L’autre 8 mai 1945…

Le 8 mai 1945, Bouzid Saâl, un jeune scout brandissant le drapeau algérien, est assassiné par un policier à Sétif lors d’une manifestation contre le fascisme et le colonialisme. S’en suit une émeute anti-européenne faisant 103 morts. La France se lance alors dans une véritable guerre de représailles qui tourne au massacre notamment à Sétif, Guelma et Kherrata dans le Constantinois. On comptera entre 15 et 45 000 morts chez les indigènes algériens. Au collège, peu de manuels le mentionnent et les programmes d’histoire n’évoquent pas clairement ces événements dramatiques considérés pourtant comme le prélude de la guerre d’Algérie. Il serait temps de traiter cette indépendance algérienne d’une manière apaisée.

Jean-Riad Kechaou  • 8 mai 2016
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L’autre 8 mai 1945…

J’ai découvert en septembre 2003 l’enseignement au collège et hérité de deux classes de troisième. On y enseigne l’histoire du 20ème siècle et un chapitre sur la décolonisation y figure. Les anciens programmes nous demandaient d’étudier particulièrement un cas de décolonisation plutôt pacifique (l’Inde) suivi d’un exemple plus belliqueux (l’Algérie).

Chose assez étonnante depuis 2012 et le changement de programme, il faut choisir entre l’exemple algérien, indien ou celui d’un pays d’Afrique subsaharienne ce qui est révélateur de ce malaise persistant concernant la guerre d’Algérie. Un élève peut donc très bien ne pas étudier ce conflit alors qu’il est à l’origine de notre changement constitutionnel ! Les nouveaux programmes mis en place à la rentrée 2016 confirment cela.

Frileux pendant mes deux premières années d’enseignement, je n’ai donc pas osé intégrer dans mon cours cet épisode honteux de notre histoire amenant au massacre de plusieurs milliers d’indigènes (entre 15 000 et 45 000 selon les historiens français et algériens). Je suis pourtant dans un collège fréquenté par un nombre important d’élèves d’origine algérienne. Pas un seul n’a jamais bronché. Peut-être que des discussions ont eu lieu à la maison au sujet de mon cours sans que je le sache. Je me souviens par contre de la colère d’un ami lorsque je lui expliquai que je n’en parlais pas aux élèves. D’ailleurs, aucun manuel d’histoire ne mentionnait ce massacre que la France a tardé à reconnaître sans pour autant s’excuser officiellement. Pourtant, cet événement est certainement l’épisode déterminant dans le choix des partis indépendantistes algériens d’opter pour un mode violent de décolonisation. Le général Duval à l’origine de cette sanglante répression avait d’ailleurs déclaré tel un devin: « Je vous ai donné la paix pour dix ans. » Il ne s’était finalement trompé que de six mois.

Le film Hors la loi de Rachid Bouchareb sorti en 2010 décrit plutôt bien ces événements malgré quelques distorsions historiques. Lancée par le député de droite Lionnel Luca, la polémique fut vive avant la diffusion du film au festival de Cannes. il avait fallu l’intervention du ministre de la culture de l’époque Frédéric Mitterrand et un comité d’historiens s’était même réunis, preuves s’il en fallait de cette tension toujours vive sur ce sujet.

Je n’ai donc évoqué ce massacre qu’à partir de 2005. Pourquoi cette date ? Car le 27 février 2005, l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, parla de «tragédie inexcusable» et déposa une gerbe de fleurs sur la tombe du jeune scout assassiné ce 8 mai 1945. En 2008, son successeur Bernard Bajolet condamna également « ces massacres épouvantables » rappelant de manière salutaire qu’on ne pouvait plus les nier: « Aussi durs que soient les faits, la France n’entend pas, n’entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé ». Malgré ses déclarations explicites, on ne mentionne toujours pas ces massacres dans la plupart des manuels d’histoire et les instructions officielles restent identiques. La guerre commence avec les attentats du FLN de la Toussaint rouge le 1er novembre 1954. L’historiographie sur le sujet doit absolument évoluer en mêlant les travaux des historiens français et algériens.

Quand on sait que l’immigration algérienne est la seconde en nombre de notre pays, il faudrait peut-être se dire que ce genre de traitement de l’histoire nous dessert sachant que dans de nombreuses familles françaises d’origine algérienne, il y a souvent un ancien combattant.

Traiter l’histoire d’une manière apaisée, reconnaître cet événement et s’excuser comme pour les autres, c’est nous permettre à nous enseignants de rallier plus aisément ces élèves aux valeurs et principes républicains. Ne pas le faire en cédant au patriotisme exacerbé de certains, c’est au contraire entretenir des débats qui endommagent à chaque fois qu’ils ont lieu notre cohésion nationale.

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