RMB – CIRIEC-International – Social Economy Europe : ensemble pour l’ESS

A l’occasion du rassemblement de Chamonix, les RMB, le CIRIEC-International et Social Economy Europe ont se sont accordés pour un partenariat pour favoriser au niveau international les initiatives d’ESS et leur visibilité. Nous publions ici l’intervention aux RMB de notre ami Alain Arnaud, président du CIRIEC-France et du CIRIEC-International.

Jean-Philippe Milesy  • 29 novembre 2015
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Rencontres du Mont Blanc 2015

_ Intervention d’Alain ARNAUD
_ Chamonix 27 novembre 2015

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Je tiens tout d’abord, au nom de l’équipe du Ciriec-International, à adresser mes remerciements les plus chaleureux aux organisateurs des Rencontres du Mont-Blanc. C’est toujours une épreuve difficile que d’organiser une conférence internationale, a fortiori par des temps troublés, mais le pari est réussi compte-tenu du nombre de participants présents au cours de ces journées.

Mesdames et Messieurs, chers amis, n’ayons pas peur des mots, nous sommes dans un monde en crise. Cela a été rappelé par le président Thierry Jeantet dans son discours introductif hier matin.

Au-delà des graves problèmes géopolitiques que nous connaissons et qui ont leur importance, je ne surprendrai personne en disant que le contexte économique et social mondial est des plus préoccupants. La catastrophe financière de 2008 a révélé de façon éclatante que le modèle économique dominant néo-libéral ne pouvait à lui seul résoudre les crises, qu’au contraire il les amplifiait en creusant encore davantage les inégalités.

Comme nous l’avons tous lu ou entendu, tous les observateurs des inégalités démontrent que moins de 10% de la population mondiale détiennent 83% du patrimoine mondial, tandis que la moitié de la richesse mondiale est détenue par 1% de la population.

Lors du dernier Forum Economique Mondial, il a été indiqué que la disparité des revenus était le risque global le plus susceptible de provoquer un «choc systémique» à l’échelle mondiale, devant même les événements météorologiques extrêmes, le chômage et les cyberattaques.

Il n’y a donc plus lieu de simplement réfléchir, mais il convient aussi d’agir, et en urgence, à défaut de quoi notre monde courra les plus grands dangers car les populations ont atteint aujourd’hui les limites du supportable.

Depuis 10 ans, les Rencontres du Mont Blanc prennent l’heureuse initiative de réunir les dirigeants de l’ESS avec l’objectif d’apporter des solutions innovantes pour contribuer à un développement économique et social durable dans le monde, et les travaux qui ont été menés au cours de ces journées ont d’ores et déjà apporté des idées nouvelles, enrichissantes et volontaristes.

Je voudrais en cet instant affirmer l’engagement du CIRIEC dans cette recherche de modèles économiques qui ont pour vocation l’intérêt collectif et la satisfaction des besoins sociaux, et qui privilégient l’efficacité économique, sociale, et environnementale plutôt que la rémunération à tout prix des capitaux investis.

Le CIRIEC constitue aujourd’hui un réseau scientifique de quelque 400 universitaires répartis dans quinze pays d’Europe, d’Amérique Latine, au Canada et au Japon.

Les travaux de ce réseau scientifique sont entièrement consacrés aux différentes formes d’économie d’intérêt collectif, et en cela le CIRIEC d’aujourd’hui se situe tout à fait dans la lignée de ses créateurs, et notamment celle du professeur Edgard Milhaud, économiste français, fondateur des Annales de l’économie coopérative en 1947.

La vocation du CIRIEC en tant qu’organisation scientifique internationale est en effet de mener des recherches non seulement sur l’économie sociale et coopérative, mais aussi sur l’économie publique, parce que celles-là constituent des formes économiques qui par finalité mettent les individus au cœur de leur modèle, non pas simplement comme consommateurs, mais aussi fondamentalement comme parties prenantes des systèmes qui leur sont destinés, et qu’ils devraient d’ailleurs beaucoup plus se réapproprier.

Parmi ces modèles qui privilégient l’humain et qui s’inscrivent dans l’intérêt général, l’économie sociale est bien sûr l’un des creusets très important dans lequel se nourrissent les recherches du CIRIEC.

Pour nous, l’économie sociale n’est pas un secteur à part, ni en marginalité, ni en alternative au système économique classique. Elle occupe sa place, et ce depuis longtemps.

Beaucoup de belles choses ont été dites au cours de ces journées sur la dynamique de l’ESS, son poids dans l’économie et son apport concret à la réduction des inégalités dans les territoires.

