Antisémitisme, antisionisme et « unité, moins un »

Maël Brillant et Richard Cohen (MRSH-Cerrev) reviennent sur la question de l’antisémitisme en France.

Maël Brillant  et  Richard Cohen  • 26 février 2019
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Antisémitisme, antisionisme et « unité, moins un »
photo : LAURE BOYER / HANS LUCAS

Le 12 février dernier un très court communiqué de presse (1) du ministère de l’Intérieur dévoilait une flambée des actes antisémites en 2018, passant de 311 faits recensés l’année précédente à 541. Une information préoccupante, publiée au lendemain de l’infâme violation de l’arbre de la mémoire en hommage à Ilan Halimi.

Ces phénomènes, bien que relayés dans les médias, ont pris une toute autre mesure dans l’opinion politique à la suite des injures proférées à l’endroit d’Alain Finkielkraut, samedi 16 février rue du Montparnasse. L’occasion de disqualifier le mouvement social des gilets jaunes était sans doute trop belle. Là où le mépris de classe n’a pas suffit, l’ignoble parviendra peut être.

Les gilets jaunes étaient la foule, puis la foule illettrée, puis la foule illettrée et casseuse – de symbole et de bien, dans les mille feuilles de sa monstruosité cette foule jaune est maintenant antisémite. Il y a, bien sûr, une veille à ce que l’indigne ne naisse pas de l’indignation. Mais ce que l’on peut dire par la pratique du terrain, c’est que l’indigne ne l’emporte pas dans le mouvement des gilets jaunes. Faut-il rappeler que la pluralité des opinions est d’abord la règle sur laquelle se fonde la contestation.

Pour autant, un grand nombre des manifestants refusent la convergence à tout prix – ayons un instant en mémoire les affrontements entre droite extrême et antifa à Paris (2) (des actions de ce type ont aussi eu lieu en province, au Mans notamment). Ensuite, le mouvement des GJ s’est activé et renforcé sur les deux derniers mois de l’année 2018, il serait irresponsable de le tenir pour responsable de la hausse des actes antisémites.

Cette chape de plomb, qu’est l’instrumentalisation politique des chiffres, ne doit pas nous empêcher de penser l’antisémitisme à l’aune du système de (re)production de l’ethos national, intrinsèque à la reproduction des contraintes du capital – cette réflexion est déployée par Richard Cohen, doctorant à la Maison de la recherche et des sciences de l’homme de Caen.

On parle de vous

« Lorsque vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » (3) À travers cette citation qui a fait date, Frantz Fanon touche avec précision ce qui est à l’arrière plan de l’exclusion antisémite : le signifiant d’une nation qui se délite. Non par le fait que le judaïsme serait un socle national (ce serait un contresens que d’admettre que ce socle existe, et qu’en plus il serait judéo-chrétien) mais par le fait que l’antisémitisme est le degré zéro de l’exclusion, le point de départ d’un dé- tissage, qui in fine, n’épargnerait personne. Voilà, ce que Frantz Fanon nous dit : l’exclusion du juif, dit quelque chose de notre propre exclusion à terme.

L’insécurité existentielle se prolonge généralement dans « l’arcqueboutage » identitaire, des stratégies qui entraînent une mise à distance de ce qui peut apparaître comme monstrueux à la nation, c’est à dire ce qui la perd, sur le plan de la pureté, de la prospérité ou bien de la morale. Ici le geste de l’arrachage de l’arbre en hommage à Ilan Halimi, est tout à fait typique sur le plan du symbole, c’est dire : « nous refusons, que les racines de cet arbre se mêlent plus encore à notre terre ».

Mais une fois le judaïsme sorti de « l’unité nationale » – une fiction créée de toute pièce par la réduction – nous serons forcé de constater que cette mise à distance n’aura en rien améliorer le quotidien de la « communauté retrouvée ». Car les maux du temps, ne sont pas les conséquences de la pluralité culturelle, religieuse, ethnique ou morale. Et alors, face aux conséquences continuées d’un capital enragé, combien de temps mettrons nous pour trouver de nouvelles monstruosités au sein de la communauté, un motif nouveau ou rénové d’exclusion ?

