Stratégie tricolore

Michel Soudais  • 29 mars 2007 abonné·es

Cocorico ! La campagne se pare de bleu-blanc-rouge. En meeting à Marseille, le22 mars, Ségolène Royal exalte « la Marseillaise », « le chant de toutes les libertés » , et convie les 8 000 personnes réunies à entonner l’hymne national. Deux fois plutôt qu’une. Le lendemain, c’est un autre emblème de la République qu’elle promeut : « Je pense que tous les Français doivent avoir chez eux le drapeau tricolore. Dans les autres pays, on met le drapeau aux fenêtres le jour de la fête nationale » , affirme la candidate socialiste lors d’un échange informel avec la presse, dans le petit village de Correns (Var). Si elle est élue à la présidence de la République le 6 mai, ajoute-t-elle à la surprise de ses proches, elle fera « en sorte que les Français connaissent « la Marseillaise », que dans toutes les familles il y ait le drapeau national qui soit là » . L’allocution prononcée juste avant par Mme Royal avait été ponctuée par une « Marseillaise » chantée a capella par quelque 400 habitants du Haut-Var.

Entre ces deux épisodes, la candidate, représentée sur ses affiches, déclinées en rouge ou bleu sur fond blanc, en Marianne subliminale, avait fait une brève halte devant l’ancien club des Jacobins, où, en 1792, pour la première fois à Marseille, fut chanté le « chant de guerre de l’armée du Rhin », composé à Strasbourg par Rouget de Lisle. Ségolène Royal avait ensuite visité le camp des Milles, où ont transité 10 000 déportés entre 1939 et 1942, lorsque la zone sud du pays était administrée par le seul régime de Vichy, déclarant à cette occasion que « c’est en ayant le courage de regarder notre histoire en face que nous pouvons continuer à forger notre identité nationale » .

Ce n’est pas la première fois que candidate du PS s’empare du thème et des symboles de la nation. Elle l’avait déjà fait, sur les mêmes terres d’élection du FN, à Vitrolles, le 29 septembre, lors du lancement de sa candidature. Le fait que Nicolas Sarkozy se soit à son tour emparé du thème de l’identité nationale pour séduire l’électorat populaire lepéniste explique pour une part qu’elle ait décidé d’y revenir. Mais pour une part seulement.

Car la glorification de la nation au moment où les chefs d’État et de gouvernement célébraient, à Berlin, le cinquantième anniversaire de la construction européenne ne doit pas grand-chose au hasard. Et l’on ne donnera pas tort au président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, Alain Bocquet, de trouver « suspect » ce surgissement des symboles nationaux dans la campagne, venant de « candidats qui ont milité pour le « oui » à la Constitution européenne, qui justement mettait en cause une partie de la spécificité française, les services publics notamment » . Il l’est d’autant plus que Mme Royal avait elle-même suggéré de profiter de « l’occasion exceptionnelle » du 50e anniversaire du traité de Rome pour « nous reposer la question de ce que nous voulons » sans oublier « d’y associer les citoyens » , lors d’une conférence de presse consacrée à ses propositions sur l’Europe, le 11 octobre.

À défaut d’avoir complètement oublié cette suggestion, il est patent que la candidate socialiste a préféré contourner le problème. Interrogée sur ses propos dimanche, au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, Ségolène Royal a expliqué que « l’une des motivations des catégories populaires qui ont voté « non » à la Constitution européenne était une question existentielle sur le point de savoir si la France allait se diluer dans l’Europe » . Les Français, a-t-elle ajouté, pourront « d’autant plus fortement se tourner vers l’Europe et regarder la mondialisation sans peur s’ils ont la conviction que le chef de l’État saura préserver la nation dans ce qu’elle a de plus précieux » . Mme Royal résume elle-même sa stratégie : « En étant claire sur l’identité » de la France maintenant pour, « demain, inviter les Français à se tourner vers les autres » , elle fait oeuvre de diversion.

Ce faisant, la candidate socialiste délivre en creux une analyse du vote du 29 mai 2005, conforme à celle de toutes les élites : le « non » au référendum européen était un vote de peur, l’expression d’une crainte de l’avenir, une phobie d’un monde ouvert, l’expression d’un nationalisme, etc. La crainte du plombier polonais, dont nous avons déjà montré qu’elle a été créée et popularisée par les partisans du « oui » pour stigmatiser les « nonistes », adécidément la vie dure.

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