Le FSM de Montréal veut dynamiser les mobilisations citoyennes

Le grand rassemblement altermondialiste, qui se tient pour la première fois dans un pays du Nord, innove pour faciliter le passage de la réflexion à l’action.

Patrick Piro  • 10 août 2016
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Le FSM de Montréal veut dynamiser les mobilisations citoyennes
photo Patrick Piro. Inscriptions des participants au FSM 2016, dans les locaux de l'Université du Québec à Montréal (UQÁM).

Quinze mille pré-inscriptions, c’est beaucoup ou c’est peu ? Le Forum social mondial n’échappe pas à la dictature des chiffres. Les organisateurs de cette douzième édition (9-14 août), qui espèrent toujours parvenir à rassembler 50 000 participants, veulent relativiser des premiers signaux un peu moins flatteurs qu’attendu. « En mars 2015, à Tunis, seulement 7 500 personnes s’étaient inscrits à l’avance, et l’on a compté 47 000 participants sur l’ensemble du FSM », relativise le brésilien Chico Whitaker, l’un des co-fondateurs du forum en 2001.

C’est une forme de gageure que d’inviter la mouvance altermondialiste dans un pays du Nord, une première depuis la naissance du rassemblement. De nombreux invités africains, sud-américain et asiatiques se sont vus refuser leur visa par les services consulaires canadiens, soulevant l’indignation lors des premiers échanges à Montréal. Ainsi le Forum mondial des médias libres, qui se tient en parallèle du FSM, a-t-il fustigé cette « entrave à la liberté d’expression » et « la parole confisquée de ces acteurs de la construction d’un autre monde », plus juste et plus démocratique. Trois jours auparavant, les organisateurs alarmés avaient alerté la presse et fait parvenir au Premier ministre Justin Trudeau une lettre d’interpellation fustigeant notamment les arguments « inacceptables, exclusifs et discriminatoires » avancés pour fonder des réponses négatives aux demandes de visa. « Une réaction un peu tardive… », critique une personnalité altermondialiste.

C’est aussi une autre logique économique que de tenir un FSM au Nord. Le coût de la vie a pu dissuader certaines délégations occidentales de se rendre à Montréal (1). « Par ailleurs, les organisations du Sud sont éligibles à des soutiens financiers d’ONG ou d’institutions du Nord, ce n’est bien sûr pas notre cas », souligne Raphaël Canet, co-coordinateur du comité d’organisation canadien qui mise principalement sur l’autofinancement pour couvrir les coûts. L’accès à l’ensemble de la manifestation — 1 200 ateliers autogérées, débats, événements culturels —, a été fixé à 40 dollars canadiens (environ 30 euros), avec toutefois un tarif « de solidarité » quatre fois moindre. Délocaliser le FSM permet à des personnes qui ne le connaissent pas d’y participer, défend Raphaël Canet, « mais ce choix se justifie aussi par la nécessité de dépasser la fracture Nord-Sud. Si la richesse n’a jamais été aussi mal partagée, les tares du système libéral sont aussi présente au Sud qu’au Nord. » Chico Whitaker appuie : « Nous vivons sur une planète qui partage les mêmes problèmes globaux, tel le dérèglement climatique. »

Le vieux sage brésilien a soutenu activement l’attribution de l’organisation du FSM 2016 à un groupe de jeunes militants québécois émergé en dehors des grandes organisations citoyennes, ce qui lui a valu d’être contesté dans sa légitimité. Si le processus ne s’est pas appuyé sur un front associatif en bonne et due forme, comme ce fut le cas lors de forums précédents, il est soutenu par quelques 300 organisations d’horizons variés, précise Raphaël Canet. « Le forum a notamment rallié des groupes un temps très critiques, comme le Front d’action populaire en réaménagement urbain (Frapru), engagé auprès des sans logements. » Le mouvement Black lives matter (« Les vies noires comptent »), invité par le forum, participera aussi à Hoodstock, sommet de la cause noire qui se tiendra à Montréal le 13 août et qui s’articule en partie avec le FSM cette année.

Les organisateurs ont eu à cœur d’introduire des innovations destinées à mieux valoriser le foisonnement de réflexions et d’initiatives du forum. Une vingtaine de comités autogérés (économie sociale et solidaire, santé, environnement, solidarité internationale, féminisme, etc.) se sont constitués pour préparer la rencontre et donner de la cohérence aux grandes thématiques abordées. « Certains travaillent depuis plus d’un an, comme le comité jeunesse qui regroupe une trentaine d’organisations », salue Carminda Mac Lorin, co-coordinatrice du FSM 2016. Une synthèse de chaque thématique sera tentée à l’occasion de 26 assemblées « de convergence », qui auront pour tâche de présenter en plénière des initiatives susceptibles d’alimenter un calendrier international d’actions pour les mois à venir. « Un défi, reconnait Raphaël Canet. Ça ne s’est jamais fait dans les FSM… »

Gus Massiah, membre d’Attac France et grandes figures de l’altermondialisme s’interroge. « Pourquoi n’avons pas encore gagné, près de deux décennies après l’émergence de la mouvance ? » (2). Le FSM, l’un des principaux moteurs de cette dynamique, doit évoluer et se renouveler, estime-t-il. Une ambition lourde, dont les organisateurs de cette édition 2016 atypique affirment avoir pleinement conscience.

(1) Les Français, comme c’est classique, devraient former la délégation étrangère la plus nombreuse, avec près de 450 participants.

(2) à lire : Gustave Massiah : L’altermondialisme doit-il s’ouvrir ou se radicaliser  ?

Temps de lecture : 4 minutes
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