Au risque de l’affrontement

En encourageant la proclamation unilatérale d’indépendance de l’ancienne province serbe, l’Union européenne et les États-Unis ont rouvert la boîte de Pandore des Balkans.

Claude-Marie Vadrot  • 28 février 2008 abonné·es

Discrètement, quelques dizaines de Cosaques appartenant aux régiments d’Omsk et d’Irkoutsk, en Sibérie, viennent d’arriver à Belgrade et surtout à Mitrovica, l’enclave serbe du Kosovo. Trois ou quatre d’entre eux montent la garde à la sortie du pont qui coupe la ville en deux, face aux forces françaises qui veillent à l’autre extrémité. Ils ont été mêlés à l’attaque des postes frontières du Kosovo il y a quelques jours. Dans le passé, les Cosaques, combattants de l’Orthodoxie et supplétifs au statut mal défini dans l’armée russe, ont pris part aux combats des Balkans, à la guerre en Tchétchénie, et participé à l’organisation des forces qui tiennent la Transnistrie, le petit territoire russe volé à la Moldavie le long de la frontière ukrainienne. Ils sont également présents depuis un mois dans la « république » serbe de Bosnie-Herzégovine, dans les environs de Bana Luka. Preuve, s’il en fallait une, que ni la Serbie ni la Russie n’ont renoncé à transformer l’indépendance kosovare en épreuve de force et en désordre plus ou moins contrôlé.

Illustration - Au risque de l’affrontement


Des Albanais fêtent l’indépendance du Kosovo. VERHAEGEN/AFP

De leur côté, des milices kosovares, issues de l’UCK, l’armée de Libération du Kosovo, s’entraînent dans le centre de la nouvelle mini-république et aux abords de sa capitale, Pristina. Elles ne masquent guère leurs liens avec les mafias albanaises qui continuent à mettre en coupe réglée l’économie vacillante d’un territoire de 10 000 kilomètres carrés, dont le moins que l’on puisse dire est que l’ordre n’y règne guère. Sauf si l’on considère comme un « ordre » la mainmise d’un certain nombre de clans contre lesquels le Premier ministre, Hashim Thaci, lui-même issu du commandement de l’UCK, ne peut pas grand-chose car le chômage y dépasse 50 %.

L’ensemble du territoire est donc livré à une économie parallèle florissante, au coeur de laquelle s’agitent les représentants de l’Arabie Saoudite qui se bornent à prêcher contre les « moeurs dissolues importées de l’Occident » et à financer la construction de nouvelles mosquées rutilantes. Avec les somptueuses villas des Kosovars venus d’Allemagne et des responsables des mafias liées à l’Albanie et à la Macédoine, les mosquées sont les seuls bâtiments neufs du territoire.

Réfugiés dans quelques enclaves et autour de quelques monastères, à la merci des extrémistes koushans et des frères prêcheurs venus du Moyen-Orient, les 150 000 Serbes refusent de participer à la vie politique et économique du Kosovo. Ils ont peur. Et souvent à juste titre. Ils n’ont pas confiance dans leurs « concitoyens ». Ils vivent dans le rêve que la Serbie viendra à leur secours alors qu’ils ne sont qu’une pauvre (encore plus pauvre que les Albanais kosovars) monnaie d’échange et de pression qui les dépasse.

Pour les Kosovars, la crise en marche est une nouvelle raison de demander encore plus de subventions pour un pays sous perfusion européenne. Et pour les Serbes, l’occasion est trop belle de remettre en cause le difficile équilibre établi par les accords de Dayton en 1996. En poussant à l’indépendance de la « république serbe » de la Fédération bosno-croate et en revenant, y compris par des actions de commandos, sur le statut de Sarajevo. Ce qui n’exclut pas une alliance objective avec des Croates qui maintiennent la partition de la ville de Mostar, où le pont moyenâgeux reconstruit n’a pas permis de réconcilier les nationalistes bosniaques et croates qui se partagent toujours la ville. De chaque côté du pont, comme à Mitrovica…

En Bosnie comme au Kosovo, le calme ne peut donc se maintenir que sous une férule internationale armée. À la merci d’un incendie qui réveillera non pas les haines bien vivantes, mais les affrontements entre les uns et les autres. Évidemment, le pire n’est jamais certain, mais en pénétrant dans le territoire kosovar, le 10 juin 1999, les forces occidentales ont réglé un problème ­ celui d’un massacre qui avait été exagéré ­ mais en ont créé plusieurs autres. À commencer par celui-ci : qui aura le courage de dire ouvertement que l’État kosovar, avec son agriculture rudimentaire et ses quelques ressources minières, n’est pas viable ?

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