L’histoire nous montre à bien des endroits que la réduction semble plus simple que l’augmentation, à l’aune du principe (4) – comme medium / message – sur lequel son économie repose, mais aussi échappe à la conscience ; et que re-saisit Heidegger dans ce qu’il sonde comme « modernité » : ce « présent perpétuel (…) qui tend à annuler tout développement ultérieur véritable, […], l’histoire des idées, luttes et conflits réels n’existant que par leurs pâles représentations dans les antinomies du système [NDLR : qui en conditionnent, sous le signe de la stasis – comme structure et produit politique d’une compétition acharnée que se livrent réciproquement, et à armes égales, l’ensemble des citoyens, sous le signe de l’isonomie – l’équilibre ou le statu quo]. » (5)

Nous sommes tous des juifs en jaune

Les mécanismes que l’on saisit au coeur de la répression économique « du juif » nous in-forme, en tant que tel, sur le traitement médiatique nécessairement appliqué par la superstructure démocratique à l’ensemble des corps « étrangers » ; le droit de cité marquant structuralement le principe, ou l’axiome qui en fonde objectivement le rapport au monde sur la base d’un antagonisme primordial : « dedans / dehors », « citoyen / étranger », « civilisation / barbarie », et décliné au cours de l’histoire à l’échelle des intériorités matérielles (cité, ville, Royaume, État-nation, communauté économique, etc.) dans les formes économiques (concurrentielles) suivantes : « aristocrate / travailleur », « homme / femme », « seigneur / serf », « maitre / esclave », « bourgeois / prolétaire » ; assignant l’ensemble des rapports structurés – quel que soit le mode de production considéré, et respectivement intégré – à la violence structurelle des sociétés étatiques industrielles (dont nous situons les proto- formes efficaces dans les démocratie grecque et république romaine).

L’« égalité de tout-e-s instituée au coeur d’un système concurrentiel (car hiérarchique) », que traduit politiquement (à l’époque) le concept d’isonomie, aboutit nécessairement au (dé)classement tendanciel opérant au coeur de la masse aliénée, dont les différents éléments luttent, non plus contre le référentiel dominant (l’exploitant, le maitre ou le chef), mais pour en intégrer efficacement dans la production (commerciale ou militaire) « l’existence » ; comme à fois sujet et re- présentation moyenne de « l’identité ».

Le « conformisme » qui en sous-tend positivement le procès tient nécessairement a priori à la concurrence qu’il induit ; la « réussite » (relative) s’éprouvant tout aussi nécessairement au prisme de l’échec des « concurrents » directs, de leur disqualification, d’une part ; de la discrimination de ce qui y est « étranger », d’autre part. La réapparition du fléau de l’antisémitisme intègre les bacchantes d’une crise politique généralisée, au cœur de laquelle le pouvoir – dans ses différentes formes ; sous ses différents masques – s’abat indistinctement ainsi sur tous les symboles en contredisent l’exercice ; et qu’il met cyniquement aux prises, les « gilets jaunes » se voyant successivement frappés du sceau du populisme, de la xénophobie, de l’antisémitisme, etc., bref, de « l’infamie » depuis le 17 novembre dernier ; à l’image de « la réserve d’indiens » (6) qui, dès lors que ses membres « sortent de leur rôle, confiné au fond de panneau du paysage, comme personnes pittoresques », identifiables à des poncifs idéologiques, […] deviennent dangereux : ils rompent alors avec le consensus mou de la démocratie molle ; ils rompent avec la règle du jeu ; ils brûlent des pneus (…) » (7) ou des voitures ; ils débordent du territoire périphérique de « la cité » auquel ils sont physiquement et matériellement astreints ; ils occupent un espace auquel ils sont étrangers ; « […] ils sont hors-champ social. [Et dans pareilles circonstances] l’appareil idéologique montre alors ses dents, et mord cruellement : ce qui est “moqueries de classe” devient, à certains égards, “exclusion”, “haine de classe” » (8), reconfigurant toujours plus efficacement, en réaction, le code normatif de la soumission « moyenne » au pouvoir et à ses institutions.

