Écoutez Sarkozy

Michel Soudais  • 19 avril 2007
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Nicolas Sarkozy est-il démocrate ? La question est tout sauf incongrue après une phrase, spontanément lâchée par le candidat de la droite, jeudi 12 avril, sur Europe 1. Au lendemain des attentats d’Alger qui ont tué vingt-quatre personnes et fait deux cent vingt-deux blessés dans deux explosions de voitures piégées conduites par des kamikazes, et ont été revendiqués peu après par Al-Qaïda au Maghreb, l’ancien ministre de l’Intérieur n’a pas manqué d’estimer que la France était sous « la menace réelle » d’actions terroristes, tout en indiquant que cette menace « n’était pas aujourd’hui plus importante qu’hier ». Lecandidat de l’UMP a ensuite rendu un surprenant hommage au régime algérien, qui vaut d’être cité intégralement : « L’Algérie avait été très courageuse au début des années 1990 en interrompant le processus démocratique ­ à l’époque c’était le FIS ­ pour éviter la prise de pouvoir des islamistes. Àl’époque, l’armée avait joué un grand rôle ­ beaucoup avaient critiqué l’armée algérienne ­, mais s’ils n’avaient pas fait cela, on aurait pu avoir un régime à la taliban en Algérie. Il faut soutenir l’Algérie, il faut l’aider à se développer et il faut engager une lutte sans merci contre les réseaux terroristes. »

Faut-il rappeler que le « grand rôle » de l’armée algérienne salué par Nicolas Sarkozy était un coup d’État ? Le 26 décembre 1991, le FIS obtient près de 48 % des suffrages, et déjà 188 sièges sur les 430 à pourvoir, au premier tour des premières élections législatives pluralistes. Le FLN (15 sièges), au pouvoir depuis l’indépendance, est devancé par le FFS (25 sièges). Le 11 janvier 1991, le Président Chadli présente sa démission sous la pression de l’armée. Le Haut Conseil de sécurité (HCS), composé du Premier ministre Sid Ahmed Ghozali, des principaux ministres et des chefs militaires, prend en charge « l’ordre public » et annonce, le lendemain, la « suspension » du processus électoral. Avant de confier, le 14 janvier, l’ensemble des pouvoirs du chef de l’État à un Haut Comité d’État, placé sous la présidence de Mohamed Boudiaf, un des fondateurs du FLN. Le 22 janvier, le principal dirigeant islamiste, Abdelkader Hachani, est arrêté. Le 9 février, l’état d’urgence est proclamé pour un an, le FIS est dissous. Le 13 février, Amnesty International rend public le bilan de deux semaines de répression : soixante-dix civils tués, cinq cents blessés et plus de mille arrestations. Le bilan de la guerre civile qui s’ensuit et durera plus de dix ans est effroyable : 200 000 morts, 10 000 disparus, 500 000 exilés et un pays ruiné.

L’absence de réaction aux propos du candidat de l’UMP, ce matin-là, sur Europe 1 est triplement inquiétante. Cette aphasie est d’abord préoccupante s’agissant de la capacité des médias à exercer un regard critique sur Nicolas Sarkozy. Aucun des journalistes présents dans le studio n’a émis la moindre question. Parmi eux, Jean-Pierre Elkabbach et un certain Olivier Samin, nullement gêné que le candidat l’appelle par son petit nom au cours de l’émission ! Dans les agences et les quotidiens, c’est à croire que personne n’écoute Europe 1. Ou que notre oreille est d’un modèle singulier.

Étonnant aussi le silence des concurrents de Nicolas Sarkozy ou, du moins, de leurs porte-parole. N’ont-ils pas d’équipes pour assurer une veille médiatique ? Ou s’en remettent-ils à la lecture de deux ou trois quotidiens ? Étonnée que je l’interroge sur un propos qu’elle ne connaissait pas, Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole de Ségolène Royal, qui était l’invitée de «Pluriel» , l’émission politique de Radio-Orient, a néanmoins fait preuve de réflexe : « Autrement dit, a-t-elle résumé, M. Sarkozy dit : quand le peuple a mal voté, il faut dissoudre le peuple. » Elle y voit un refus « de reconnaître que ce qui crée l’islamisme est la misère sociale » . Ajoutant que « ce n’est sûrement pas en interrompant un processus démocratique qui était déjà fragile qu’on [y] a apporté une réponse » .

Mais le pire est encore ce que le propos révèle de l’attachement aux libertés d’un candidat à la présidence de la République. Nicolas Sarkozy ne doit pas être un bien grand démocrate pour justifier ainsi un coup d’État au bilan humain effroyable. À la veille d’un scrutin capital, il y a lieu de s’en alarmer. Et de bien écouter désormais ce que dit le candidat de l’UMP pour ne pas dire plus tard : « Je ne savais pas. »

Politique
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