Professeur. Et si l’avenir c’était (encore) vous ?

Ce mardi 10 octobre, les fonctionnaires de notre pays sont appelés à faire grève et à manifester. Le gel du point d’indice en 2017 et 2018 accompagné de la hausse de la CSG annoncent une chute du pouvoir d’achat. Dans l’enseignement, cette baisse est avérée depuis 2002 et a pour conséquence une pénurie d’enseignants pour le moins inquiétante. Explications.

Jean-Riad Kechaou  • 10 octobre 2017
Partager :
Professeur. Et si l’avenir c’était (encore) vous ?

J’ai préparé le concours du Capes d’histoire-géographie durant l’année scolaire 2001-2002. À l’époque, le gouvernement Jospin et son ministre de l’Éducation nationale Jack Lang avaient décidé de faire du recrutement des enseignants une priorité. On annonçait une pénurie de professeurs avec le départ en retraite annoncé des « babyboomers ». 165 000 postes étaient donc à pourvoir sur les cinq années qui devaient suivre (2002-2007) pour remplacer la moitié du corps enseignant devant partir en retraite entre 2001 et 2011.

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab01023318/20-heures-le-journal-emission-du-16-mai-2001

Reportage sur la campagne de recrutement des enseignants lancée par le gouvernement Jospin, journal télévisé du 16 mai 2001, Ina.

Ces spots publicitaires m’avaient marqué. Je venais d’avoir ma licence d’histoire et j’hésitais à poursuivre mes études. Je n’avais jamais envisagé l’enseignement. Attiré par un métier apportant une certaine reconnaissance et la sécurité de l’emploi, je m’étais donc décidé à m’inscrire au concours malgré le salaire plus que moyen et la possibilité d’être envoyé loin de chez soi .

J’ai ainsi réussi mon concours lors de la dernière année du quinquennat de Jospin. On m’a effectivement envoyé loin de chez moi (à 800 km pour être précis) avec un salaire extrêmement bas (1360 euros net pour être précis) en m’offrant en échange une zone de remplacement. On peut difficilement faire moins attractif comme début de carrière.

En 2002, Le gouvernement Raffarin avait stoppé net cette campagne de recrutement. Plus que 850 postes à pourvoir pour la session 2003 du Capes d’histoire-géographie. J’avais fini à la 868e en 2002. Je n’aurais donc pas été admis.

Entre 2002 et 2007, les salaires des fonctionnaires furent bloqués et le nouveau président Sarkozy décida d’augmenter les professeurs via des heures supplémentaires défiscalisées en encourageant les enseignants à les prendre (avec une prime annuelle de 500 euros pour au moins 3 heures supplémentaires à l’année). Six professeurs qui acceptaient et c’était un poste en moins à créer. Fini aussi la formation des professeurs stagiaires pour économiser des postes. Rappelons que le président Sarkozy avait également promis de ne remplacer qu’un départ à la retraite sur deux. Une saignée mémorable que l’on paie encore aujourd’hui au prix fort.

La masterisation ( (l’obligation d’un bac + 5 contre un bac + 3 précédemment pour passer les concours d’enseignants) et l’augmentation insuffisante de salaire des nouveaux enseignants pour la compenser ont ainsi sonné le glas du recrutement des enseignants en détournant un nombre incalculable d’étudiants.

Sous le quinquennat de François Hollande, malgré les 60 000 postes annoncés et la remise en place d’une formation des enseignants, la pénurie d’enseignants a persisté. La profession est toujours aussi peu attractive, l’image du métier s’est dégradée et/car les salaires n’ont pas été revus à la hausse si ce n’est chez les professeurs des écoles qui ont enfin obtenu une prime mensuelle longtemps réclamée (l’indemnité de suivi et d’orientation d’une centaine d’euros).

Il y avait seulement 5 333 inscrits au Capes d’histoire-géographie en 2016 (contre 7 574 en 2002). Une discipline qui se porte bien pourtant si on la compare à d’autres, notamment les mathématiques. En 2017 , 17 % des postes du Capes, soit 1 303 postes, qui seront donc adressés à des professeurs contractuels ou vacataires, n’ont pas été pourvus. Certains parmi eux mériteraient pourtant le statut de titulaires, d’autres débarquent dans ce métier sans avoir les compétences. Il suffit de voir le reportage affligeant d’« Envoyé spécial » sorti en novembre 20165 et intitulé « prof à la gomme ».

Même avec ces contrats précaires, la France est en pénurie d’enseignants. En Seine-Saint-Denis, il manquait chaque jour l’an dernier entre 250 et 400 professeurs des écoles. Najat Vallaud-Belkacem fut ainsi obligée de créer un concours externe supplémentaire de recrutement de 500 professeurs uniquement pour ce département. Les recalés des autres académies peuvent donc s’y inscrire. Voilà le seul argument pour un territoire qui aurait besoin de professeurs chevronnés.

Le métier s’est donc précarisé surtout dans les académies les moins attractives. La situation est inquiétante dans l’enseignement mais ce constat est aussi valable dans la santé ou la police. Nos salaires sont bas et la sécurité de l’emploi ne justifie en rien cela. Tous les pays d’Europe de l’Ouest versent des salaires plus élevés à leurs enseignants. Un professeur français commence en moyenne avec 24 595 euros de salaire annuel contre 50 764 euros pour un professeur allemand. L’Allemagne est pourtant souvent utilisée comme une référence…

Alors en regardant ce spot publicitaire ce matin : « Professeurs. Et si l’avenir c’était vous », la réponse, seize ans plus tard, est assurément non. Une bonne raison pour faire grève aujourd’hui.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don