La stigmatisation, ou la haine, de « l’autre », de l’étranger, ne marque rien d’autre si ce n’est l’obéissance réaffirmée à l’injonction démocratique relative à l’existence : « Vous êtes avec nous OU contre nous. Choisissez votre camp. L’enjeu : la survie » ; autrement-dit la négation affirmée de sa condition matérielle de classe (et de l’antagonisme qui en fonde économique les rapports d’exploitation) et la publicité de ce qui en fonde physiquement l’institution : la violence démocratique médiatisant, au coeur du salariat, et comme système concurrentiel intégré, la conformité citoyenne : « Toutes les fois qu’un des adversaires frappe l’autre [Ndlr : que l’un des acteurs, ou agents, économiques en concurrence l’autre], il espère conclure victorieusement le duel ou le débat, porter le coup de grâce, proférer le dernier mot de la violence.[…]. C’est la victoire, en somme, c’est la violence irrésistible qui oscille d’un combattant à l’autre, pendant toute la durée du conflit, sans parvenir à se fixer nulle part. Seule l’expulsion collective [Ndlr : de la production], on le sait, parviendra [Ndlr : symboliquement] à la fixer définitivement, en dehors de la communauté. Le désir, on le voit, s’attache à la violence triomphante.[…]. Si le désir suit la violence comme son ombre, c’est bien parce que la violence signifie l’être [Ndlr : déterminant unidimensionnellement la conscience] et la divinité [Ndlr : la nation, la Raison ou bien encore l’enseigne, qui en subjective la prescription juridique]. Si la violence unanime, c’est-à-dire la violence qui s’élimine elle-même passe pour fondatrice, c’est parce que toutes les significations qu’elle fixe [Ndlr : autour de l’identité diminuée, donc monstrueuse], toutes les différences qu’elle stabilise sont déjà agglutinées à elles et oscillent avec elle, d’un combattant à l’autre, tout au long de la crise sacrificielle [Ndlr : et chronique de la production].[…]. Ce qu’une première violence croit fonder, une seconde violence le subvertit [Ndlr : ou plutôt, le dynamise tout en en conjurant symboliquement l’institution] (9) pour le fonder à nouveau ; tant que la violence demeure présente entre les hommes, tant qu’elle constitue un enjeu [économique] à la fois total et nul, identique à la divinité [Ndlr : que recouvre en soi, et pour n’en venir qu’à elle-même, la violence de l’accumulation – primitive et/ou marchande – du capital], elle ne se laisse pas immobiliser. C’est bien là ce que Les Bacchantes nous laissent entrevoir. L’idée de la divinité comme enjeu passant de l’un à l’autre, et semant la destruction sur son passage, est essentielle à la compréhension des thèmes tragiques. » (10)

Girard nous interpelle ainsi, et à sa manière, sur le caractère structurel de la domination « ramené à la dialectique du maître et de l’esclave [Ndlr : au coeur du salariat essentiellement ; les mécanismes économiques de l’héritage opérant au coeur de l’ordre en place, garantissant dans une très grande mesure la conservation monopolistique de son exercice par l’aristocratie de roche], puisqu’elle n’a aucune stabilité, puisqu’elle ne comporte aucune résolution synthétique. » (11)

Figeant politiquement la finalité « collective » lui étant assignée dans le réaffirmation individuelle de l’identité citoyenne, les dynamiques comme le cadre disciplinaire qui en soumettent l’expression fixent la concurrence à la fois dans la production, comme principe inclusif de réalité – synonyme, chez E. Durkheim, de paix sociale –, et en dehors, comme logique d’exclusion – qu’elle vise indifféremment à travers l’histoire l’esclave, la femme, l’ouvrier, l’immigré, le sémite, l’improductif, etc. –. « Ce n’est donc pas quelque trophée sportif, quelque divinité de pacotille que les antagonistes s’arrachent, c’est leur âme, leur souffle vital, c’est l’être lui-même [Ndlr : en tant qu’identité manifeste, existante, car reconnue comme telle] que chacun assimile à la violence de l’autre, du fait de la convergence des désirs mimétiques sur un seul et même objet. » (12)

