La Poste : les dessous des tarifs abusifs

Une enquête de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir critique vivement les hausses des tarifs de La Poste et la qualité du service. Pourquoi le service postal est-il si dégradé et si cher ?

Thierry Brun  • 24 novembre 2015
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La Poste : les dessous des tarifs abusifs
STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

Illustration - La Poste : les dessous des tarifs abusifs


Une étude publiée le 23 novembre par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir a vivement critiqué les hausses très supérieures à l’inflation des tarifs de La Poste, injustifiées selon elle alors que la qualité du service ne suit pas.

Les effets du plan stratégique 2015-2020 du groupe La Poste, intitulé : « Conquérir l’avenir » , ne sont pas sans conséquences sur les résultats de l’intéressante et édifiante enquête de l’UFC-Que Choisir. Le syndicat SUD-PTT en a récemment donné un aperçu dans les plateformes de distribution des colis (PFC) : « Depuis plusieurs mois, la sous-traitance a fait son entrée dans quasiment toutes les PFC du territoire. De l’activité il y en a. Et tout au long de l’année ! Pourtant La Poste préfère sous-traiter le tri des paquets plutôt que d’embaucher » . Selon le communiqué de ce syndicat, daté du 10 novembre, les directions « opèrent réorganisation sur réorganisation » , et les « conditions de travail et de santé des agents se dégradent » , alors que dans son plan stratégique la direction du colis « prévoit de passer de 270 millions de colis traités en 2015 à 320 millions en 2020 » .

Côté distribution du courrier, les infrastructures sont en voie de disparition : une quinzaine de centres de tri doivent fermer, « autant de dégâts pour l’emploi dans les territoires, et pour l’environnement avec des envois qui vont parcourir des centaines de kilomètres supplémentaires » , relève le syndicat. La Poste « poursuit la mise en œuvre de sa stratégie qui se traduit par une réduction de la présence postale sur l’ensemble du territoire, la distribution du courrier et des colis en J+1 est en recul, notamment par le déploiement à grande échelle de la lettre verte. Cette casse du service public s’accompagne d’une casse de l’emploi : – 90 000 en dix ans, 7 352 en 2014 » , expliquait le 5 novembre la fédération CGT des activités postales, à la veille du comité de suivi sur le contrat d’entreprise entre La Poste et l’État. En juillet, lors de la présentation des résultats semestriels du groupe, les organisations syndicales ont constaté la suppression de plus de 5 000 équivalents temps plein en six mois.

Hausse des tarifs et des profits

« Avec l’emploi, le service public est le deuxième levier activé pour faire des profits » , ajoute SUD-PTT. De fait, le groupe augmente les tarifs de ses services et engrange les bénéfices, qui sont en hausse de 31,7 % au premier semestre 2015, à 424 millions d’euros. Au passage, une partie de ces profits rémunèrent de manière conséquente les hauts dirigeants du groupe dont l’État est l’actionnaire principal. Comme l’a montré un rapport de la Cour des comptes, rendu public en mars, « des cadres dirigeants dont le nombre a augmenté et dont les rémunérations, parfois en forte hausse, n’ont pas, jusqu’à une période récente, reflété les résultats du groupe » .

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Ce modèle économique libéral appliqué au service public est entré dans une logique connue de réduction des coûts sociaux et d’augmentation des tarifs des prestations du service universel. Ils auront augmenté de 33 % de 2005 à 2016, soit deux fois plus que l’inflation (16 %), dénonce l’UFC-Que Choisir, qui note en particulier que les timbres destinés aux consommateurs auront augmenté de 39,6 % depuis 2008 au 1er janvier prochain, soit cinq fois plus que l’inflation et beaucoup plus que les services destinés aux entreprises. Or, en 2014, les services postaux représentent pas moins de 1,67 milliard d’euros de dépenses pour les consommateurs (hors branche express) ce qui correspond à un budget de 58 euros par ménage sur l’année, souligne l’étude de l’UFC Que Choisir.

Pour justifier une hausse de 3,6 % en moyenne des tarifs postaux au 1er janvier 2016, le groupe a invoqué en juillet la compensation de la « baisse continue des volumes » de plis expédiés, précisant que « la dépense des ménages en produits postaux est de l’ordre de 48 euros par an en moyenne, soit moins de 4 euros par mois » . Cette « annonce d’une augmentation de 3,6 % dès 2016 tient plus d’un tour de passe-passe pour encore augmenter les profits au détriment des usagers » , réfute Nicolas Galépidès du syndicat Sud-PTT.

Et la qualité des services ?

« Avec une telle augmentation des prix , les usagers pourraient s’attendre à une amélioration de la qualité. Mais cette attente est vaine » , reproche le président de l’UFC-Que Choisir, Alain Bazot. L’association de consommateur a reçu des plaintes sur de nombreux dysfonctionnements, qui concernent notamment le service de réexpédition du courrier, les délais de livraison des colis et les modalités de remise des lettres recommandées.

Des enquêteurs de l’UFC-Que Choisir ont en particulier envoyé des colis de 2,3 kg avec remise contre signature, indiquant souhaiter l’offre la moins chère. « Dans 71 % des cas, ils ont été orientés au guichet vers une offre plus chère, et 12 % des paquets sont arrivés en retard (avec parfois 8 jours d’attente) » , a relevé l’association. Quant aux performances des lettres prioritaires – qui, avec des timbres rouges, sont censées arriver à J+1 –, elles sont, selon les chiffres compilés par l’UFC-Que Choisir bien inférieures aux voisins européens.

Et, en période de fêtes de fin d’année, il n’y aura pas de cadeaux pour les usagers du service postal. La CGT relève que La Poste a ordonné « la suspension de l’entrée de tout Coli-éco (colis ordinaire) dans son réseau à compter du 14 décembre ! Cette mesure pénalisera notamment les familles qui ne pourront pas bénéficier de ce service aux moments des fêtes, ou bien elles devront mettre la main à la poche si elles veulent envoyer des colis à leurs proches. Il s’agit bel et bien d’une nouvelle dégradation du service public postal » .

A quand des moyens ?

L’UFC-Que Choisir demande à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) « une révision de la méthodologie d’allocation des coûts du service universel postal en associant à la réflexion les représentants des consommateurs » , et à l’État « de relever le niveau d’exigence vis-à-vis de La Poste, afin de garantir aux consommateurs qu’en contrepartie des hausses tarifaires déjà pratiquées ils puissent obtenir une amélioration réelle et légitime de la qualité du service » .

Il faudra donc dégager des moyens supplémentaires, car l’État continue à se défausser de ses obligations en ne respectant pas les conditions du contrat de service public passé avec La Poste. En 2014, « 68 millions de la commission due aux missions d’accessibilité bancaire » ont disparu, constate SUD-PTT. De plus, le groupe a enregistré « une baisse de 50 millions de l’aide à la presse, laissant encore La Poste avec un déficit dépassant les 300 millions d’euros » .

A ce rythme, il ne faudra que quelques années au plan stratégique de La Poste pour faire disparaître le service public postal tel qu’on le connaît aujourd’hui. Une manière très originale de « conquérir l’avenir » ?

Temps de lecture : 6 minutes
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