Toulouse cherche sa gauche

Malgré l’absence d’union chez les antilibéraux, les élections municipales suscitent beaucoup d’espoir chez les militants de gauche, après trente-sept ans de mandats à droite.

Yoran Jolivet  • 28 février 2008 abonné·es

«Un torrent de cailloux roule dans ton accent/Ta violence bouillonne jusque dans tes violettes/On se traite de con à peine qu’on se traite/Il y a de l’orage dans l’air et pourtant… », chantait Claude Nougaro dans son hymne à la ville rose, « ` Toulouse ». Et pourtant… le début de la campagne toulousaine a été plutôt calme entre les deux favoris, avec un climat plus tendu à l’extrême gauche. Le socialiste Pierre Cohen et le maire de droite sortant, Jean-Luc Moudenc, ont avancé jusque-là sans trop se découvrir, dévoilant leur liste au compte-gouttes et distillant chaque information par une pompeuse conférence de presse. Mais cette année, un véritable enjeu anime la ville. La gauche va-t-elle résoudre le paradoxe toulousain ? Les électeurs votent à gauche lors des scrutins nationaux (57 % pour Ségolène Royal au deuxième tour de la dernière présidentielle, et les huit députés du département sont socialistes), mais élisent un maire de droite depuis trente-sept ans (dont trente années de la famille Baudis, père et fils).

L’alliance PS, PCF, Verts, PRG, MRC affronte ainsi la droite réunie derrière la liste « Toulouse pour Tous », où l’on retrouve de nombreux transfuges écologistes, socialistes et centristes. Pierre Cohen est le député maire de Ramonville, banlieue sud de Toulouse, et il est parfois présenté comme le candidat par défaut du parti socialiste, depuis le désistement de Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées. Jean-Luc Moudenc revêt l’écharpe tricolore depuis le départ de Philippe Douste-Blazy au ministère de la santé en 2004. Manquant de charisme, il est présenté comme un homme de dossiers, bon gestionnaire et apôtre de la dette zéro. Fidèle à la tradition toulousaine, il se définit comme candidat centriste et il a soigneusement gommé le sigle UMP de son matériel de campagne tout en ayant reçu l’investiture du parti.

À gauche du PS, ils étaient nombreux à souhaiter un projet commun, mais quatre listes ont finalement fleuri sur les berges de la Garonne. On compte désormais un candidat pour le Parti des travailleurs, une candidate Lutte ouvrière, mais surtout « l’Autre liste », emmenée par François Simon, et la liste « Debout ! », dont la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), les Motivé-e-s et l’Appel unitaire antilibéral sont signataires.

À la recherche d’une union des forces antilibérales, plusieurs tentatives de rapprochement ont échoué, dont la plus notoire a été celle des collectifs unitaires antilibéraux issus du « non » au Traité constitutionnel européen (TCE). L’Appel unitaire antilibéral a été lancé fin octobre pour organiser des rencontres avec les différents mouvements durant l’automne. Le PCF a rapidement choisi l’alliance avec la liste de Pierre Cohen, « pour tout mettre en oeuvre afin que la gauche gagne et fasse un bon score dès le premier tour », explique Pierre Lacaze, secrétaire départemental du PCF. Les discussions se sont alors engagées avec François Simon, d’Alternatives Midi Pyrénées (AMP), tête de liste pour le parti socialiste aux dernières municipales [^2], et la LCR. Ils butent rapidement sur deux points d’achoppement majeurs : aucun accord ne semble possible sur la tête de liste, et il y a incompatibilité des positions quant à une cogestion municipale avec le PS.

François Simon défend une alliance pour le deuxième tour et une prise de responsabilités dans la gestion municipale. Il avance : « On veut créer un véritable rapport de force pour changer les équilibres à gauche, sinon c’est se cantonner à vie dans une situation de non-reconstruction. » La Ligue refuse pour sa part de discuter avec le PS avant le premier tour. Si elle dépasse les 5 %, elle optera pour une fusion purement technique. « La réalité du pouvoir vous rattrape très vite, et mieux vaut rester indépendant » , argumente Myriam Martin (LCR), tête de liste « Debout ! ».