L’insoumission consciemment (ou non) manifestée à la mimesis, ou bien encore l’impossibilité de rejoindre le champ de bataille, signent logiquement ainsi l’exclusion du sujet de l’arène ; et a fortiori du monde comme cité religieuse de la production (13) ; l’enjeu (ou leurre) que découvre, sous forme de « victoire » ou de « réussite », la crise sacrificielle permanente du capitalisme fixant, et concentrant sur lui seul, l’humanité fragmentée. C’est pour quoi la victime émissaire – ou le double monstrueux – identifie le déficit, la diminution, ou bien encore la transgression de cette norme ; autrement-dit la soustraction de l’étranger, ou du « barbare », à la violence structurée et structurante de l’organisation démocratique. « La psychologie moderne a un mot qui est probablement plus utilisé que n’importe quel autre mot de la psychologie ; ce mot est “inadapté” [Ndlr : en anglais, maladjusted]. Il s’agit du cri d’alarme de la psychologie infantile moderne : inadapté. Bien sûr nous voulons tous avoir une vie bien « adaptée » afin d’éviter une personnalité névrotique ou schizophrénique. Alors que j’en arrive à ma conclusion, j’aimerais vous dire qu’aujourd’hui, d’une manière très honnête, qu’il y a des choses dans notre société, et dans notre monde, auxquelles je suis fier d’être inadapté. Et j’invite tous les hommes de bonne volonté à être inadaptés à ces choses, jusqu’à ce qu’une bonne société soit réalisée. Je dois vous dire, honnêtement, que je n’ai jamais essayé de m’adapter à la ségrégation raciale et à la discrimination. Je n’ai jamais voulu m’adapter à la bigoterie religieuse. Je n’ai jamais essayé de m’adapter à des conditions économiques qui prennent l’essentiel à tous pour offrir le superflu [Ndlr : plutôt surplus] à quelques-uns, laissant des millions d’enfants de dieu s’étouffer dans la cage hermétique de la pauvreté, au milieu d’une société d’abondance [Ndlr : de violence]. » (14) (Luther King Martin, 1967)

Au-delà des mécanismes de normalisation, et de stigmatisation, ciblés dans le discours par Martin Luther King, dont il saisit pertinemment la « nature », celui-ci participe ainsi inconsciemment à la déconstruction du procès économique de production de la différence, et a fortiori de l’altérité comme déformation objective de la scission opérée entre l’être et la (non)conscience (de soi) par le capital ; et dont les fuites « névrotiques » et/ou « schizophréniques » témoignent concrètement de la violence conditionnant identiquement, mais aussi intégralement, la production sociale de l’ensemble des sujets aliénés, réduits à lutter, sous le signe de l’égalité citoyenne, comme « soldats » ou « travailleurs » pour la conquête, ou la conservation, d’une propriété ou d’une condition qui n’a jamais été leurs ; et qui ne le sera véritablement jamais.

Comprenant le capitalisme comme la crise sacrificielle permanente, mais néanmoins nécessaire, de la production, l’oscillation chronique des (op)positions différentielles, signant donc (en apparence) l’instabilité de l’ordre culturel qui en est spécifiquement le socle, en affirmerait et consoliderait ainsi au contraire l’équilibre ; la position hiérarchique occupée dans la production, comme le niveau de concurrence qu’elle médiatise entre elle et ses « rivales », transcendant la tension originelle, et irréductible, installée entre l’idéal institué et les conditions matérielles (physiques) d’existence du sujet aliéné : la poursuite interminable de la divinité à laquelle ce dernier se lance le rappelant toujours plus, dans la victoire, à la violence intégrale qu’en recouvre la quête ; dans la défaite, aux conditions premières qui en déterminent la séparation ; et qui, toutes, deux, en signent tragiquement l’échec (15).

