Fausse réserve

Le metteur en scène Laurent Hatat explore l’écriture secrètement explosive de Michel Vinaver dans un duo mère-fils nonchalamment trompeur.

Gilles Costaz  • 15 mars 2007 abonné·es

Le metteur en scène Laurent Hatat explore l’écriture secrètement explosive de Michel Vinaver dans un duo mère-fils nonchalamment trompeur.
Les gens parlent trop, et les écrivains aussi. C’est sans doute ce que pense Michel Vinaver, l’un de nos plus grands auteurs de théâtre, et celui qui émet le moins d’avis en affichant la neutralité d’un minéral. À l’opposé de l’art engagé, l’auteur des Huissiers et d’ Iphigénie Hôtel ne dit jamais, dans ses pièces, ce qu’il pense. Bien évidemment, il pense beaucoup. Il est même, quand on le suit à travers le temps, toujours du côté des faibles, de ceux que la société met au chômage, des colonisés. Mais ses oeuvres se gardent d’émettre un point de vue. Elles aiment la contradiction des situations, des attitudes, des sentiments, celle du présent, celle de l’Histoire. À nous, spectateurs, d’écrire une morale, un message final, si nous en éprouvons l’envie, quand ce théâtre savamment brut nous est tombé dessus. La pièce que monte Laurent Hatat, Dissident, il va sans dire , appartient au registre le plus minimal de l’auteur : douze séquences très courtes sur une durée d’une heure. Même le titre défie notre culture et nos références politiques. L’un des personnages est, en effet, dissident mais dans le sens vaniteux, mensonger du mot.

Dans un petit appartement, une mère et son fils d’une vingtaine d’années tentent de vivre ensemble. Le père n’est pas là, il a renoncé à la vie de famille. La femme travaille dans un bureau. Lui est au chômage, mais il aurait trouvé du travail chez Citroën, si l’on croit ses propos toujours à contre-pied. Elle veut l’aimer, lui manifester son amour, mais il lui glisse entre les doigts. Pourtant, à certains moments, il fait mine de la draguer ou lui demande si elle a besoin d’un homme. Le temps passe, la vérité va apparaître sans que l’action aboutisse à une conclusion, sauf cette révélation : le jeune homme avait une tout autre activité que celle qu’il disait exercer.

Mettre en scène Vinaver est difficile parce qu’il faut respecter le style de l’écrivain, qui est de donner le moins d’informations possible, tout en éclairant le plus possible l’enjeu et les personnages. Laurent Hatat, jeune artiste qui travaille à Lille, a su donner une force secrète à chacune de ces douze scènes. Il a prolongé le plateau par une sorte de miroir grand comme un mur, où la représentation se lit en reflet et où passent en surimpression des images à interpréter. Il a injecté de la musique dans la pièce et fait disparaître les bruits (quand une sonnerie doit retentir, c’est le silence, mais sur l’écran s’inscrit le mot « sonnerie »). Catherine Baugué est une mère comme suspendue entre deux personnages, celui qu’elle voudrait être et celui qu’elle paraît être. Denis Eyriey incarne un fils jamais violent et pourtant d’une nonchalance trompeuse. Le spectacle diffuse cette fascination d’un type moderne que l’on aime : derrière l’apparente banalité se révèlent peu à peu les explosifs du monde où nous vivons.

Culture
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