Trois ados face à la montée du FN

Sophie-Jade,  Maïlouna et Warren sont trois élèves de troisième âgés de 14 ans. Il y a un mois, ils ont eu la chance d’aller voir en avant première le film Chez nous. Adolescents, banlieusards, originaires d’Afrique, du Maghreb et des Antilles, ils sont plus que concernés par cette montée inexorable du Front national qui stigmatise à longueur de discours les jeunes comme eux. C’est cette haine banalisée décrite avec tant de justesse par Lucas Belvaux qui les a le plus secoués. Voici leurs réactions.

Jean-Riad Kechaou  • 1 mars 2017
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Trois ados face à la montée du FN
© DR
Sophie Jade, Maïlouna et Warren au cinéma de l’Etoile à Paris

Sophie-Jade

Chez nous est un film que j’ai beaucoup aimé car c’est un film-documentaire. Pauline Duhez est au début du film une infirmière plutôt de gauche sans histoires, aimée de toute la ville. Au moment où les représentants du Bloc patriotique, un parti extrémiste, viennent lui proposer d’être leur candidate aux municipales, elle accepte. Quand son père communiste apprend cela, il ne veut plus la voir. Certains de ses patients de différentes origines ne voient pas non plus son arrivée dans un parti extrémiste d’un très bon œil et ne souhaitent plus qu’elle vienne leur rendre visite. On se met un peu à leurs places dans le film. La descente d’un groupe de racistes dans le quartier HLM est vraiment choquante car ça peut arriver à n’importe qui. Je ne pensais pas que des membres du Front national pouvait être aussi violent envers les personnes immigrées, de couleurs de peau foncée ou de religions autres que la leur. Les propos lancés par Agnès Dorgelle tels que « bougnoule-ville » sont très choquants selon moi. Je savais que le racisme était très présent mais je ne pensais pas qu’il était présent à ce point. Je recommande donc vivement ce film qui nous montre la face cachée du Front national.

Maïlouna

Ce film réaliste et très cru ouvre les yeux à notre génération révélant une partie qui nous est peu connue de la politique. Concernant l’image des candidats par exemple, on teint en blond Pauline Duhez, ça m’a surprise. On comprend mieux aussi le pouvoir des médias et d’Internet sur l’esprit des gens. Chez nous montre aussi des actes de violence des néonazis qui nous rappellent que ce parti soi-disant modéré possède aussi des extrémistes. Personnellement, le personnage de Jamila, la fille de la patiente maghrébine de Pauline m’a beaucoup touchée par sa vision du Bloc patriotique. Elle est pacifiste et transcrit avec exactitude la pensée des adolescents de banlieue. Le Front national est contre nous, dangereux et ils nous souhaitent du mal. L’interprétation de Agnès Dorgelle par Catherine Jacob est si réaliste qu’elle en donne des frissons. Au départ, cette description du parti extrémiste me semblait exagérée et pourtant ce film est très fidèle à la réalité selon les recherches que j’ai faites. Chez nous est un excellent film qui mérite d’être vu surtout par des adolescents et de jeunes adultes qui doivent prendre conscience de l’importance du vote et de l’importance de défendre ses idées.

Warren

J’ai trouvé le film très intéressant car il permet de comprendre comment fonctionne le Front national, ses ambitions et aussi les conséquences graves s’il accédait au pouvoir. C’est un parti raciste ! Les scènes qui m’ont le plus choqué dans le film c’est celui du commando qui chasse les clandestins comme des animaux mais aussi celui du groupe de racistes qui rentre dans le quartier où vivent des populations d’origine étrangère. Leur violence était telle qu’un jeune a perdu son œil. Le film nous montre bien aussi comment un parti extrémiste peut répandre aussi facilement son influence sur une petite ville en profitant du contexte local (cambriolage, quartier « sensible »). J’ai constaté aussi l’absence de Noirs dans le film pourtant on est autant victime du racisme que les Maghrébins. Ma prof m’a expliqué que cela correspondait à la population immigrée du nord de la France. Plus que jamais ce film donne envie de voter pour éviter que ce parti arrive au pouvoir.

En écoutant la réactions de mes élèves après le film, ma surprise fut leur étonnement. Ils ne savaient pas que le Front national était un parti raciste et violent par manque de culture politique peut-être mais plus certainement grâce au travail de lissage voulu par Marine Le Pen. Celle-ci a clairement atteint son objectif grâce notamment aux médias qui l’ont surexposée. Nos élèves n’ont pas non plus de souvenirs des déclarations de Jean-Marie Le Pen. Sa fille est leur unique référence lorsque l’on évoque avec eux le mouvement frontiste.

Tout au long du film, le spectateur est bercé par des déclarations d’Éric Zemmour à la radio ou à la télévision. Ce clin d’œil du réalisateur au polémiste est certainement une façon de dénoncer la banalisation de la parole raciste dans les médias français et leur responsabilité dans la propagation de ces idées dans la société française. Les jeunes sont les premiers touchés par ce bourrage de crâne.

Lucas Belvaux réussit à décrire ce parti sans jamais basculer dans une vision binaire qui aurait été moins persuasive. C’est la force d’un film engagé par son thème et son timing mais non militant. En effet, grâce au talent d’Émilie Dequenne, on éprouve presque de la compassion pour cette infirmière qui finit par se laisser embarquer dans l’aventure électorale. On ne lui en veut presque pas quand elle adhère aux propos racistes qu’elle propage.

Ce film peut donc servir de support pour les professeurs souhaitant sensibiliser les élèves sur les rouages de la politique, plus particulièrement celui d’un parti qui réussit pour le moment son opération de communication en direction de la jeunesse.

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