La résolution univoque à la quelle se destine tragiquement toute relation concurrentielle signe ainsi l’identité des rivaux qu’elle met aux prises : « La réciprocité est réelle mais elle est la somme de moments non réciproques.[…]. Les deux antagonistes n’occupent jamais les mêmes positions en même temps, c’est bien vrai, mais ils occupent ces mêmes positions successivement. Il n’y a jamais rien d’un côté du système qu’on ne finisse par retrouver de l’autre [Ndlr : la violence n’en (re)venant toujours qu’à elle-même] pourvu qu’on attende assez longtemps.[…]. Plus les coups se précipitent, plus il devient clair qu’il n’y a pas la moindre différence entre ceux qui se la portent, alternativement. De part et d’autre, tout est identique, non seulement le désir, la violence, la stratégie mais encore les victoires et les défaites alternées, les exaltations et les dépressions.[…] tous les antagonistes […] vivent chacun des moments non réciproques trop intensément pour parvenir à dominer le rapport, pour embrasser plusieurs moments d’un seul regard et pour les comparer de façon à percer le caractère illusoire de l’extrême singularité à laquelle chacun, pris individuellement, se croit voué [Ndlr : et que médiatise religieusement – extérieurement mais aussi exclusivement – la “forme-valeur” de la marchandise], exception unique dans un univers où tout, en dehors de lui-même, paraît banal, uniforme et monotone. Les mêmes, en effet, qui demeurent aveugles à la réciprocité, quand elle les engage, la perçoivent très bien quand ils n’y sont pas impliqués.[…]. De l’intérieur du système, il n’y a que des différences ; du dehors, au contraire, il n’y a que de l’identité. Du dedans on ne voit pas l’identité et du dehors on ne voit pas la différence.[…]. Seule la perspective du dehors, celle qui voit la réciprocité et l’identité, celle qui nie la différence, peut repérer le mécanisme de la résolution [Ndlr : (re)production] violente, le secret de l’unanimité [Ndlr : l’identité] refaite contre la victime émissaire et autour d’elle. Quant il n’y a plus du tout de différence, on l’a vu, quand l’identité est enfin parfaite, nous disons que les antagonistes sont devenus des doubles [Ndlr : ce qu’ils ont d’ailleurs structurellement toujours été] ; c’est leur caractère [Ndlr : fonctionnel] interchangeable qui assure la substitution [Ndlr : la (re)production] sacrificielle [Ndlr : permanente du capital]. » (16)

Une fois l’hallucination de la différence, de la singularité, de la particularité – en définitive d’une individualité fantasmée – évaporée, s’y substitue mécaniquement, et de manière tout aussi hallucinatoire, le monstrueux qui en simule nécessairement – mais négativement cette fois – le point de fuite ; la résolution hallucinée du conflit – comme le retour à la « paix sociale » qu’elle présuppose – tenant dans l’identité pure parfaite des mêmes ainsi symboliquement opposée à ce dernier, et réalisée contre lui ; dans son exclusion réelle du monde existant. « Pour que l’unanimité violente devienne possible,[…], il faut que l’identité et la réciprocité finissent, d’une manière ou d’une autre, par s’imposer aux antagonistes eux-mêmes, par triompher à l’intérieur du système », sous la forme moyenne – diplomatique dedans ; exclusive dehors – de la citoyenneté ; et dont elle donne l’image d’une formation composite « […] où les “hauts” et les “bas” antérieurs, tous les “extrêmes” qui jusqu’alors s’opposaient et se succédaient sans jamais se confondre […] », en apparence seulement, en affirment collégialement, face au prolétaire (ou Gilet Jaune) officiellement l’unité.

