Tchernobyl: 30 ans plus tard, l’impossible bilan

Une quinzaine de séjours dans la zone interdite ne permettent ni de comprendre tout ce qui s’est passé, ni pourquoi la vie sauvage est revenue en force alors que les hommes, les femmes et les enfants souffrent toujours de la radioactivité.

Claude-Marie Vadrot  • 22 avril 2016
Partager :

Il y a trente ans, le pouvoir soviétique, l’Europe et la planète entière découvraient une vérité que les nucléocrates continuent à nier : le nucléaire civil peut être aussi dangereux et encore moins contrôlable que le nucléaire militaire. Face au bureau politique, les savants soviétiques volontairement ignorants, ou stupides, préconisèrent devant un bureau politique éberlué, le recours au vin blanc de Moldavie pour atténuer les effets de la radioactivité. Alors, en deux jours, Mikhaïl Gorbatchev, bouscula le Parti communiste et déclencha la perestroïka, en permettant au grand magazine Ogoniok puis à toute la presse soviétique, de dire toute la vérité sur l’accident de Tchernobyl. Ce qui contrastait avec les quelques lignes du quotidien local de Kiev reléguant en pages intérieures les quelques lignes annonçant « l’incident ». Conséquence de l’ouverture inattendue de la presse nationale, de la pression des pouvoirs occidentaux et de leurs opinions publiques : au bout de quelques mois, on en savait plus sur cette catastrophe que sur celle de Fukushima pour laquelle le gouvernement japonais verrouille toujours les informations sur l’étendue et les conséquences du désastre. Refusant, au contraire de ce qui s’est passé en Ukraine, l’aide des spécialistes étrangers, notamment des Français.

Que savons- nous sur Tchernobyl trente ans après ?

Qu’il y a eu deux explosions consécutives dans le réacteur, les causes de la seconde n’ayant jamais bénéficié d’une explication scientifique satisfaisante.

Que si la faune et la flore ont pu se remettre de la radioactivité au point que la zone interdite est devenue une véritable et passionnante réserve naturelle, les sols en sont toujours gravement pollués. Les hommes, les femmes et les enfants, en Ukraine, en Biélorussie et dans l’ouest de la Russie, eux, souffrent et meurent toujours de la pollution engendrée par l’accident, les scientifiques n’offrant encore aucune explication plausible sur ce phénomène qui épargne les animaux et la flore et frappe les êtres humains.

Qu’il est impossible de trouver un chiffrage des victimes postérieur à la catastrophe qui en fit immédiatement une trentaine. Jamais, les hôpitaux de Kiev, où des médecins ont pris en charge, année après année, les malades de l’atome, n’ont pu l’établir, autant pour des questions de désorganisation administrative que sous la pression des nouveaux pouvoirs désireux de réhabiliter leur pays devenu indépendant en 1991. Leur nombre est toutefois estimé à plusieurs milliers.

Que des enfants nés des années après la catastrophe, et pas seulement en Biélorussie, souffrent encore de maladies graves de la thyroïde.

Que s’il subsiste une surveillance des produits alimentaires en Ukraine, celle-ci a disparu depuis des années en Biélorussie et dans l’ouest de la Russie.

Que des hommes et des femmes ne sont pas seulement atteints de diverses formes de cancers, mais aussi de dérèglements de leur appareil digestif, de maladies cardiaques, de dérèglements du métabolisme et de graves dépressions qui se prolongent.

Que le nombre des victimes parmi les « liquidateurs » reste inconnu. Qu’il s’agisse de ceux qui ont déblayé les débris éparpillés au dessus du réacteur, bien qu’étant remplacés toutes les dix minutes, de ceux qui ont édifié à la hâte le sarcophage provisoire (qui dure et fuit toujours) pour contenir la radioactivité, de ceux qui ont tenté d’aller explorer les ruines du cœur du réacteur, de ceux qui ont construit le soubassement de béton destiné à limiter les infiltrations dans le sous-sol des fuites de liquide radioactif et de ceux qui ont survolé en hélicoptère le réacteur accidenté pour y larguer du matériel ou pour filmer les dégâts. Civils ou militaires, ils étaient (vraiment) des volontaires et sont repartis ensuite dans leurs lointaines Républiques d’origine où ils n’ont bénéficié d’aucun suivi médical. Beaucoup sont morts dans l’anonymat. Et si l’on peut estimer leur nombre à quelques milliers également, aucune statistique n’en dresse un compte exact.

Que dans le réacteur, la combustion de la matière fissible se poursuit. Ce qui explique la nécessité de mettre en place un nouveau et énorme sarcophage en acier (108 m de hauteur, 162 m de largeur et 257 m de longueur) dont l’installation par Vinci et Bouygues tarde depuis des années bien que le contrat de construction ait été définitivement signé en 2007, après un simulacre 4 ans plus tôt. Pour un coût actuellement estimé, selon les sources, de 530 millions à 1,5 milliards d’euros. Mais  sur cet aspect comme dans les autres, tout le monde ment effrontément. Ainsi, le contrat stipulait que ce sarcophage devait être mis en place en 2012. Au mieux cela se fera en 2017. Et les constructeurs affirment, contre toute vraisemblance, que leurs techniciens et ouvriers n’ont pas été affectés par la radioactivité ambiante alors qu’ils ont creusé dans un sol fortement pollué.

Que si la ville de Pripiat, 50.000 habitants à l’époque de l’accident, reste définitivement interdite, quelques centaines de personnes travaillent encore dans la centrale pour l’entretien des trois réacteurs à l’arrêt et dans la petite ville de Tchernobyl. Le fait que ces travailleurs et personnels de service alternent quinze jours de présence sur place et quinze jours de repos loin de la radioactivité, ne les met pas à l’abri des maladies engendrées par une pollution qui reste importante.

Que mes trois amis ingénieurs ukrainiens ayant participé au début des années 90 aux tentatives de réparations du cœur explosé au début sont morts d’un cancer…

A VOIR >> Voyages au pays de Tchernobyl (diaporama)

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don