Corrections et désordre

Bernard Langlois  • 21 juin 2007 abonné·es

Après la correction, la correction.

Subtile obscurité de notre belle langue, qui use du même mot pour qualifier la fessée administrée à la gauche, un jour de juin, par un électorat sévère ; et la pommade dont ce même électorat, huit jours après, tartine ses fesses rougies ! Je vous le rappelais jeudi dernier : l’élection est à deux tours et il est arrivé, par le passé, que le deuxième inverse le cours du premier. Mais j’ajoutais (homme de peu de foi…) que ce rappel était fait pour la forme, tant il paraissait improbable ce coup-ci que le deuxième dimanche corrige autrement qu’à la marge les résultats du premier. Eh bien, si ! Pan sur mes doigts ! Comme d’un coup d’éponge au tableau noir, vous avez, citoyens, effacé la copie bâclée du 6 juin et, d’une belle écriture, en soignant pleins et déliés, raconté le 17 une tout autre histoire.

Plus sympathique, je trouve.

Les soirées électorales, donc, se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Nos excellences sarkoziennes fraîchement en place avaient, paraît-il, pour consigne d’éviter tout triomphalisme : elles n’ont guère eu à se faire violence, tant s’égrainaient pour leur camp, au fil de la soirée, mauvaises nouvelles, contre-performances, naufrages corps et biens.

Les Copé, Bertrand, Bachelot, Hortefeux et autres préposés à la prise de parole au nom de l’UMP avaient beau marteler l’évidence : que la majorité reste largement majoritaire, avec une bonne centaine de sièges de rab ; et réciter leur credo : que les Français avaient approuvé clairement les excellents projets de réforme de leur Président bien-aimé (que Dieu l’ait en sa Sainte Garde) et qu’ils lui avaient donc donné, et à son gouvernement éclairé, tous les moyens de leur politique : ils n’avaient pas vraiment, ces hérauts, le coeur à pavoiser, tant on était loin du raz de marée bleu annoncé. Ces fiefs qui s’écroulaient, ces conquêtes annoncées qui tournaient au fiasco, ces épopées tombant en quenouilles… Alors, pas sûr que tous les hommages à Juppé aient été sincères (après tout, le grand Caribou est quasiment le dernier des chiraquiens, et son effacement ne doit guère émouvoir la Sarkozie), mais s’ajoutant à tant de mauvaises nouvelles, la pâtée bordelaise est lourde de conséquences : n’était-il pas le seul ministre d’État, le numéro 2 du gouvernement, le plus ancien dans le grade le plus élevé ? N’avait-il pas reçu la charge du lourd et symbolique dossier de l’Environnement ?

Il allait donc falloir remanier, déjà, et pas qu’un peu, et pas qu’aux marges ; et ça, franchement, un mois après qu’on a pris le pouvoir de si belle manière, ça fait salement désordre (une veine : Kouchner n’était pas candidat, il aurait fallu trouver aussi un nouveau ministre des Affaires étrangères !).

La défaite en souriant

Le malheur des uns faisant en la matière le bonheur des autres, on chantait à gauche la défaite en souriant.

Car il est incontestable qu’on avait sauvé les meubles et l’argenterie : on craignait fort de n’être plus qu’une poignée de survivants, voilà qu’on se comptait nettement plus nombreux qu’en 2002 ! Minoritaires, soit, mais en nombre et prêts à toutes les guérillas. Des barons sérieusement menacés (Strauss-Kahn, Dray…), voire qu’on pensait condamnés (Bianco, Montebourg…), sauvent leur tête avec leur siège ; on s’offre même des victoires auxquelles on ne songeait guère une semaine avant : à commencer par Bordeaux, où Michèle Delaunay partait avec douze points de retard sur le maire-candidat ! Belle victoire, fortement symbolique aussi, que celle d’Aurélie Fillippetti contre Alain Missoffe, en Moselle : la fille d’ouvrier contre l’héritier des maîtres de forges ! Jolie déculottée encore, infligée au play-boy du barreau Arno Klarsfeld, parti courir en roulettes le XIIe arrondissement : et c’est aussi une femme, Sandrine Mazetier, qui remporte cette circonscription de droite, gain décisif dans la perspective des prochaines municipales parisiennes. En règle générale, du reste, le PS n’a pas à se plaindre d’avoir joué la carte féminine en nombre d’endroits (exemple encore : Rouen, fief sarkoziste gagné par Valérie Fourneron ; ou Limoges, où l’ancien juge Marsaud [^2], député sortant, est battu par Monique Boulestin) ; et ce n’est pas non plus Delphine Batho qui me démentira, qui s’est posée comme une fleur dans la circonscription laissée vacante par Ségolène Royal (
Laquelle a bien fait de se priver, en vertu des grands principes (le non-cumul des mandats en l’occurrence), d’une facile réélection. On sait, par ailleurs, qu’elle rompt, en vertu des grands sentiments, avec le père de ses enfants [^3]. Sans s’être encore imposé en nombre égal sur les travées parlementaires, le sexe de moins en moins faible monte en puissance au Palais-Bourbon de façon significative (une trentaine d’élues supplémentaires) et c’est surtout au PS qu’on le doit. Quant aux alliés traditionnels du parti hollandais (Hollande lui-même réélu en maréchal dans une Corrèze en pleine déchiraquisation), ils peuvent aussi pousser un ouf : le PCF maintient l’essentiel de ses positions, les trois Verts sortants sont réélus (et un quatrième, le Nantais de Rugy les rejoint). Même le centrisme maintenu (bayrouiste), avec quatre élus, fait mieux que prévu.

