Un bilan et mon palmarès idéal

Hormis quelques films de bonne tenue, la compétition s’est révélée médiocre.

Christophe Kantcheff  • 27 mai 2017
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Un bilan et mon palmarès idéal
Maryana Spivak, actrice de Faute d’amour d’Andreï Zviaguintsev.
© DR

La compétition s’est achevée hier, le jury va bientôt délibérer, et le bilan, comme dirait l’autre, n’est pas globalement positif. Contrairement à l’an dernier, où un très grand film inattendu, Toni Erdmann, de Maren Ade, avait électrisé la compétition, l’édition 2017 n’offre rien de tel. Aucune sidération, pas d’œuvre qui renouvelle le regard du spectateur. Plus grave : la compétition, composée de 19 films, a proposé trop d’œuvres boursouflées de prétention, à la limite du grotesque (Jupiter’s Moon, de Kornel Mundruczo, Mise à mort du cerf sacré, de Yorgos Lanthimos, L’Amant double, de François Ozon, You Were Never Really Here de Lynne Ramsay), quand elles ne sont pas dotées d’un regard rétrograde ou stupide, deux « qualités » non incompatibles (Le Redoutable, de Michel Hazanavicius, The Square, de Ruben Östlund, In the Fade, de Fatih Akin). Cela témoigne peut-être d’un moment de creux dans la production cinématographique des « grands auteurs », comme on dit à Cannes. Peut-être. Mais certaines œuvres sélectionnées dans des sections parallèles (Un certain regard, la Quinzaine des réalisateurs, la Semaine de la critique et Acid) n’auraient pas déparé dans la compétition. Affaire de choix, de prise de risque aussi.

Le cru 2017 de la compétition est donc médiocre, avec quelques films qui, heureusement, sortent du lot. Il y a ceux que j’ai déjà traités dans ce blog cannois : Okja, de Bong Joon Ho, 120 Battements par minute, de Robin Campillo, Rodin, de Jacques Doillon, Good Time, de Josh et Benny Safdie.

J’ai manqué de temps pour parler ici de Faute d’amour, d’Andreï Zviaguintsev, présenté à la presse au tout début du festival. Le portrait d’un couple qui divorce et se fait la guerre avec, au centre, mais comme un point aveugle, leur fils d’une dizaine d’années. Pour eux, il n’est qu’un poids. La volonté de refaire leur vie, « ratée » jusqu’ici à cause de la nullité de l’autre, domine les deux personnages. Il n’est pas anodin qu’ils appartiennent à la classe moyenne russe, dont l’égoïsme est dans le collimateur du cinéaste. Soudain, leur fils disparaît. La police étant dénuée de moyens suffisants pour effectuer l’enquête, les parents doivent s’en remettre à une curieuse association qui se voue à la recherche des personnes disparues. Le père et la mère, devant cette fugue à l’issue peut-être tragique, réagissent comme ils peuvent, dans une haine réciproque, et avec, insensiblement, la conscience que la fuite de leur fils parle aussi d’eux-mêmes.

Andreï Zviaguintsev (Elena, Léviathan…) s’empare de situations qui ne sont pas faites pour plaire au spectateur (une mère maltraitant son enfant) sans ce cynisme si courant aujourd’hui chez les « grands auteurs ». La façon dont il rend à son personnage féminin l’humanité qui lui manquait au début du film ouvre un possible, qui permet d’élargir notre horizon, et non de le rétrécir.

Dans d’autres sections, quatre films, dont il n’a pas été question ici, m’ont particulièrement retenu. Deux à la Quinzaine des réalisateurs : Jeannette, de Bruno Dumont, un film sur la jeunesse de Jeanne d’Arc, qui ne ressemble à rien de connu, une comédie musicale avec des acteurs non professionnels, sur les sons mi-heavy metal mi-électroniques d’Igorrr, et chorégraphiée par Philippe Decouflé. Avec une séquence chantée lui aussi, A Fabrica de Nada, de Pedro Pinho, contant la tentative de reprise en coopérative par les ouvriers d’une usine vouée à être délocalisée. Les deux autres à Un certain regard : L’Atelier, de Laurent Cantet, où Marina Foïs en écrivain se confronte, au sein d’un atelier d’écriture pour jeunes déshérités, à un garçon tenté par les idées d’extrême droite. Et Jeune femme, de Léonor Serraille, premier film enlevé, porté de bout en bout avec brio par Lætitia Dosch.

Dernière précision : le fameux documentaire d’Emmanuel Gras, Makala, a remporté le grand prix de la Semaine de la critique, où il était présenté, ainsi qu’une mention de la part du jury de L’Œil d’or, un prix récompensant un documentaire.

Mon palmarès idéal

Palme d’or

Good Time, des frères Safdie. Du cinéma à l’os, direct comme un uppercut. La cavale d’un petit malfrat inventif, désireux de sortir son frère de prison. L’esprit sans prétention mais plein d’alacrité du polar des années 1970. Et un formidable Robert Pattinson (candidat au prix d’interprétation masculine). On pourra objecter que Good Time n’a pas la marque « grand prestige » que réclame la palme dans l’esprit de beaucoup. Ce serait précisément ce qui en ferait son prix. Disons que ce serait un hold-up réussi et réjouissant.

Autre choix : Okja, de Bong Joon Ho. Mais il s’agit d’un film produit par Netflix, qui a décidé de ne pas sortir le film en salles. Ce serait une première, qui relancerait de plus belle la polémique.

Grand Prix

120 Battements par minute, de Robin Campillo. Une chronique des combats d’Act Up-Paris pendant les années où le sida tuait sans relâche. Le romantisme n’y a pas sa place, la cérémonie des adieux, oui.

Prix d’interprétation féminine

Maryana Spivak (photo), pour son rôle dans Faute d’amour, d’Andreï Zviaguintsev. Son interprétation d’une mère égoïste et non aimante, personnage difficile, est remarquable.

Prix d’interprétation masculine

Ayame Misaki, pour son rôle dans Hikari, de Naomi Kawase. Si la cinéaste japonaise signe ici un film un peu en deçà des deux précédents, Still the Water et Les Délices de Tokyo, Ayame Misaki incarne un photographe perdant la vue avec beaucoup d’intensité et de retenue.

Autre choix possible : Jean-Louis Trintignant, dans Happy End, de Michael Haneke. L’acteur semble au-delà de tout contrôle. Tous ses gestes, ses regards, les phrases qu’il prononce (avec cette voix extraordinaire, qui ne s’altère pas avec l’âge) sont là comme une évidence.

Prix du jury

Le Jour d’après, de Hong Sang-soo. Un éditeur pris entre une épouse jalouse et une maîtresse acrimonieuse qui vient de le quitter, reçoit une jeune femme, Aerum, pour son premier jour de travail à ses côtés. Comme souvent chez le cinéaste coréen, le personnage masculin est flottant, ne sachant pas où il en est. Les discussions les plus profondes, il les a avec Aerum, qui, elle, a trouvé une forme de sérénité dans la foi. Dénuée de complexité narrative, contrairement à ses films précédents, Le Jour d’après déploie sa mise en scène précise et élégante.

À demain soir, pour un commentaire du palmarès.

Temps de lecture : 6 minutes
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