C’est bien moins la vérité contenue dans la sentence que la nature du processus, de la procédure qui le produit nécessairement en tant que tel qui nous indique ainsi que « le double et le monstre ne font qu’un » ; la crise, le crime, le critère, la critique « remontent tous à la même racine, au même verbe grec, krino, qui signifie non seulement juger, distinguer, [se] différencier, mais accuser, condamner une victime. » (17)

« Il n’y a pas de monstre qui ne tende à se dédoubler, il n’y a pas de double qui ne recèle une monstruosité secrète. C’est au double qu’il faut donner la précédence, sans toutefois éliminer le monstre ; dans le dédoublement du monstre c’est la structure vraie qui affleure. C’est la vérité de leur propre rapport [Ndlr : de leur unité – identité symboliquement scindée en images seulement], obstinément refusée par les antagonistes qui finit par s’imposer à eux mais sous une forme hallucinée, dans l’oscillation frénétique de toutes les différences [Ndlr : de la différance]. » (18)

Cette production « nécessaire » du monstrueux témoigne donc à la fois :

● de la violence intégrale de l’organisation démocratique, au coeur de laquelle il sert idéologiquement à en catalyser tragiquement la production, comme la circulation ;

● de l’impossibilité structurelle à se réaliser, pour les mêmes, comme l’incarnation pure et parfaite de la divinité (le « modèle de réussite » socialement institué), qu’ils se vouent identiquement tous à copier ou concurrencer, mais sans jamais parvenir à l’égaler, ou s’y substituer ;

● de la réversion des modalités / modulations dynamiques de la citoyenneté – ou « droit de cité » –, conjurant ainsi l’irréalisation effective d’une identité économique « pure et parfaite » de la totalité aliénée dans l’exclusion de ce qui en signe manifestement le plus l’éloignement.

L’antisémitisme n’est pas l’antisionisme

C’est alors une grande idée que « l’augmentation », par souci de l’ouverture à l’autre, elle nous intime un nouveau travail de médiation, celui-ci intègre un volet sémantique. Car l’antisémitisme trouve ses sources de façon plurielle, il y a un antisémitisme de source chrétienne, que l’on peut associer aux « marchands du temple » (19) ou à la thèse du peuple (prétendu) déicide. Il y a aussi un antisémitisme, pétri de complot, plus éloigné des sources religieuses.

Celui du juif représentant un double tabou : l’exogène et l’argent. Je ne forcerai pas sur l’imaginaire projeté, que chacun doit avoir, plus que de mesure, à l’esprit. Mais il y a aussi une forme “moderne” d’antisémitisme, celui qui se construit face à la politique de Benjamin Netanyahou (et ses prédécesseurs, mais il est important de ne pas parler de “politique d’Israël”), c’est l’antisémitisme des ruines de Sabra et Chatila, celui de la bande de Gaza. C’est ici que la sémantique intervient, et qu’il est important de rappeler qu’un mot n’en est pas un autre. Les velléités de domination et les stratégies militaro-économiques des élites politiques d’Israël, n’est pas le judaïsme, et ne le sera jamais. Il faut sans doute le rappeler pour les personnes qui voudraient faire, trop vite, la passerelle entre judaïsme et sionisme, et ils sont de chaques côtés.

Nous pouvons, au nom de la liberté de conscience et d’expression nous opposer aux stratégies politiques d’un état temporel, quand bien même ses justifications seraient d’ordre spirituel (qui ne condamnerait pas la sharî’a saoudienne ?). Car même s’ils sont muselés, les opposants politiques, israéliens et juifs, à Netanyahou existent (20).

Et il faudrait veiller à ne pas « essentialiser le judaïsme à sa seule branche orthodoxe. Comme les autres monothéismes, le judaïsme est multiples, et sa branche libérale, même minoritaire, travail la tradition au corps (21). Dans cette “multi-polarité” interne, certains courants sont eux-mêmes antisionistes (22).

C’est pourquoi en plus d’entraver plusieurs libertés, il y a un risque à faire de l’antisémitisme le nom de l’antisionisme et inversement. Le fait d’en faire un système interdépendant, entérine symboliquement le fait, que les juifs seraient “essentiellement” sioniste, que la foi se prolongerait systématiquement dans le politique – pour la plupart des juifs, c’est une pure aliénation, où chacun part le monde, devra porter le poids des décisions prisent en Israël.