C’est donc incontestable, on a échappé au pire : une Chambre monocolore bleu horizon, monopolisant le débat face à une opposition réduite aux caquets.

Pourquoi ?

Reste à savoir le pourquoi de ce renversement imprévu en aussi peu de temps. Plusieurs facteurs (outre Besancenot !), ont sans doute joué, d’importance inégale, qu’on va tenter de lister.

­ Abstentions : à peu près autant qu’au premier tour (soit beaucoup), mais pas forcément les mêmes aux mêmes endroits ! Le combat paraissant gagné d’avance, beaucoup d’électeurs de droite ont peut-être fait l’impasse sur le deuxième tour. Par exemple : vous êtes un bon bourge bordelais partisan de Juppé, il fait beau et votre villa sur le bassin d’Arcachon vous tend les bras… Voyez ? Et, à l’inverse, pour limiter la casse, des abstentionnistes de gauche se sont sans doute mobilisés.

­ Intentions : celles qu’on prête, avec quelque raison, à un gouvernement et à une droite « décomplexée » ; que ce soit en matière de libertés (le cynisme d’Hortefeux, sa volonté de faire du chiffre, les nouvelles contraintes envisagées pour limiter le regroupement familial ; ou encore les rumeurs de menaces qui pèsent sur certaines émissions de télé ou de radio…) : même à droite, ça peut refroidir certains électeurs ; ou plus certainement dans le domaine social : le projet de franchise médicale et l’aveu, par un Borloo habilement travaillé au corps par Fabius ­ et la polémique qui s’ensuivit ­, qu’on allait vers une probable augmentation de la TVA (la TVA sociale !), mesures venues au jour en même temps qu’on apprenait qu’il n’y aurait pas de « coup de pouce » pour le Smic… On donnait d’un coup du grain à moudre à la gauche, qui ne s’en est pas privée.

­ Centristes : tout indique que les électeurs du MoDem se sont reportés en masse sur les candidats de gauche (à 55 %, contre 28 pour l’UMP) ; plutôt traumatisés par les retournements de veste de l’entourage de Bayrou, ces électeurs-là ont sans doute voulu marquer leur désapprobation et assurer le rééquilibrage. C’est le PS qui en a profité.

­ Image : c’est une raison que je ne vois évoquée nulle part, mais, outre qu’il est possible que la croisière à Malte produise avec retard quelque effet négatif, je m’interroge sur l’impact qu’a pu avoir la désormais fameuse vidéo sur la prestation du Président au G8. Je parle de cette conférence de presse, vue sur le Net par des centaines de milliers de gens, où Sarkozy nous donnait une sorte de version actualisée de « L’eau ferrugineuse » du regretté Bourvil… Le président de la République française, en représentation à l’étranger, pompette (ou sous amphètes ?), pas sûr que ça plaise à tout le monde !

Bref, les raisons sont plurielles et s’additionnent.

On reste en tout cas assez interloqué par un renversement que personne n’avait prévu et qui semble bien indiquer une très rapide dégradation de cet « état de grâce » consenti, par tradition, à un pouvoir tout neuf par une opinion trop bonne fille. Il y fallait d’ordinaire quelques semaines, et on mesurait l’usure aux premières partielles, ou aux élections locales : il y a incontestablement une nette accélération !

Le chantier

On ne va certes pas bouder le plaisir qu’on a pris aux mines dépitées de ces messieurs-dames de la majorité. Sans sombrer dans la béatitude. Car on voit bien le risque qu’une opposition requinquée se dispense des nécessaires travaux de réfection qu’impose son état. Après tout, ça ne va pas si mal, remettons le chantier à plus tard !

Or, même corrigée dans le bon sens, une défaite reste une défaite. Et l’incapacité de la gauche (comme de la gauche de la gauche !) à offrir une alternative crédible à des politiques de régression sociale et de restriction des libertés ne permet nullement de se montrer optimiste. Surtout dans un monde où l’on sent monter tous les périls.

Une interminable séquence électorale se termine un peu moins mal qu’elle n’a commencé, voilà tout.

[^2]: Sale temps pour les chats fourrés tentés par la carrière politique : l’autre juge en compétition ­ celui qui terrorise les terroristes, le célèbre Bruguière ­, qui tentait sa chance dans le Lot sous les couleurs de l’UMP, s’est également fait étendre par un socialiste.

[^3]: Ce qui ne nous regarderait pas s’il n’était aussi le patron du PS). L’annonce en fut faite en pleine soirée électorale, ce qui est paru incongru à beaucoup : certains se sont empressés de lui en faire le reproche. La rumeur courait, la confirmation a fuité, l’intéressée n’y est pour rien.

Edito Bernard Langlois
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