Un Portugais à Paris

Avec « Belle toujours », Manoel de Oliveira donne une suite à « Belle de jour », de Luis Buñuel.

Christophe Kantcheff  • 5 avril 2007 abonné·es

Quel drôle de film ! Qui aujourd’hui est capable de faire preuve d’une telle liberté ? Manoel de Oliveira, dont on ne cesse de rappeler l’âge pour évoquer sa vitalité sidérante : 99 ans, l’âge de la fantaisie.

Belle toujours se présente comme une suite, et même, peut-être, comme le dénouement de Belle de jour , le film que Luis Buñuel tourna en 1967 avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli : l’histoire d’une jeune femme, Séverine, s’ennuyant auprès de son mari, et qui, sur les conseils d’un ami de celui-ci, Husson, se met à fréquenter une maison clandestine.</>

Près de quarante ans plus tard, M. Husson, joué par Michel Piccoli, qui reprend son personnage, retrouve par hasard Séverine, interprétée cette fois par Bulle Ogier. Voilà le début de Belle toujours , dont le terme doit lever ce suspens : Séverine, tenaillée par la culpabilité, apprendra-t-elle de M. Husson si celui-ci a révélé ou non à son mari, mort depuis, ce qu’a été sa vie secrète ?<

Belle toujours est l’histoire de retrouvailles cruelles. Sous les traits de M. Husson, Michel Piccoli, dès qu’il a reconnu Séverine lors d’un concert, se jette sur sa proie, qui tente, en vain, de lui échapper. M. Husson est un personnage mystérieux, alcoolique ­ il passe une bonne partie de son temps à avaler whisky sur whisky en devisant avec un barman ­, adepte de la torture psychologique. Le dîner final, où M. Husson et Séverine se retrouvent face à face, reste très longtemps muet : ce qui provoque autant le rire que le malaise.

Ironie de Manoel de Oliviera. Celle-ci est aussi très présente dans sa manière de souligner qu’à l’instar de Buñuel, il est un cinéaste étranger filmant à Paris. Des vues nocturnes et panoramiques montrent à plusieurs reprises la tour Eiffel, comme de vraies cartes postales. La caméra s’arrête aussi sur la statue de Jeanne d’Arc de la place des Pyramides. Et le film se clôt sur l’apparition quasi surréaliste d’un coq, vraisemblablement gaulois. En ces temps où le thème de l’identité nationale fait florès chez les politiques, il est réjouissant de voir comment un vieux cinéaste portugais s’amuse des signes de la francité…

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