Comme un retour à l’URSS

Les élections législatives de dimanche sont l’occasion d’une traque de tous les opposants. Notre envoyé spécial Claude-Marie Vadrot a vu le système Poutine en action. Reportage.

Claude-Marie Vadrot  • 29 novembre 2007 abonné·es

Désormais, il est impossible de descendre déjeuner au sous-sol de la Maison des journalistes de Moscou, ou d’y rencontrer un opposant à Vladimir Poutine. Sur la porte, surveillée par un policier, un écriteau : « Zakrit » (« Fermé »). Il y a quelques jours, les pompiers ont déclaré le bâtiment dangereux pour la sécurité et décrété sa fermeture. La veille, la police était venue vérifier les comptes. C’est la première fois depuis sa création, il y a soixante-quinze ans, que ce havre journalistique est ainsi bouclé. Sous le régime communiste, j’y rencontrais beaucoup d’intellectuels, notamment ceux de Litteraturnaya Gazeta , qui n’étaient pourtant pas en odeur de sainteté. Il y régnait une sorte de tolérance qui, de toute façon, laissait la population dans l’ignorance.

Illustration - Comme un retour à l’URSS


Le 25 novembre, des policiers s’en prennent à un militant du parti d’opposition L’Autre Russie. KUDRJAVTSEV/AFP

Le « crime » de la Maison des journalistes ? Avoir accueilli des opposants au Président Poutine, dont Garry Kasparov, l’ancien champion d’échecs, auteur d’un crime de lèse-tsar : vouloir se présenter à la prochaine présidentielle au nom de la coalition L’Autre Russie, parti écarté des élections parlementaires du 2 décembre par la Commission électorale. Vieille méthode russo-soviétique : quelques minutes avant la conférence de presse de l’opposant, une quinzaine d’ivrognes, bouteilles à la main, ont été amenés pour brandir des pancartes glorifiant Kasparov. Photos et prises de vue inutiles puisque finalement aucune chaîne de télévision n’a mentionné la réunion. Samedi, avenue Sakharov, les trois mille partisans de l’ancien joueur d’échecs ont été sauvagement dispersés, et Kasparov a été condamné à cinq jours de prison.

Ainsi se préparent des élections destinées à consacrer le règne de Vladimir Poutine, qui a d’ailleurs pris la tête de la liste de son parti, Russie unie. Les derniers sondages donnent près de 70 % des voix à ses candidats et 15 % au parti communiste de Guennadi Ziouganov, qui rêve du même parti unique que le Président. Le reste sera partagé entre les libéraux, crédités de moins de 2 %, les ultranationalistes et Russie juste, autre parti pro-Poutine, mais… de gauche. Il sera peut-être le seul, avec Notre Russie (pro-Poutine également) et le PC, à franchir la barre des 7 % fixée pour ce scrutin désormais exclusivement proportionnel.

Les règles électorales ont été modifiées de façon à favoriser le parti au pouvoir : disparition du vote « contre », qui permettait à l’électeur de manifester son refus de tous les candidats, et du seuil minimum de participation exigé. Ultime précaution avant une campagne électorale qui ne donne pratiquement jamais la parole aux opposants. Ce qui a permis à l’un des rares journaux libres du pays, Novaïa Gazeta , de titrer « Retour à l’URSS ». Car une loi interdit, pendant les périodes électorales, de publier des critiques sur un parti ou un responsable politique ! À la télévision, il y a donc Russie unie et, le reste du temps, Vladimir Poutine ; il ne reste que 15 % d’antenne pour tous les opposants et des débats télévisés diffusés de 7 h à 8 h et de 22 h 50 à 23 h 30…

Dans les rues de Moscou, seules les affiches de Russie unie sont visibles. Près du Kremlin, une banderole proclame « Moscou vote Poutine » , et les panneaux d’affichage rappellent : « Le plan Poutine, c’est la victoire de la Russie. » Résultat : les élections passionnent peu. Même lorsqu’ils ont de sérieux doutes, notamment en province, les Russes font le dos rond. « Un jour, peut-être , explique un journaliste de Novaïa Gazeta, nous retrouverons la liberté, mais je ne vois plus le bout du tunnel. » « À quoi bon voter , explique Svetlana, retraitée, notre Poutine nous protège, il est fort . Avec lui, peut-être que nos pensions seront enfin augmentées, et puis il va redresser la morale des jeunes. » Exactement ce que proclament les mouvements de jeunes comme Nachi (les Nôtres), la Jeune Garde ou le Club des fans poutiniens, qui mènent des chasses aux bronzés, aux homosexuels et à la pornographie. Ils forment des brigades pour « aider la police en cas de manifestation ou de coup d’État » .

« Qui croit reconnaître notre ancienne Jeunesse communiste » a gagné, soupire Pieta, qui enseigne les maths au sud de Moscou et n’a plus qu’un rêve : partir à l’étranger. Quitter le seul pays industrialisé du monde dont la population et l’espérance de vie diminuent régulièrement depuis 1992.

Vladimir Poutine sera-t-il Premier ministre à la fin de son mandat de président au printemps prochain, ou modifiera-t-il la Constitution pour rempiler ? Nul ne peut le dire mais, ayant nommé ses fidèles ­ des anciens du KGB ­ aux postes de gouverneur, il tient le pays, même la partie qui grogne sur Internet ou qui souffre. Poutine peut même s’offrir le luxe de laisser travailler en paix les journalistes occidentaux puisqu’ils ne sont pas lus par ses concitoyens. Comment, à quelques jours de ces « élections », ne pas se souvenir d’Anna Politkovskaïa, assassinée il y a un an, et ne pas avoir la rage au coeur devant le sort fait au peuple de Russie, pays dont les opposants sont à nouveau condamnés ou enfermés pour « comportement antisocial » dans l’indifférence occidentale ?

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