En plus d’être un contresens historique et philosophique ce système marque un peu plus le creuset du complot ! Car vous aurez tôt fait de trouver nombre de complotiste pour dénoncer une protection accrue des sionistes (se demandant pourquoi les juifs sont « autant protégés »), ne nous mentons pas, c’est déjà le cas. Et nous avons là, une sphère politique qui, par conséquence de ses réactions sensationnalistes, nourrit la bête qu’elle cherche à combattre.

Car elle répond à l’essentialisation des premiers, par la même erreur. Elle confirme le système fantasmé judaïsme / sionisme, ce faisant, elle confirme le terreau du complot, donc en accélère sa diffusion.

La où il y a un flou

Pour conclure du point de vu strictement politique, l’extension de la définition de l’antisémitisme à l’antisionisme, marque pour le gouvernement une défaite supplémentaire sur le terrain de la cohérence. Effectivement, comment pouvons- nous justifier un tel écart de traitement entre le judaïsme et l’islam ?

Au moment même où le projet de réforme de la loi de 1905, prévoit de mieux encadrer la provenance des ressources financières des associations cultuelles et d’étendre l’autorité de la police des cultes – dans l’objectif avoué de diminuer l’influence de l’islam politique – nous nous retrouvons avec un judaïsme politique, inatteignable et protéger par le droit même qui inféode l’islam à l’État.

L’extension égale d’un tel système, voudrait que la définition de l’islamophobie soit étendue au salafisme, nous verrions un grand nombre de politique, quelques sociologues et Michel Onfray (23) devant les tribunaux … Nous pouvons nous interroger sur les capacités de projections des élites au pouvoir, mesurent-ils les conséquences durables d’une telle différence de traitement entre les cultes ?


(1) https://www.interieur.gouv.fr/Espace-presse/Les-communiques/Lutte-contre-la-haine-la-discrimination-le-racisme-et-l-antisemitisme

(2) https://paris-luttes.info/gilets-jaunes-le-so-d-extreme-11601

(3) Peau noire, masques blancs – Frantz Fanon – Seuil, 1952

(4) « […] en philosophie comme dans les sciences, les termes principium, Prinzip et Grundsatz sont employés indistinctement comme synonymes. On peut leur adjoindre le terme Axiom, qui est d’origine grecque. […]. [Bien que] les mathématiciens grecs ne comprenaient pas les axiomes comme des principes – ce qu’ils entendaient par axiomes ressort de la définition qu’ils donnent du mot – […], Platon emploie volontiers […] axiomata [Ndlr : à l’aune d’une connaissance intrinsèque des choses objectives].[…] habituellement traduite par “représentation communément admise”. Leibniz, en un certain sens, est encore fidèle à cette interprétation de l’axiome, mais à vrai dire avec cette différence essentielle qu’il définit l’axiome comme une proposition [Ndlr : qui n’est rien que l’induction de la re-présentation] : “Les axiomes sont des propositions qui par tous sont tenues pour manifestes » – « considérés attentivement, ils ressortent de leurs termes mêmes ».[…]. Il est essentiel d’observer que les principes et les axiomes ont le caractère de propositions. Il sont les propositions suprêmes, pour autant que, lors de la dérivation des propositions les unes des autres, dans les démonstrations et les raisonnements, leur position est de quelque manière supérieure. », Heidegger Martin, Le Principe de raison, Op. Cit., pp. 66 – 67

(5) Cornélius Castoriadis, Les Carrefours du Labyrinthe II, Editions du Seuil, 1978, p. 140

(6) Naudy Michel, Les Nouveaux Chiens de garde, https://www.dailymotion.com/video/x5pws7j

