Les indignations sélectives

La récente campagne médiatique en faveur du Tibet a sans doute eu le mérite d’attirer l’attention de l’opinion sur cette région opprimée. Mais elle soulève aussi des questions sur nos engouements et nos oublis. Un dossier à lire dans notre rubrique **Monde** .

Denis Sieffert  • 17 avril 2008 abonné·es
Les indignations sélectives

Pourquoi maintenant ? Pourquoi le Tibet ? Ce sont deux questions que l’on est en droit de se poser quelques jours après les manifestations orchestrées par Reporters sans frontières (RSF) en faveur du Tibet. Pourquoi maintenant, alors que c’est évidemment au moment de l’attribution des Jeux olympiques à Pékin, en 2001, que les moyens de pression auraient été les plus efficaces ? Pourquoi le Tibet, alors que les minorités opprimées ne manquent pas dans le monde? On connaît les Tchétchènes, massacrés par les troupes de Vladimir Poutine, mais il faudrait encore parler, dans cette région du monde, des Ossètes du Sud, dont l’autonomie a été abolie par le Parlement géorgien, en 1990, et qui n’ont pas depuis recouvré leurs droits. Il faudrait parler des Ingouches ou des Abkhazes de Georgie, et des Karens de Birmanie, et des Mongs du Laos, et des Tamouls du Sri Lanka, et, plus près de nous, des Sahraouis, dont les revendications d’émancipation par rapport au royaume du Maroc ne sont guère soutenues. Et de tant d’autres minorités opprimées à travers le monde, à commencer en Chine même, comme le rappelle Éric Drouot. Il faudrait surtout parler de nous autres, Occidentaux. Des dizaines de milliers de sans-papiers que notre pays donneur de leçons chasse sans trop se soucier de ce qui adviendra ensuite de leur vie ou de celle de leurs enfants.

Illustration - Les indignations sélectives


Manifestation de moines tibétains en exil à Bombay, en Inde, le 10 avril, contre le pouvoir chinois. MUKHERJEE/AFP

Bien entendu, que l’indignation soit sélective ne délégitime pas la cause du peuple tibétain. Et, bien entendu aussi, le combat idéal qui prendrait soudain en charge toutes les causes justes à travers le monde n’existe pas, et sans doute il ne peut exister. Ce n’est donc pas tant la « sélection » qui choque ­ si au moins elle était arbitraire ! ­ que ses critères, trop évidents. Il y a un « côté du manche ». Rony Brauman le rappelle avec force dans ce dossier (voir ci-contre): au cours des mêmes journées où le régime chinois tuait plus de cent Tibétains, Israël tuait cent vingt personnes à Gaza. Pour Pékin, il s’agissait de « voyous appartenant à la clique du Dalaï-lama » ; pour Israël, de « terroristes » , parfois en très bas âge. Nous ne demandons pas que les organisations qui ont le sens de l’opportunité médiatique abandonnent le Tibet, mais que leur indignation s’exerce aussi quand les oppresseurs occupent l’Irak, ou colonisent la Palestine, ou massacrent les Tchétchènes, ou mènent une véritable guerre inhumaine aux immigrés [^2]. Ce que nous dénonçons, c’est une utilisation des « droits de l’homme » à géométrie variable, et qui emprunte dangereusement les lignes de fracture dessinées par les adeptes du « choc des civilisations ».

[^2]: La LDH, la FIDH ou le Mrap ont cette approche équitable.

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