La mort venue du ciel

Soixante-dix ans après son bombardement, retour à Guernica avec de nouvelles archives longtemps interdites.

Jean-Claude Renard  • 12 avril 2007 abonné·es

L’image est fameuse : dans la descente d’une colline, un homme est fauché par une balle, le bras droit tendu tenant un fusil tandis que son corps semble écrasé par le poids du métal. Il s’affaisse ; occupant le premier plan, laissant un vaste espace devant lui, l’horizon dégagé. La liberté sans doute. C’est la mort d’un combattant, d’un milicien pendant une attaque près de Cerro Murioano, dans la campagne de Cordoue, sur le front d’Andalousie. La photographie porte la date du 5 septembre 1936. Elle est signée Robert Capa. C’est sa photographie la plus diffusée. Probablement, aussi, l’une des images les plus reconnues dans l’histoire de la photographie, symbolisant la guerre civile espagnole ­ et finalement symbolisant toute guerre.

S’il pèse sur cette image une controverse sur son authenticité, elle n’en demeure pas moins emblématique de ces combattants en faveur de la République pendant la guerre civile espagnole, comme la toile de Picasso, Guernica , symbolise la barbarie des nationalistes. Justement, Guernica, bourgade dans l’arrière-pays basque, garant de la mémoire d’un peuple, dont on « célèbre » (façon d’écrire) les soixante-dix ans de l’anéantissement.

Ce lundi 26 avril 1937, à Guernica, pour ses 15 000 habitants, c’est jour de marché. À 16 h 30, des avions déchirent le ciel azur. Quelques minutes plus tard, les premières bombes tombent sur la ville. Dans les trois heures qui suivent, la cité est réduite en cendres par les bombardiers et chasseurs des aviations allemande et italienne. Plusieurs passages. Un premier largage éventre les bâtiments, une deuxième vague de bombes incendiaires en détruit l’intérieur. Les habitants qui ont échappé aux premières sont mitraillés par les avions plongeant en piqué.

Plus de trente tonnes de bombes dégringolent sur la ville. On dénombre entre huit cents et deux mille morts et des centaines de blessés. Cette barbarie est à lire comme un prélude à la reddition sans condition des Républicains de mars 1939 et à l’instauration de la dictature franquiste. C’est aussi le premier exemple d’une stratégie de terreur (une stratégie reprise pendant la Seconde Guerre mondiale), mal assumée par les franquistes. Qui tentent donc de mettre le bombardement sur le dos des républicains.

Trois jours après, les nationalistes investissent ce qui reste de la ville pour effacer les preuves, quand bien même les articles publiés dans le Times et le New York Times , signés par George Steer, présent sur place, ont alerté l’opinion publique. À vrai dire, comme le souligne ici Hanno Brülh, durant l’ère franquiste, toute enquête sera muselée. Il n’y a guère que depuis une dizaine d’années que les documents ressurgissent.

Évoquant la guerre civile espagnole, d’abord dans son contexte international puis national, le réalisateur a recentré son documentaire, au fil des images, sur Guernica. Comme pour mieux saisir son étranglement. Aux images d’archives exhumées (rares ou inédites pour la plupart), tels les films tournés par les pilotes d’avion, Brülh a ajouté nombre de propos des habitants survivants, alors mômes ou adolescents. Non sans rappeler le silence des nations, à l’initiative de la France et de l’Angleterre. Ce silence, la lâcheté, la non-intervention possèdent évidemment leur poids de résonance actuelle.

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