Cette situation n’a pas arrangé l’unité antilibérale prônée par les collectifs toulousains, déjà bien mise à mal par les dernières élections présidentielle et législatives. Finalement, l’Appel unitaire antilibéral, devenu autonome des collectifs, a rejoint la liste « Debout ! » avec un consensus très fragile, certains militants n’hésitant pas à dénoncer une Ligue « arrogante et hégémonique ».

Autre aspect de cette désunion, la position des Motivé-e-s. Ce mouvement citoyen local avait créé la surprise en atteignant le deuxième tour des municipales de 2001. Cette année, ils se sont longtemps interrogés avant de se décider : « Est-ce une bonne idée de présenter une liste de plus à gauche alors qu’on s’est donné comme priorité le travail dans les quartiers ? Et surtout, est-ce qu’on a le jus ? », demande Salah Amokrane, porte-parole de la liste « Debout ! » et ancienne tête de liste Motivé-e-s. Leur assemblée générale a finalement décidé de soutenir la liste « Debout ! » début janvier. Mais l’étiquette Motivé-e-s est attrayante, avec les 12,4 % obtenus au premier tour en 2001. François Simon et Pierre Cohen revendiquent aussi la présence d’ex Motivé-e-s sur leurs listes. Le chanteur Magyd Cherfi figure ainsi sur la liste du PS. « J’en ai marre de la religion du premier tour, et j’ai décidé de refermer le grand livre des griefs contre le PS le temps d’une élection municipale, explique-t-il *. J’ai envie d’une victoire de gauche là et tout de suite. »*

Sur le terrain, les caravanes de la gauche sillonnent la ville et ses quartiers populaires sans jamais se croiser. Sous tente ou à vélo, on s’évite soigneusement, du marché de Bagatelle aux barres d’Empalot, de la place du Capitole aux ruelles de Saint-Cyprien. Pourtant, après un examen des programmes de campagne, les similitudes frappent plus que les points de divergence. L’urgence écologique et sociale, la lutte contre les discriminations, une nouvelle politique culturelle, des transports en commun gratuits et une nouvelle forme de démocratie participative sont les thématiques abordées par les deux listes. Elles abordent ces sujets de manière transversale et promeuvent avant tout un désenclavement des quartiers populaires, qui ont pâti de la longue gestion de la droite. Car si l’on gratte un peu la brique du centre-ville, on aperçoit rapidement les parpaings du Mirail et les cages d’escaliers lugubres de La Reynerie. Alors que le Grand Projet de ville traîne en longueur, les inégalités s’accroissent entre les deux rives de la Garonne, le centre-ville étant maintenant sous surveillance vidéo avec une police municipale armée.

Les similitudes des programmes ne surprennent pas les militants des listes « Debout ! » et de « l’Autre liste », chacun accusant l’autre de pirater ses propositions. « Le climat est assez lourd », confie ainsi une militante des collectifs. Mais s’il y a de l’orage dans l’air à gauche du PS, la tension monte également avec la droite, le dernier sondage pronostiquant un deuxième tour très serré
[^3]. Alors, si certains militants rêvent de voir leur ville en rouge et noir ou en rose foncé, tous sont unanimes pour qu’elle retrouve pour le moins sa couleur rose le 16 mars.

[^2]: François Simon perd le deuxième tour des Municipales de 2001 contre Philippe Douste-Blazy avec 44,87% des voix. Il a par la suite quitté le parti socialiste en 2004.

[^3]: Sondage Ipsos du 18février, réalisé auprès de 602 personnes. Il donne Pierre Cohen devant Jean-Luc Moudenc au deuxième tour avec 51% de voix. Il crédite également de 4 et 6% la liste «Debout!» de Myriam Martin et «l’Autre liste» de François Simon.

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