoire africaine.

Jean-Riad Kechaou  • 22 octobre 2015
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Vagues réactionnaires sur les programmes d’histoire
© MARTIN BUREAU / AFP

Beaucoup de mes collègues m’ont reproché mon absence de critiques au printemps dernier sur la réforme du collège à venir, m’expliquant que leurs matières (EPS, Latin, Allemand, Physique, Technologie ou SVT pour ne citer qu’elles) étaient amenées à disparaître, vu leurs dotations horaires limitées, absorbées dans les EPI, ces fameux enseignements pratiques interdisciplinaires.

Jean-Riad Kechaou est professeur d'histoire et géographie dans un collège de Chelles (Seine-et-Marne).
Je ne les ai pas entendus, trop occupé dans les bagarres de bac à sable entre petits historiens et trop content de voir ma belle matière, l’histoire, au centre du débat.

Je me suis ainsi laissé embourber dans ces promesses d’ateliers pluridisciplinaires au profit d’élèves victimes du collège unique ayant besoin d’autres choses que de l’apprentissage frontal. Pour les mettre en place, il fallait donc défendre l’allègement des programmes et je l’ai fait avec beaucoup d’ardeur et sans scrupules.

La première mouture proposait en effet des thèmes obligatoires avec des chapitres facultatifs qui permettaient d’en approfondir d’autres et d’éviter le saupoudrage de connaissances. Cela nous laissait une certaine liberté pédagogique appréciable dans le choix des thèmes aussi.

La grande histoire de France est sauvée…

Mais quelle ne fut pas ma petite surprise – avec ce gouvernement ce n’est malheureusement pas la première loin s’en faut – en découvrant les nouveaux programmes d’histoire du cycle 4 (cinquième, quatrième et troisième) !

Toutes ces belles velléités d’allègement s’effondrent comme un château de sable, mises à mal par les vagues réactionnaires de gauche comme de droite qui considéraient les projets du programme d’histoire comme une attaque en règle de notre beau roman national. Les grands rois de France, la société médiévale encadrée par l’Eglise ou les philosophes des Lumières ne pouvaient être mis entre parenthèses pour nous permettre d’installer des projets innovants tentant de stimuler des élèves se moquant du renforcement du pouvoir monarchique sous les capétiens. Et bien non, tout cela restera bien au programme. On ne rompt donc pas avec l’empilement de connaissances qui visent à satisfaire toutes les écoles historiques.

Exit l’histoire de l’Afrique…

Chose grave, en y regardant de plus près, parmi les rares chapitres supprimés, figure l’étude d’une civilisation africaine en cinquième… Au revoir donc l’histoire si intéressante de l’Afrique médiévale, les Africains ne seront traités, avec mauvais jeu de mots, que par leurs relations subies avec les Européens : découverte du continent, esclavage, colonisation puis décolonisation. Quoi de plus normal, l’homme noir n’est pas assez rentré dans l’Histoire, disait Sarkozy à Dakar en 2007 non ?

Ce chapitre était pourtant une nouveauté bienfaitrice datant de 2010, les élèves originaires de ce continent découvraient avec fierté que lui aussi abrita des brillantes civilisations dirigées par des monarques puissants tel Kanga Moussa, un empereur malien du XIVe siècle, disposant d’intarissables mines d’or, faisant construire notamment la magnifique mosquée Djingareyber de Tombouctou.

Tous les élèves découvraient avec tout autant de fascination cette histoire transmise oralement par des griots, véritables bibliothèques vivantes. C’était l’occasion d’écouter leurs chants, notamment ceux célébrant l’histoire du grand Soundiata Keita à l’origine d’une charte des droits de l’homme au XIIIe siècle (controversée, car orale…) cinq siècles avant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France.

S’ouvrir aux autres cultures, notamment celles de nos élèves, n’est-ce pas l’une de nos missions ? Il ne s’agit pas d’oublier la nôtre mais dans un pays aussi métissé, l’élève d’origine étrangère ne doit pas avoir honte de ses racines s’il veut s’épanouir totalement dans le pays qui a accueilli ses parents ou ses grands parents. Au contraire, on lui explique de manière implicite en histoire que l’Afrique n’a rien apporté au monde dans le passé, et explicitement en géographie que ce continent est à la traîne aujourd’hui.

De quoi satisfaire Nadine Morano et pleins d’autres…

Le chapitre sur l’islam, si vivement critiqué en avril dernier, est maintenu mais subtilement intégré dans un thème intitulé « chrétienté et islam (VIe-XIIIe siècle), des mondes en contact », histoire de rassurer toutes les personnes effrayées à l’idée que l’on puisse enseigner la civilisation musulmane en cinquième au même titre que la civilisation judéo-chrétienne en sixième, une expression en vogue ses deniers temps. Ce n’est pas anodin et encore une fois, le consensus se situe aujourd’hui très à droite sur l’échiquier.

Exit aussi en classe de troisième, de manière définitive, l’histoire des vagues d’immigration en France au XXème siècle. Nous n’apprenons donc plus à l’élève d’origine étrangère d’où il vient et pourquoi il est là. Un chapitre qui aurait pu faire comprendre à Nadine Morano que son grand père maternel, un maçon piémontais, n’était pas si différent des immigrés non européens que cette dame stigmatise par ses déclarations hallucinantes. Ces ajustements sous la pression satisferont donc tous ces hypocrites feintant leur émoi devant ses propos sur cette hypothétique race blanche judéo-chrétienne mais qui n’en pensent pas moins. Et puis, il n’y aura pas d’intellectuels pour s’offusquer de ces suppressions dans une tribune d’un grand quotidien.

Les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) menacés…

De plus, en refusant comme pourtant annoncé de réduire d’une manière significative ces programmes, on tue la réforme dans l’œuf. Même si les propositions d’enseignement pluridisciplinaire sont satisfaisantes et très utiles, on ne pourra pas boucler ces programmes avec une heure en moins de cours chaque semaine, ce qui aura évidemment des conséquences néfastes sur les EPI …

Encore faut-il que nos collègues des matières les moins dotées au niveau horaire (Technologie, SVT, Physique, Musique, Arts Plastiques, Latin) acceptent d’enchaîner les projets en servant finalement d’alibis aux professeurs de maths, français et histoire désireux de finir ces programmes bien trop chargés pour préparer au mieux leurs élèves pour le brevet des collèges.

Quant à l’EPS, dont l’évolution pédagogique faisait office de précurseur ses vingt dernières années, on vide le contenu de son enseignement ce qui est inquiétant au vu de l’importance, et c’est normal, prise par cette matière, la seule à évaluer l’évolution de l’élève et pas uniquement sa performance.

Encore une fois, on recule devant la pression, pour mieux tomber malheureusement. La grogne prend de l’ampleur chez les collègues qui ont manifesté samedi 10 octobre, mais aussi dans l’ensemble de la communauté éducative qui, à travers le Conseil supérieur de l’éducation, s’est exprimée contre ces nouveaux programmes. Affaire à suivre…

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