Publicité émotionnelle et algorithmie de l’intime

Après la publicité contextuelle, pilier de l’économie internet basée sur l’analyse de nos activités en ligne, voici venir la publicité émotionnelle. Une nouvelle façon, pour les géants du net, de sonder et cartographier nos cerveaux… pour mieux nous servir

Christine Tréguier  • 22 mars 2017
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Publicité émotionnelle et algorithmie de l’intime

Google et sa régie publicitaire Adwords ont fait fortune en collectant et en analysant les historiques de recherche des internautes afin d’afficher des publicités personnalisées en fonction de leurs centres d’intérêts. Facebook a adopté le même modèle et a ajouté à ce contexte informationnel – ce qui s’échange entre « amis » – d’autres données issues de l’analyse des images publiées par ses membres. De puissants algorithmes de reconnaissance lui permettent de savoir, si vous postez des photos de plages, que vous êtes en vacances, avec votre enfant, au bord de la mer, voire dans quelle station balnéaire si des éléments distinctifs sont visibles, et que vous êtes heureux parce que vous souriez. De même les assistants vocaux type Siri ou les objets connectés dotés d’une interface de reconnaissance vocale, sont capables d’analyser tonalités et vibratos des voix pour détecter l’humeur, et les bracelets et autres biocapteurs qui mesurent les pas, le rythme cardiaque ou le sommeil fournissent eux aussi des données indicatives de notre état mental.

Dans une article intitulé « La base de donnée des émotions » publié sur son blog, Olivier Ertzcheid, maître de conférences en sciences de l’information, voit derrière ces techniques de reconnaissance encore sommaires des émotions, le premier pas vers une nouvelle forme de marketing et de publicité émotionnels. « _Dans les interactions homme-machine qui domineront demain nos vies connectées, ce sont les « émotions » qui seront les mieux à même d’apporter les éléments contextuels nécessaires à la compréhension fine de nos requêtes et de nos (inter)actions ». C’est ce que les américains nomment l’ « informatique affective » (affective computing). Le « contexte » qui détermine la réponse de la machine ou du programme n’est plus ce à quoi nous nous intéressons, mais ce que nous ressentons, et cette algorithmie indiscrète marque le passage d’une « économie de l’attention » à une « biologie de l’attention ».

Premiers intéressés par cette quantification des émotions pour vendre du clic ou induire de l’achat, les géants du net que sont Google, Yahoo, Facebook et les réseaux sociaux en général, Amazon, Microsoft ou Apple. Preuve en est ce brevet Apple de janvier 2014, repéré par Olivier Ertzscheid, concernant une technologie permettant de « diffuser des publicités contextuelles en fonction de l’humeur de l’utilisateur ». Il y est question de déterminer l’humeur en fonction de caractéristiques physiques, comportementales ou spatio-temporelles : « Le rythme cardiaque, la pression sanguine, le niveau d’adrénaline, la fréquence respiratoire, la température corporelle et les expressions vocales peuvent être utilisés pour déterminer l’humeur d’un utilisateur. Les indices comportementaux incluent le type de média en train d’être consommé, la séquence (= l’ordre) dans lequel certaines applications sont ouvertes ainsi que l’activité sur les réseaux sociaux. Les données spatio-temporelles sont utilisées pour inférer certains types d’humeurs à partir de caractéristiques types de certaines humeurs déjà enregistrées. Dans certains cas, l’humeur est jugée par une caméra qui, lorsqu’elle est couplée à un logiciel de reconnaissance faciale, peut mesurer les expressions faciales. » Le tout étant versé dans une base de données, actualisée et enrichie par « des données externes comme par exemple le compte iTunes ».

Reste à disposer d’un catalogue de référence, classifiant les émotions, les matrices de reconnaissance captées et leurs corrélations pour nourrir les algorithmes. C’est ce que propose quelques sociétés dont Affectiva qui commercialise une « base de données de réponses émotionnelles aux médias numériques » d’environ 4,7 millions de visages analysés et de 50 milliards de points émotionnels enregistrés. Laquelle permettra selon elle d’« optimiser les contenus en maximisant, seconde après seconde, la réponse émotionnelle ». Cet argument de vente du meilleur service toujours plus personnalisé masque à peine les réels objectifs qui restent, encore et toujours, de capter les temps de cerveaux disponibles et de profiter des moments de faiblesse et de compulsion pour nous influencer. Avec ces cartographies intimes, les algorithmes proactifs de Google, Facebook and Co vont nous fabriquer du consentement et du désir sur mesure.

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