Le chantier de l’après-Montréal

Les difficultés rencontrées à Montréal ainsi que la tension accrue du contexte international ont poussé le Conseil international du Forum social mondial à engager des réformes de son fonctionnement.

Patrick Piro  • 17 août 2016
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Le chantier de l’après-Montréal
© photos Patrick Piro. Les débats du Conseil international du FSM.

C’est une tradition qui remonte aux origines, en 2001 : le Forum social mondial (FSM) (1) devrait-il prendre des positions sur la marche du monde ? Les principaux « sages » de son Conseil international, tel le brésilien Chico Whitaker, l’un des fondateurs, s’y sont jusqu’à présent toujours opposés, afin de sauvegarder le caractère fondamental du FSM : « C’est un espace ouvert, pas un mouvement social. Le Conseil n’est qu’un organe facilitateur de convergences, qui ne saurait s’autoproclamer “politburo” alors que la centaine de ses membres sont cooptés et n’ont aucune légitimité pour parler au nom du FSM ! » À l’opposé, le sociologue portugais Boaventura de Sousa Santos, qui propose pour l’occasion que le Conseil international instaure un « tribunal éthique » à Brasília pour « juger » les auteurs du coup d’État parlementaire qui a écarté du pouvoir la présidente Dilma Roussef en mai dernier. L’idée séduit largement au sein d’un sérail d’autant plus révolté que le Brésil est la patrie du FSM, né alors que l’ex-syndicaliste ouvrier Lula allait accéder à la présidence du pays. Deux autres demandes de motions politiques circulent : le soutien à la cause palestinienne via la campagne BDS de boycott des produits israéliens, ainsi qu’une condamnation des autorités canadiennes qui ont refusé leur visa à de très nombreux ressortissants des pays du Sud. « Ce n’est pas à nous, mais aux mouvements sociaux et organisations qui participent au FSM d’en prendre l’initiative ! », rétorque Chico Whitaker, dont la ligne a perdu du terrain à Montréal.

© Politis

Le sociologue étasunien Immanuel Wallerstein met en exergue le basculement du contexte mondial. « À l’offensive il y a dix ans, la gauche est aujourd’hui sur la défensive. mais ce sont les mouvements sociaux qu’il faut renforcer pour repartir de l’avant. » Moema Miranda, directrice de l’Institut citoyen d’analyses socio-éonomiques Ibase interpelle dans le même sens : « La voix du FSM aurait-elle pesé sur le cours des événements au Brésil ? Non, le grand problème, c’est que nos mouvements sociaux n’ont pas été assez forts pour empêcher le coup d’État ! »

Des mouvements sociaux qui ont en partie déserté ce forum, en raison notamment des problèmes de visa et de budget, mais aussi parce que la mouvance altermondialiste est en panne de stratégie face au durcissement des gouvernements libéraux — politiques migratoires, conflits, austérité, finance et multinationales dominantes, etc. Le français Gus Massiah invite à en tirer des conclusions. « Ouvrons une période de réflexion pour nous renouveler, en nous inspirant notamment des nouveaux mouvements nés dans le monde depuis 2011 — Occupy, Printemps arabe, mouvements étudiants, etc. —, et pour préparer les prochaines initiatives. »

Le Conseil international a pris date : quatre mois de réflexion, et un séminaire pour prendre des décisions en janvier prochain à Porto Alegre (Brésil). Et quid d’un prochain FSM ? Plusieurs idées sont en piste (pour 2018?) : Barcelone, où la maire issue des mouvements sociaux l’accueillerait à bras ouverts ; Porto Alegre au Brésil, retour aux sources pour entamer une reconquête ; au Sénégal ; ou bien un forum « polycentrique » — plusieurs lieux à la fois. « Et Kobané, où nous vous invitons », lance une femme dans la salle. Au nord de la Syrie… Personne ne sourit à la provocation, qui sonne d’abord comme un rappel à l’urgence d’agir face aux basculements du monde.

(1) qui a finalement réuni 35 000 participants, moins que les 50 000 espérés.

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