Qui veut régler son compte à Jacob Appelbaum ?

La star du projet Tor, Jacob Appelbaum, est accusée de harceler moralement et sexuellement ses collaborateurs. Mais la multiplication des témoignages anonymes à charge donne à l’affaire des allures de lynchage public.

Christine Tréguier  • 15 juin 2016
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Qui veut régler son compte à Jacob Appelbaum ?
Photo : Sean Gallup / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/AFP

Le 2 juin, un message lapidaire publié sur le site du Projet Tor (The Onion Router) annonce que Jacob « Jake » Appelbaum, développeur et figure emblématique du réseau démissionne de ses fonctions. Cet activiste de 33 ans, devenu le porte parole du réseau d’anonymisation des communications en ligne, sillone la planète et donne des conférences dans le monde entier. Deux jours plus tard, un communiqué signé de la directrice Shari Steele explique que ce départ fait suite à plusieurs accusations sérieuses de harcèlement moral et d’abus sexuels. « Ce type d’allégations n’est pas vraiment nouveau pour la communauté Tor ; elles vont de pair avec des rumeurs dont certains de nous ont eu connaissance depuis quelques temps. » La directrice précise que plusieurs plaignantes ont été entendues et que l’association a décidé de travailler avec une entreprise légale spécialisée dans les relations au travail, qui mènera des investigations et la conseillera sur la conduite à tenir. Tout ceci devant, pour protéger l’anonymat des personnes, ne pas être rendu public ultérieurement. Le même jour, un site anonyme portant le nom de jacobappelbaum.net est mis en ligne pour collecter les témoignages de potentielles victimes. On peut y lire huit récits décrivant Appelbaum sous les traits d’un manipulateur pervers et autoritaire, se livrant publiquement à des avances, des propos grivois, des baisers forcés ou des pressions morales.

Au début de la semaine suivante, Appelbaum publie un démenti évoquant « une attaque calculée et ciblée lancée pour répandre des accusations vicieuses et mensongères ». Il y affirme que « les accusations d’abus sexuels sont totalement fausses » et son agent Claudia Tomassini fait savoir au média en ligne Wired qu’il entend porter plainte. Selon lui, ces campagnes de dénigrement ne sont pas nouvelles. « Je suis un défenseur de la liberté d’expression et d’un internet sécurisé depuis longtemps et il y a eu de nombreuses tentatives pour saper mon travail. »

Les médias en ligne se sont emparés de l’affaire, en quête d’anecdotes croustillantes. Plusieurs collaborateurs et collaboratrices du projet Tor ont livré des témoignages, affirmant avoir vu ou entendu parlé de personnes victimes de harcèlement. D’autres sont venus démentir certains récits. Une femme, amie d’Appelbaum a par exemple écrit une lettre expliquant que ce que les témoins avaient pris pour une agression dans un hall d’hôtel n’était en fait qu’un jeu entre deux personnes éméchées mais consentantes.

Toutes ces histoires, si tant est qu’elles soient exactes, montrent Jacob « Jake » Appelbaum sous un jour peu reluisant, celui d’un homme imbu de son pouvoir, manipulateur, machiste à tendance narcissique et un brin sadique. Mais la tactique, apparemment cautionnée par une partie des employés de Tor, du site de dénonciations anonymes, laisse un arrière goût de règlement de comptes assez sordide. Une douzaine de femmes, amies ou collègues de Jake ont donc décidé de publier un communiqué de soutien. Bien qu’ignorant ce qui s’est réellement passé, elles disent ne pas reconnaître Jake dans le portrait qui est fait de lui, et dénoncent « l’assassinat d’un personnage public à travers de nombreuses diffamations en ligne et hors ligne. Ce n’est pas ainsi qu’on peut déterminer la vérité ou faire justice ».

Le communiqué de Shari Steele

Le communiqué de soutien

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