08-08-18, Calais-Londres

Viviane, 25 ans, suit la Marche solidaire pour les migrants de Vintimille à Londres, organisée par l’Auberge des migrants. Au jour le jour, elle retrace son périple sur ce blog, illustré par des photographies du collectif Item.

Viviane  • 5 juillet 2018
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08-08-18, Calais-Londres
© Crédit : Jeanne Frank / item

Avant de monter dans le car pour Londres, chaque membre du collectif de sans-papiers s’est vu remettre sa carte d’adhérent plastifiée avec photo. Je me sens bizarre sur mon siège. Elle aurait pu être donnée à quelqu’un d’autre. Je suis là parce que je correspond au critère du mérite, ayant fait toute la marche. Je pense aux autres qui restent au pays…

L’auteure : Viviane

J’ai 25 ans, je suis originaire de Bretagne, j’ai fait des études de psycho. J’ai fait six mois de bénévolat à Calais puis j’ai été intégrée dans l’organisation de la Marche des migrants. Je ne sais pas où je serai dans six mois mais mon prochain projet est un voyage humanitaire au Togo. Mon père est vidéaste. Il m’a prêté sa caméra pour que je documente ce que je vis avec les marcheurs, mais je préfère écrire…

Les photographes

Le Collectif item est une structure de production indépendante qui se donne le temps et les moyens nécessaires pour construire de véritables sujets, pensés comme des récits photographiques à part entière. Il rassemble aujourd’hui 12 photographes, un graphiste et une vidéaste, autour de l’impérieuse nécessité de raconter le monde, pour ne pas rester les yeux fermés. Leurs travaux peuvent être vus sur leur site ici.

 

Photo : étape 44 : Villeneuve-Saint-Georges Paris, France le 17 juin 2018. Arrivés devant la Mairie d’Ivry avec leur banderole, les marcheurs intimident les badauds qui savouraient tranquillement leur plateau d’huitres.

Hier, nous avions attaché des morceaux de tissus noirs aux grilles qui encerclent le port pour symboliser les morts aux frontières. Nous venons de repasser devant, tout a déjà été enlevé.

Au sas de contrôle français, je me retourne et je vois Zakaria me regarder sortir par la bonne porte. Derrière lui, les Noirs amassés dans un coin. Entre nous deux, la file de Blancs pour le check des pièces d’identité. Je n’oublierai jamais cette image.

Le dernier de la file a un « titre de voyage pour réfugié ». Au sas de contrôle français, ça a pris un peu plus de temps qu’un vrai passeport. C’est au sas de contrôle anglais qu’il a été refoulé. Pour les réfugiés, il faut un visa qui demande huit mois de procédure pour aller en Angleterre. Il comprend que, malgré son passeport-sésame, il a moins de droits qu’un Français. Colère et dégoût.

Retour vers le bus à moitié vide. Le chauffeur lance : « J’ai failli faire de la garde à vue parce que je transportais des passagers clandestins. Je ne fais que ma journée de travail moi !»

On nous informe que ceux qui sont restés vont être auditionnés au CRA (centre de rétention administrative) « pour faire un bilan de leur situation ». Je prie pour eux. Qu’est ce qui va leur arriver ? Je me sens coupable. Et si on leur avait interdit d’essayer ? Et si on leur avait dit une énième fois que cette frontière était spéciale ?

Une des action du CSP75 est de passer des frontières en déclarant aux autorités qu’ils sont sans papiers et de revenir en étant des voyageurs modèles. Ils avaient déjà réussi une telle action auparavant mais à une autre frontière.

Sur le ferry : « On est en train de faire un attentat olfactif. » dit Gilles, en badigeonnant de la colle néoprène sur du carton. On a confectionné des panneaux avec les photos de toutes les personnes restées à la frontières.

Les Londoniens ont vu des marcheurs vides. Ça été les derniers mètres les plus durs de la marche. Il y avait une incroyable chorale. Normalement, on aurait dansé, chanté. La joie était partie. Elle était notre carburant.

J’ai encore donné une interview que j’aurais voulu modifier après l’avoir terminée. À la place de dire que je rêverais qu’il y ait des ponts au-dessus des montagnes et des océans, j’aurais voulu dire que je rêverais que tous puissent rester auprès de leurs familles et mener la vie qu’ils veulent où ils veulent.

Au retour, je vois la photo d’Ali. Les larmes coulent. La vue du couché de soleil sur le ferry du retour apaise un instant ma douleur. « J’adore les couchers de soleil. C’est l’espoir d’un jour meilleur à venir », explique Anne-Lise.

12-07-18, épilogue

Ça y est je m’arrache de la Marche et même du monde des migrants en France. Je n’ai pas pu écrire ce dernier texte de l’étape Calais-Londres avant de partir pour de bon. Je ressasse le passé et angoisse pour le futur. Impossible de vivre l’instant présent. Difficile d’être bien dans sa peau.

Les jours suivants, lorsqu’on a appris que certains allaient rester au CRA, les panneaux-photos nous ont permis de nous recueillir, de penser à eux, de prier, de méditer… Ce qui nous a donné l’illusion d’avoir un impact sur une telle situation. En activant notre réseau, manifestations, mails, etc., sur les cinq gardés au CRA, trois ont été libérés. À ce jour, les deux autres personnes y sont toujours, dans l’attente de leur déportation.

© Politis
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Temps de lecture : 4 minutes
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