(7) Ibid

(8) Ibid

(9) Il suffit de rendre compte du type de prescription juridique dont jouissent, essentiellement depuis la fin des années 70, les phénomènes dérégulatifs du marché. Le caractère arbitraire, et donc fondamentalement violent, de cette dernière fut ainsi affirmé en Mars 2018 par Emmanuel Macron, le président de la République française, alors en voyage à New Delhi, et qui, s’adressant à un parterre d’étudiants indiens, définissait un « leader », moins comme celui « qui décide de tout ou qui fait tout », mais comme « quelqu’un d’inspirant et de mobilisant “grâce à la force de sa vision et sa capacité à s’entourer des bonnes personnes pour l’appliquer” » ; ne cherchant pas la « reconnaissance de son action chez les autres », mais qui fonce « dans la direction qui me semble être la bonne » ; tout en rappelant qu’il « ne [faut surtout] jamais respecter les règles. » https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/emmanuel-macron-a-des-etudiants-indiens-ne-jamais-respecter-les-regles_2658304.html

(10) Ibid

(11) Ibid

(12) Ibid

(13) Considérée comme le berceau de la démocratie, la cité hellénique se réalise – à la fois comme vision du monde et langage politique objectivés – dans une identification parfaite à la déesse de la guerre – Αθήνα (Athina / « Athènes » en français) – qui en a, à charge, la protection.

(14) Ibid

(15) Cette impossible conciliation entre l’idéal démocratique économiquement institué et l’aliénation (ou déclassement social) du sujet discipliné n’a jamais été aussi clairement établie (et ce bien malgré lui) que par Julien Rochedy, ex-président du Front National de la Jeunesse (2012-2014), et figure emblématique du mouvement masculiniste français. Dans une interview donnée à la chaine youtube Tépa (#tépatriote ; https://www.youtube.com/watch?v=mgGdrWOesbo), J. Rochedy concède ainsi que l’ « idéal (et non l’essence) de l’homme européen » qu’il valorise, et renvoyant au modèle du « gentilhomme qui travaille sa culture, son coeur, son caractère et son corps », lui demeure effectivement inaccessible : « Je ne suis pas un coach, moi personnellement,… Je suis à la recherche de ma masculinité.. Et tous les hommes, c’est la base de “la masculinité”, c’est qu’on n’est jamais des hommes en fait, on doit toujours… c’est un idéal que l’on doit poursuivre en permanence. On n’est pas dans la posture “Nous sommes les coachs, on va vous apprendre comment être des hommes”,… Ce serait ridicule. On est plus, si tu veux une métaphore, quand on va à la faculté t’as souvent plein d’élèves qui sèchent les cours, et ceux qui vont en cours, qui prennent les notes, et après qui les partagent à tout le monde, tu sais. En fait, nous on est plus des élèves comme ça, en fait. » Il en expose ainsi clairement le caractère institutionnel, comme fondamentalement extérieur, auquel il noue donc un rapport strictement disciplinaire ; et qu’en trahit manifestement d’ailleurs la posture très scolaire qu’il dit adopter face à on ne sait quelle divinité, ou « maitresse », masculine, que seule la philosophie ou « culture » officielle, qui la référence comme telle, érige à ce rang.

(16) Girard René, La Violence et le Sacré, Op. Cit.

(17) Girard René, Le Bouc émissaire, Op. Cit.

(18) Girard René, La Violence et le Sacré, Op. Cit.

(19) Confirmant la relation du peuple juif à l’usure, dans la maison sacré de Dieu, Matthieu 21:12-27

(20) ici un petit exemple de la situation politique de la coalition : [https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/En-Israel-Benyamin-Netanyahou-vent-debout-contre-elections-anticipees-2018-11-19-1200983 992](https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/En-Israel-Benyamin-Netanyahou-vent-debout-contre-elections-anticipees-2018-11-19-1200983 992)

(21) Un peu de lecture concernant le mouvement libéral en France : https://www.mjlf.org/fr

(22) En bas de cet article, une traduction française de la charte de l’IJAN (international jewish anti zionist) : https://blogs.mediapart.fr/fxavier/blog/240912/les-juifs-antisionistes

(23) A vous le soin de juger de son billet portant sur les injures en direction de Finkielkraut : https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/le-jaune-le-vert?mode=text

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Temps de lecture : 26 minutes
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