Journal inutile… (2)

… où il est question de méthode.

Bernard Langlois  • 6 octobre 2016
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Journal inutile… (2)
Photo: MARTIN BUREAU / AFP

Nous allons donc piocher, au petit bonheur, dans le riche gisement de réflexions et commentaires d’une actualité faite de bruits et de fureurs, dans laquelle notre pays engage ses armes, et donc expose ses hommes, dans des expéditions incertaines aux finalités douteuses.

LIRE >> Journal inutile (1)

De 2011 à 2016, et sous deux présidents prétendument différents, en vrac : bourbier afghan, guerre en Libye, engagements au Mali, en Centrafrique, participation à la coalition anti-Daesh en Irak, sans oublier la mobilisation sur le sol français dans le cadre de l’état d’urgence et de la lutte antiterroriste ; l’armée française est mise à rude épreuve et semble parfois au bord du burn-out.

C’est de ce malaise dont rendent compte les chroniques du Cadet, appuyant là où ça fait mal, mais en se donnant souvent l’air de parler d’autre chose, en habillant le propos de digressions historiques et littéraires érudites, de comparaisons plaisantes, morigénant l’époque selon le vieil adage : castigat ridendo mores. Telle est la méthode du chroniqueur : chaque billet, toujours de même longueur, est une petite comédie qui s’efforce de « corriger les mœurs en riant ». Sans y parvenir, hélas, et le Cadet en est bien conscient, vu le titre qu’il a donné à son recueil…

© Politis

Exemple de chronique rigolote : « Il s’agit d’un texte connu d’un abbé de Cour du XVIIè siècle, Gabriel-Charles de Lattaignant :  » Madame, on vous a dit souvent le mot, on vous a fait souvent la chose.  » Il faudrait l’apprendre par cœur dans les cabinets ministériels. Prenons le mot  » sécurité  » _: dite nationale, on lui compte 377 occurrences pour les 115 pages du Livre blanc, ce grand fatras de mots pour ne pas dire grand chose sauf que les Américains sont des gens sympas qu’il faudra prendre garde à l’avenir de ne plus contrarier_ […] » (Le mot et la chose, mars 2012).

Ou encore ceci, où l’auteur s’en prend sans le nommer à Bernard-Henri Lévy, une de ses têtes de Turcs favorites : « À l’heure où les séquelles de la guerre de Libye n’empêchent pas le stratège en chambre que le monde entier ne nous envie pas, d’en vanter le succès et de loucher vers la Syrie, on peut relire à 2 200 ans de distance ce discours de Paul-Emile, général et consul romain, cité par L’Encyclopédie à l’article  » Guerre  » :  » Il y a des gens qui, dans les cercles et les conversations et même au milieu des repas, conduisent les armées et prescrivent toutes les opérations de campagne : ils savent mieux que le général qui est sur les lieux où il faut camper et de quel poste il faut se saisir […]  » Comme à Rome ou à Paris les querelles de bouffons n’ont jamais tué personne, alors que dans le théâtre des opérations, ce n’est malheureusement pas de ridicule que l’on meurt, reprenons en chœur avec l’ami Offenbach :  » Allons-y donc et dès demain, repeuplons les salons du boulevard Saint-Germain !  » » (La Vie Parisienne, Octobre 2012).

Et tiens, à propos du même, deux ans plus tard, quand le Russe redevient à ses yeux (ceux de BHL) le nouvel ennemi prioritaire et que s’il ne tenait qu’à lui… : « Une idée digne de la grande duchesse de Gérolstein : c’est par ces mots que Lyautey, ministre de la guerre, prit connaissance du plan Nivelle. Qu’aurait-il dit d’une diplomatie encalminée et d’une France prise en étau entre le souvenir d’un enchaînement mortifère dont elle commémore le centenaire, et les déclamations bellicistes d’un autre Grand Duché, de Varsovie ? […] Tout l’été, les médias auront relayé les invectives d’un Voltaire de supérette dont le site La Règle du Je réclame une guerre qu’il ne fera pas plus que celles de Libye ou de Syrie. Et sans avoir à assassiner Jaurès, nous sommes passés de la terrasse du Flore à la boue des Éparges. Cette diplomatie des élégances oublie que personne n’a jamais atteint les limites d’encaissement – les pédants diront, de résilience – des Russes. Montgomery ironisait que tout l’art de la guerre peut se réduire à un seul impératif : ne jamais prendre la route de Moscou !  » Ainsi certaines gens, faisant les empressés, s’introduisent dans les affaires : ils font partout les nécessaires, et partout importuns, devraient être chassés « . À défaut de se souvenir de Monsieur de La Fontaine, nos Nivelle pourraient au moins relire le Mémorial de Las Cases et les Mémoires de Caulaincourt. » (Quai des brumes, Octobre 2014)

Qu’on ne s’y trompe pas : si le soi-disant philosophe, qui n’a plus depuis lurette quoi que ce soit de nouveau, est pour notre Cadet une cible récurrente, c’est, au-delà, la diplomatie de la France, sous Sarkozy d’abord, puis sous Hollande (c’est bien la même), son inféodation aux États-Unis d’Amérique, son statut de « dame de compagnie », qu’il dénonce sans relâche et d’une ironie qui fait mouche ; et c’est l’armée française qu’il défend en déplorant le rôle « qu’on nous assigne en Irak, négligeable au regard des moyens américains déployés, mais destructurant pour une armée déjà au-delà de ses capacités opérationnelles. »

On comprend que des dents aient pu grincer sous certains lambris.

(A suivre).

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