« The Last Face », de Sean Penn

Le réalisateur américain à la dérive.

Christophe Kantcheff  • 21 mai 2016
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« The Last Face », de Sean Penn
Photo : D.R.

Accident industriel dans la compétition officielle. Coup sur coup (à prendre aussi au sens littéral), nous avons eu droit à The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn (Drive, Only God Forgives), drôle d’objet toc-formaliste faisant songer à l’esthétique glacée des années 1980, et surtout à cette chose infâme, The Last Face, avec quoi Sean Penn touche le fond. Qu’est donc arrivé au réalisateur de Into The Wild (2007) pour oublier non seulement ses talents de metteur en scène mais jusqu’à sa qualité de cinéaste ? En effet, pris par la nécessité de dénoncer les atrocités de la guerre civile au Libéria et au Soudan du sud, et de raconter les terribles conditions que connaissent les médecins humanitaires (ce qui est louable en soi, bien sûr), Sean Penn réduit le cinéma à un instrument de propagande.

Formellement, le cinéaste produit une esthétique aussi ridicule qu’haïssable. Elle prend les atours du film promotionnel pour les ONG et les humanitaires. Ce qui se traduit surtout par de multiples ralentis, des flous artistiques, des couchers de soleil, des poses témoignant de l’engagement et de la gentillesse de ces braves médecins qui risquent leur vie pour des Noirs lointains. On est en pleine esthétisation de l’horreur, dans laquelle évoluent un homme et une femme aux amours difficiles, un médecin prêts à toutes les urgences, un mâle espagnol, fier et irrésistible (Javier Bardem, qui reste juste dans cette galère), et une responsable d’ONG, une blonde comac qui doit se déniaiser sur le terrain (Charlize Theron). Les autres personnages n’ont pas de consistance (dont ceux interprétés par des Français, comme Adèle Exarchopoulos, ou Jean Réno, qui prouve ici une nouvelle fois et non sans conviction son archi nullité). Tandis que les Libériens sont au mieux des silhouettes, mais plus souvent une masse informe.

Tout aussi indigne, cet incroyable entêtement à faire comprendre au spectateur innocent que la guerre, c’est vraiment pas beau, en multipliant les visions d’effroi. Le point d’orgue : quand un petit garçon se retrouve obligé par les « rebelles » (au Libéria, il n’y a que des « rebelles », n’est-ce pas ?) d’assassiner son père. Ou comment Sean Penn, citoyen de gauche, ou plus exactement démocrate, aveuglé par le message qu’il veut faire passer, abandonne toute éthique du regard et se noie dans l’atroce. Je ne vois comme concurrent direct dans la bouse ignoble que ce cinéaste précieux, programmé in extremis en sélection officielle (en séance spéciale, vraiment très spéciale…) – le seul à parvenir à ce prodige : Bernard-Henri Lévy…

Temps de lecture : 2 minutes
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