Pour ma part je voudrais faire ressortir dans le cadre de ce forum trois séries de questionnements qui me paraissent être des incontournables pour la durabilité de l’ESS dans le contexte tel que nous le vivons.

1 – Mon premier questionnement porte sur le rapport de l’ESS aux populations.

Comment l’ESS marque t’elle sa différence par rapport aux autres acteurs économiques qui interviennent sur le marché des biens et des services ?

Plus précisément, comment les entreprises et organisations de l’ESS parviennent t’elles à être reconnues par les populations d’une façon distincte des entreprises du secteur lucratif ?

Il est devenu évident que la seule démonstration de l’utilité sociale ne suffit pas pour éviter la banalisation dans laquelle sont entraînées les entreprises de l’ESS, et cela est assez préoccupant pour l’avenir du mouvement d’idées et de valeurs qu’elles portent et qu’elles promeuvent.

En effet, la logique de marché et de compétition économique, dont il convient bien entendu de ne pas nier les aspects positifs dans le progrès économique, a généré une société d’hyper consommation qui a modifié les comportements. La plupart des sociétaires des organisations de l’Economie Sociale et les bénéficiaires de leurs activités sont devenus de plus en plus consommateurs et de moins en moins adhérents ou sociétaires, et encore moins militants.

Nous le savons tous, dans le contexte de la mondialisation, nous sommes sous l’emprise d‘un système économique qui privilégie le marché et la concurrence, au détriment des systèmes de partage et de solidarité.

Ainsi, selon certains, tout doit pouvoir s’acheter et se vendre sans entraves, y compris les services qui relèvent de l’intérêt général.

Cette évolution a bien entendu des conséquences sur les relations des organismes de l’Economie Sociale avec leurs adhérents ou leurs sociétaires, et sur leur vie démocratique.

Je n’hésite donc pas à dire que la mise sur un piédestal du couple marché/ concurrence, et la dérèglementation excessive, sont les moteurs de l’affaiblissement du système de valeurs de l’ESS. Ils portent atteinte à la dimension mouvement d’idées portée par la coopération, la mutualité et le monde associatif, tout comme il porte atteinte également à l’action publique et à l’intérêt général, ainsi que le relèvent plusieurs économistes réputés, notamment Joseph Stiglitz.

L’enjeu pour l’ESS est donc de reconquérir l’adhésion de celles et ceux qui ont été transformés en hyper-consommateurs par « l’imperium » du marché et de la concurrence. C’est un objectif difficile, tant ce dogme de la concurrence à tout prix est à la base de notre système économique mondial, et la construction du modèle européen n’a pas échappé à cette évolution. La conséquence est que nos entreprises et organisations de l’ESS sont totalement banalisées, les populations ne faisant pas la plupart du temps de distinction entre les différents acteurs.

Pour autant, cet objectif de reconquête n’est pas un objectif inatteignable, et nous avons même quelques motifs d’espoir quand l’on voit la mobilisation des jeunes générations dans de nouvelles formes d’économies plus généreuses et solidaires, et les innovations dont elles sont capables.

De même, nous pouvons nous satisfaire intellectuellement des initiatives politiques qui sont prises pour faire reconnaître le poids de l’ESS dans l’économie, et la nécessité de son intervention pour contribuer au bien-être social.

A cet égard, la déclaration commune de New-York constitue sans doute un certain encouragement.

2 – Pour autant, et ce sera mon second questionnement : quelle est la réalité du soutien des Etats et des Institutions internationales en faveur de l’ESS ?

Dans plusieurs pays, des lois reconnaissant l’ESS ont été adoptées. Bien entendu cela a été de bonnes nouvelles.
Mais qu’en est-il réellement aujourd’hui, après que ces lois aient été adoptées ?

Je ne crois pas trop m’avancer en disant que le soufflé est quelque peu retombé. En France, et je parle sous le contrôle de mes collègues, il aura fallu du temps pour que les textes d’application soient pris et beaucoup de pression de la part des organes représentatifs du secteur pour qu’il en soit ainsi.

En réalité, au-delà des bonnes paroles et des belles déclarations politiques qui ont bien entendu leur importance, les entreprises de l’ESS restent considérées par les pouvoirs publics comme des entreprises comme les autres, comme des acteurs d’un marché où règne bien souvent une concurrence féroce, alors que dans bien des cas, elles ne sont pas forcément à armes égales par rapport à leurs concurrents du secteur lucratif.

Pourtant, nombre d’entreprises et d’organisations de l’ESS, si elles interviennent bien sur des marchés concurrentiels pour certaines activités, elles agissent également bien souvent dans l’intérêt général, en appui ou non des politiques publiques.

