Le sillon participatif

La région Rhône-Alpes vient d’accueillir les Rencontres mondiales de la démocratie participative. Une occasion de prendre le pouls de l’implication citoyenne.

Philippe Chibani-Jacquot  • 20 décembre 2007 abonné·es

De Porto Alegre à Tombouctou en passant par Montréal et la région Rhône-Alpes, la démocratie participative creuse son sillon. Un sillon qui n’est pas abreuvé du sang des citoyens, cher à notre Marseillaise, mais de leur participation à l’orientation des politiques publiques. En témoignent les Rencontres mondiales de la démocratie participative, qui ont drainé plus 1 500 participants du 10 au 12 décembre à Grenoble, Valence, Saint-Étienne et Lyon [^2].

Sans surprise, l’Amérique latine reste la terre historique de la participation citoyenne avec l’emblématique rendez-vous de Porto Alegre au Brésil, symbole des altermondialistes. En Argentine et au Pérou, l’ensemble du budget de certaines agglomérations est décidé de manière participative. Après une crise profonde de la démocratie représentative, « le rôle des députés municipaux a été ramené à une fonction législative nettoyée de ses pratiques clientélistes, explique Sergio Amaral, responsable de Solidariedade à Porto Alegre. La réalisation d’infrastructures dans les quartiers a garanti aux citoyens que leur participation était suivie d’effets » . Si les dynamiques participatives sont nées avec la prise de pouvoir par des forces de gauche, l’alternance politique a été un nouveau défi. « Il faut atteindre un niveau d’organisation du tissu social qui garantisse la transition en cas de changement de majorité, relève Sergio Amaral. À Sao Paolo, ce n’était pas le cas, ce qui a provoqué l’arrêt de la dynamique. À Porto Alegre, cela a continué, même si le gouvernement n’en fait plus la priorité. »

Ces rencontres ont montré une France quelque peu réfractaire à l’idée de participation démocratique. « Quand il s’agit de faire participer les habitants à des projets de territoire, il n’y a aucune résistance. Mais dès qu’on prononce les mots de démocratie participative, on observe une forte résistance culturelle » , explique Pascale Vincent, chercheuse au Centre international d’étude du développement local (Ciedel). Dans les faits, la culture de l’élu républicain, mandaté par le peuple, entre encore souvent en conflit avec une participation au long cours du citoyen. Pourtant, la culture du développement local rend pertinente « l’implication des organisations de la société civile pour définir des axes de développement local », constate Pascale Vincent. L’opposition de la France à la démocratie participative n’est certes pas inscrite dans le marbre républicain. Cependant, les expériences les plus abouties restent l’apanage de collectivités étiquetées à gauche.

À Grigny (Rhône), ville de 9 000 habitants, la participation citoyenne a débuté dans les années 1990 par les conseils de quartier. Depuis trois exercices, un budget participatif est en place, donnant un nouveau rythme à l’édification du budget de la ville : cinq mois de réunions quasi quotidiennes rassemblent les habitants sans exclusive. Un forum sur Internet et l’envoi de questionnaires deux fois par an à tous les administrés complètent le dispositif. Le chiffrage et l’étude des projets des habitants par les services techniques aboutissent en novembre à un vote qui engage les élus à intégrer les réalisations demandées dans le budget. En février, le bilan de la participation est rendu public pour éventuellement modifier les règles du nouvel exercice.

« Le budget participatif accélère le processus budgétaire et sa mise en application, car il y a une pression plus forte des habitants et une grande implication des services techniques » , constate Estelle Charpenay, de la direction de la démocratie participative de Grigny. L’implication citoyenne est aussi un nouveau ferment de la légitimité de l’élu. « Le budget participatif n’est pas un fait de générosité, explique Helen Fotopoulos, maire de l’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal de Montréal *. Je n’ai pas tant de pouvoir que ça et je suis beaucoup plus forte quand je travaille avec la population. »* Cet arrondissement de 100 000 habitants vote depuis deux ans 30 % du budget d’investissement sur un mode participatif.

En Afrique, la démocratie participative s’exprime sous l’angle de la politique de décentralisation lorsque celle-ci bénéficie de la volonté politique de l’État central, comme au Sénégal, au Burkina Faso et au Mali. Dans ces pays, « on ne se pose pas la question de la participation des habitants, elle est automatique » , explique Pascale Vincent. Dédéou Traoré, chef du projet d’appui au développement local de Tombouctou explique : « Nous n’avons pas cette notion de budget participatif. En revanche, nous avons des outils de consensus autour des actions de développement. Très souvent, les habitants, membres des comités d’attribution, peuvent donner leur aval à des projets individuels, privés, mais à caractère collectif. » Une méthode qui évite les errements de décisions d’investissement venant d’en haut et appuie des projets utiles à la communauté autant qu’à celui qui le porte.

[^2]: Une synthèse sera bientôt disponible. Pour la recevoir, s’inscrire sur le site .

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