Les syndicats au Kärcher

Les organisations syndicales de Seine-Saint-Denis s’inquiètent de l’augmentation des poursuites judiciaires contre leurs militants. Elles craignent que ces faits n’annoncent une restriction de leurs droits.

Jean-Baptiste Quiot  • 7 juin 2007 abonné·es

Assiste-t-on à une vague de répression syndicale en Seine-Saint-Denis ? C’est en tout cas ce qu’affirme une déclaration unitaire des syndicats du département, signée par la CGT, la CFDT, FO, la FSU et l’Unsa de ce département. Alertées par plusieurs cas de militants traduits en justice, les organisations ont dénoncé, le 16 mai, « la recrudescence de la répression syndicale dans ce département » . Une situation surprenante alors que le gouvernement de Nicolas Sarkozy affiche une volonté de négociation. « Le dialogue social est le garant de l’efficacité des réformes dans le champ des relations du travail et de l’emploi » , affirmait encore François Fillon le 31 mai.

Illustration - Les syndicats au Kärcher

La Seine-Saint-Denis serait-elle l’exemple local d’une tout autre réalité ? La déclaration intersyndicale pose en tout cas clairement la question : « Ces faits sont-ils annonciateurs de mesures visant à restreindre le droit syndical ou le droit de grève ? » Le cas d’Henry Tamar, délégué syndical CGT des agents territoriaux de Drancy, est éloquent. En effet, le tribunal correctionnel de Bobigny l’a condamné à 1 000 euros d’amende et 4 000 euros de dommages et intérêts pour avoir « diffamé » le député-maire Jean-Christophe Lagarde (Modem), dans un tract sur la « précarisation » des emplois municipaux à Drancy. « Il doit même payer les frais de justice engagés par le maire de Drancy » , s’indigne Réza Painchan, secrétaire général de l’UD FO 93. Ce dernier veut mettre en place « un barème intersyndical qui recenserait des faits précis et avérés de répression » .

Mais en quoi consiste cette diffamation ? « À aucun moment, le maire n’a été cité dans le tract. On est en pleine criminalisation syndicale » , fustige Marc Sanson, secrétaire général de la CGT 93. « Criminalisation, le mot est un peu fort, mais là, c’est vrai que la justice tape fort, elle aussi » , tempère Réza Painchan, qui ajoute : « Cette décision frappe un camarade du public. Je peux vous dire que ça ne rassure pas les camarades du privé. Ceux qui sont amenés à prendre la parole devront faire attention. »

Comment, en effet, prendre la parole si celle-ci est pénalisée ? « Les syndicalistes posent les questions que le patronat et le gouvernement ne veulent pas entendre. Il faut défendre notre liberté d’expression » , rappelle la déclaration unitaire. Une autre affaire en Seine-Saint-Denis est révélatrice de ce contexte répressif. Manuel Concalves, militant CGT chez Servair, une filiale d’Air France située à Roissy, a déjà subi deux gardes à vue pour avoir fait signer une pétition qui exigeait « l’arrêt de la procédure judiciaire et le respect du droit d’expression des salariés » . La procédure dont il est question remonte à avril 2006, quand le même Manuel Concalves osa contester la politique des dirigeants lors d’une réunion du comité d’entreprise. « Vous êtes des tricheurs » , « les présentations de déficit sont des mensonges » et « vous nous volez » . Ce sont ces phrases pour lesquelles la direction a demandé 5 000 euros de réparation.

Après deux échecs de la direction devant le tribunal d’instance d’Aulnay, le salarié pense être tiré d’affaire. Mais il est convoqué par la police et placé en garde à vue le 25 avril pour faux et usage de faux. Il est soupçonné d’avoir triché sur le nombre de signatures. La peine encourue est de deux ans de prison ferme et de 300 000 euros d’amende. Le 21 mai, « à 6 heures du matin, les policiers sont venus chez moi pour une perquisition. Puis, devant tous mes voisins, ils m’ont emmené, les menottes aux poignets, pour une nouvelle garde à vue. C’était très humiliant » , raconte Manuel Concalves, qui a une explication pour la pétition : « La direction a fait pression sur des salariés dont les enfants devaient travailler l’été pour l’entreprise. Certains ont préféré faire des lettres de rétractation. » Il est convoqué chez le juge ce jeudi 7 juin. Mais il a une raison de se réjouir : « Ils cherchent à nous intimider, mais c’est comme un boomerang. Aux élections professionnelles des 21 et 22 mai, j’ai été élu, et nous avons progressé de 10 % ! »

« On traite les syndiqués comme des terroristes » , s’insurge Marc Sanson. Et il rappelle que la Seine-Saint-Denis a des antécédents en termes de répression. Ainsi, la réquisition en octobre 2005 des grévistes bagagistes de Roissy par le sous-préfet, parce que leur grève portait, selon lui, « atteinte à l’économie nationale » . Mais il insiste sur une coïncidence : « Les décisions de justice et les interpellations dans les cas de Drancy et de Servair interviennent juste après l’élection de Nicolas Sarkozy. Après le « Kärcher » contre les jeunes, le « Kärcher » contre les syndicats. » Réza Painchan ne veut pas établir de lien direct, mais « certains patrons se sentent peut-être plus libres de taper et de ne pas respecter le droit syndical. Ils veulent profiter d’un contexte politique dont ils pensent qu’il leur est favorable » . Le pensent-ils à tort ? Malgré sa volonté, le nouveau gouvernement ne s’impose pas en tout cas comme un symbole de dialogue social dans leurs esprits.

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