Or cela n’est pas suffisamment reconnu par les pouvoirs publics, qui ont plus souvent tendance à lorgner sur les réserves desdites entreprises, que dans certains cas ils n’hésitent pas à préempter sous forme d’impôts ou de taxes, plutôt qu’à les associer à l’élaboration et à la gestion des services d’intérêt général dans le but d’améliorer l’efficacité de politiques publiques à bout de souffle faute de moyens.

La place de l’ESS dans la co-construction des politiques publiques, notamment territoriales, mais pas que, nous paraît donc devoir être revendiquée, non pas comme sous-traitants ou comme organisations vassalisées, mais comme véritables partenaires. Ce serait pour le coup une véritable reconnaissance concrète de ce que sont les entreprises et organisations de l’ESS, et de ce qu’elles sont capables de faire en faveur des populations et de la gestion des biens communs. J’ai bien apprécié hier l’intervention de notre collègue du Sénégal sur les partenariats public-privé à vocation communautaire, et suivrai avec intérêt la déclaration d’engagement qui sera présentée sur ce sujet des PPP.

De son côté, le CIRIEC vient en effet de lancer une recherche sur la transversalité entre ESS et économie publique, parce que nous considérons que dans le contexte économique et social d’aujourd’hui, des synergies fortes entre ces deux formes d’économies sont les seules à même d’apporter des réponses aux besoins sociaux, et de redonner un sens concret aux valeurs universelles auxquelles croient celles et ceux qui militent pour une organisation de la société plus humaine, plus sociale et plus solidaire. Je précise que bien entendu, il ne s’agit pas pour l’ESS de se substituer à la puissance publique et de la dédouaner de ses responsabilités.

3 – Mon troisième questionnement porte sur le positionnement de l’ESS face aux diverses transitions auxquelles nous assistons, notamment le numérique

L’avènement de la révolution digitale va modifier considérablement le fonctionnement de nos sociétés, cela n’est contesté par personne.

Le développement des réseaux sociaux, la multiplication des applications numériques destinées à faciliter la vie au quotidien, l’utilisation des données rendues disponibles par l’open data, sont aujourd’hui les moteurs d’une profonde évolution des rapports économiques et des rapports humains.

  • Pour le meilleur, si cela améliore les conditions de vie, si cela améliore les rapports sociaux et la communication entre les individus, si cela favorise la recherche fondamentale, notamment en santé.
  • Pour le pire, si ces évolutions détruisent le tissu économique et les emplois, si elles ont des conséquences néfastes pour la protection sociale solidaire, si elles conduisent à une utilisation malveillante des données disponibles, si elles portent atteinte à l’éthique et à la démocratie.

Les enjeux de la transition numérique interpellent les pouvoirs publics bien entendu.

Mais ils interpellent aussi l’ESS qui doit s’emparer de ces évolutions afin de ne pas regarder passer les trains, et qui doit tirer parti des moyens technologiques mis à disposition pour reconquérir les populations, améliorer leur qualité de service, mieux faire connaître les valeurs qui les animent, mettre en œuvre de nouvelles formes de participation démocratique, et surtout pour faire contrepoids aux géants mondiaux qui mettent des moyens considérables pour capter les marchés.

Très clairement, nous disons non à « l’ubérisation » de nos sociétés !

Tels sont, chers amis, les questionnements qui me paraissent devoir être posés aujourd’hui. Les réponses qui pourront leur être apportées constitueront sans doute un gage de pérennité pour l’ESS dans sa dimension mouvement porteur d’idées et de valeurs.
Je termine en indiquant que ces questionnements sont au cœur des travaux menés actuellement par le Conseil Scientifique International du CIRIEC, et alimenteront le 31ème Congrès International qui se tiendra à Reims du 21 au 23 septembre 2016 avec un thème ambitieux :

Les politiques publiques face aux enjeux sociaux et démocratiques de la mondialisation.

  • Quels projets pour l’économie publique, sociale et coopérative ?

Mesdames et Messieurs, chers amis, les maux dont souffrent nos sociétés sont ces inégalités, ces injustices, ces richesses mal partagées, générées par les prédateurs d’une économie mondiale qui devrait être au service des populations.

Pour les combattre, il faut redonner un sens concret aux valeurs universelles auxquelles nous croyons tous, ici dans cette salle, nous qui militons pour une organisation de la société et une économie plus sociales et plus solidaires.

Ces valeurs ont pour nom : démocratie, solidarité, partage, responsabilité.

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