Des citadelles de pauvreté

La croissance urbaine explose, selon les Nations unies. Si l’état des lieux est saisissant, les solutions proposées sont politiquement trop prudentes pour pouvoir enrayer la précarité et les drames environnementaux.

Jean-Baptiste Quiot  • 19 juillet 2007 abonné·es

Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) a rendu public, le 27 juin, son rapport sur « l’état de la population mondiale en 2007 » . Il s’attache à décrire une réalité : celle de l’explosion urbaine en cours. « Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, plus de la moitié de la population du globe, soit 3,3 milliards d’habitants, vit en milieu urbain. » Et le phénomène est exponentiel. En effet, selon l’organisation, « d’ici 2030, ce chiffre devrait avoisiner les 5 milliards » . Les pays industrialisés connaissent cette urbanisation depuis le XIXe siècle. C’est pourquoi les trois quarts de la population française vivent déjà en ville ou en banlieue selon le recensement de 1999. Ce sont donc surtout les pays en voie de développement qui vont voir leur nombre de citadins « doubler en l’espace d’une génération » .

Illustration - Des citadelles de pauvreté


Un bidonville à Jakarta, en Indonésie. Ismoyo/AFP

Malgré cette différence d’évolution, le rapport tente un état des lieux des problèmes liés à l’urbanisation en général. « Les villes font face à des problèmes pressants comme la pauvreté, le logement, l’environnement, la gouvernance et l’administration, mais qui sont minimes au regard de ceux que présentera la croissance à venir » , alerte l’UNFPA. Plus qu’un simple recensement de problèmes déjà connus, le rapport entend porter « ses regards au-delà des problèmes actuels » et lancer « un appel à l’action, tout particulièrement sur la réduction de la pauvreté et la viabilité » . Le travail accompli par l’UNFPA a le mérite de pointer du doigt les ravages de la misère qu’accompagne l’urbanisation des masses. « La population des taudis est aujourd’hui d’un milliard de personnes » , constate-t-il.

Pour y remédier, le Fonds en appelle au «~volontarisme » des gouvernants : «~Le problème ne se résoudra pas de lui-même et il ne faut pas s’attendre à ce que la croissance urbaine s’auto-stabilise.~» Si la description de la réalité est saisissante, les propositions du Fonds pâtissent d’un certain manque de lucidité et ne désignent pas la véritable cause de la paupérisation~: l’absence de redistribution des richesses. Les auteurs osent à peine mettre en doute le dogme libéral~: «~Globalement, la libéralisation économique a peut-être eu des effets négatifs sur la réduction de la pauvreté en général. » Ce « peut-être » ne limite-t-il pas la liste des « solutions astucieuses » du rapport à une simple déclaration de bonnes intentions~?

Comment susciter des politiques volontaristes si les moyens d’agir sont avalés par la politique du laisser-faire~? Le rapport propose une méthode qui ne remet pas en cause l’empire du marché. Toute la stratégie consistant à faire converger les préoccupations des pouvoirs publics avec le souci des rapporteurs de l’UNFPA « de réduire l’extrême pauvreté d’ici à 2012 » . Le rapport pointe l’échec des gouvernants pour lutter contre la migration rurale. Mais, précise-t-il, « la croissance urbaine résulte essentiellement de l’accroissement naturel » . C’est-à-dire que l’urbanisation ne serait pas due à l’exode rural. Si la volonté des autorités est vraiment de ralentir l’accroissement des villes, elles doivent donc s’attaquer à la pauvreté~: « Cela offre aux responsables politiques une possibilité gagnante sur tous les tableaux, qui consiste à réduire le taux d’accroissement naturel de la population en améliorant les conditions de vie des pauvres et en encourageant le respect des droits des femmes. » La logique est simple~: il ne s’agit pas de discuter de l’objectif (réduire la croissance urbaine) mais de convaincre, notamment les gouvernements des pays en voie de développement qui ne sont pas toujours démocratiques, de l’efficacité des mesures sociales. Toutefois, l’exemple significatif de la Chine n’est pas spécialement encourageant. Son ouverture au marché, pauvreté ou pas, traduit davantage une volonté de développement économique et d’urbanisation rapide et massive.

Lutter contre la pauvreté urbaine nécessite également, selon l’UNFPA, « d’améliorer la gouvernance des villes en impliquant les pauvres » . Pour cela, il préconise le modèle de la « participation » et se réfère aux exemples du Brésil, ce qui semble une bonne idée. Cependant, une autre référence est moins heureuse : « La participation de la société civile figure parmi les principes fondamentaux recommandés par la Banque mondiale dans les stratégies de réduction de la pauvreté. » Or, comme le rappelle Éric Toussaint, historien et président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde, « depuis les années 1950, la Banque mondiale a soutenu presque toutes les dictatures de la planète » .

Sur l’environnement, le rapport est réaliste~: « Les changements climatiques peuvent avoir des répercussions notables sur les activités économiques, la productivité de la main-d’oeuvre, l’indicateur de confort, les apports et la qualité de l’eau, et la demande énergétique. » Si « la productivité de la main-d’oeuvre » est en danger, alors les problèmes environnementaux sont pris au sérieux. Mais les solutions envisagées restent maigres, et le rapport se contente d’encourager les métropoles qui s’insèrent dans « des réseaux internationaux de villes afin de faciliter les échanges d’information » .

Une autre proposition louable est de s’attaquer au problème du logement et à la multiplication des bidonvilles. Mais elle résume à elle seule la teinte « sociale-libérale » du rapport. « La réglementation des marchés fonciers urbains est-elle une mission impossible ? » , interroge-t-il. Le problème est bien délimité : « La plupart des villes possèdent des terrains constructibles bien situés, mais aux mains d’entités privées ou d’organismes d’État qui ne s’intéressent pas à l’orientation sociale de l’utilisation des terres. » Quelle serait alors la solution ? « Une réglementation judicieuse du marché~» , car «~l’existence de marchés efficaces mettrait davantage de terres à la disposition des pauvres et favoriserait par ailleurs la croissance économique » . Mais comment rendre les marchés efficaces ? « La volonté politique est nécessaire pour capter et investir judicieusement les ressources disponibles, y compris celles des pauvres eux-mêmes, en vue d’un développement urbain plus équitable » , précise le rapport. Pas question de redistribution. Les pauvres financeront eux-mêmes la lutte contre le mal-logement. Cette proposition « judicieuse » ne devrait pas trop inquiéter les « entités privées » .

Société
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