Soleil levant

Bernard Langlois  • 17 avril 2008 abonné·es

On s’en doutait un peu, notez : les voyages de nos Excellences dans les contrées lointaines relèvent du domaine des loisirs organisés, aux frais de la Princesse (laquelle est plus que jamais, nonobstant ses jambes de reine, en sabots et jupon mité…). Si tel n’était pas le cas, Mme Kosciusko-Morizet serait présentement au Japon (du moins sur le retour), en compagnie du Premier ministre et de quelques autres collègues.

On nous a en effet dûment fait savoir que la secrétaire d’État à l’Écologie était punie. Privée de visite au pays du Soleil levant pour cause de propos un peu raides.

Il faut dire que la belle incandescente, dans une déclaration au Monde , flinguait d’une même rafale son ministre de tutelle et le président du groupe parlementaire de l’UMP, accusés de se livrer à « un concours de lâcheté et d’inélégance » , excusez du peu. « On en a marre, ont chougné en substance dans les girons supérieurs les députés majoritaires *, déjà qu’Attali nous traite d’imbéciles, voilà une sous-ministre, vice-présidente du parti qui plus est, qui nous traîne dans la boue. Ça suffat comme ci ! »* (C’est vrai, quoi, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.) L’impudente a donc dû présenter ses plus plates excuses ; mais l’adjudant de quartier n’a rien voulu entendre : « Z’irez en permission sur mes bottes ; et estimez-vous heureuse que je ne vous vire pas de mon gouvernement, rompez ! »

Après quoi, avec Pénélope mais sans Nathalie, François Fillon s’en fut au pays des sumos, histoire de vérifier s’ils sont aussi adipeux et graisseux que le prétend son « collaborateur » . Le p’tit gars de l’Élysée.

LE ROI PÉTAUD

Lequel p’tit gars, comme chacun a pu le constater, s’est acheté une conduite. On dit qu’il doit son comportement nouveau, plus conforme à la fonction, à l’influence d’une épouse bien élevée. Ça durera ce que ça durera.

Cette retenue toute nouvelle et si peu conforme à son caractère de m’as-tu-vu (il n’est même pas venu faire la roue à la télé après la conclusion heureuse de l’affaire du piratage du Ponant , c’est dire [[Bien plus malin: faire valoriser son rôle dans un article cire-pompes: « […] Une réunion quotidienne a lieu autour du président. Elle réunit le secrétaire général Claude Guéant, l’amiral Guillaud, chef d’état-major particulier, le conseiller diplomatique Jean-David Lévitte, le chef d’État-major des armées, les ministères concernés, Défense, Affaires étrangères surtout. Ses proches disent retrouver en Nicolas Sarkozy l’ancien ministre de l’Intérieur, « dopé » par la crise, au jugement et la décision rapides. « Laissez-moi faire, j’ai l’habitude… », lance-t-il aux familles des otages qu’il reçoit. « Le président de la République, chef des armées, ce n’était pas qu’une vision des choses », confiera Jean-David Lévitte.»

Si c’est Le Figaro qui le dit, hein!]] !) lui a permis de reprendre un point ou deux dans les sondages ­ qui restent toutefois nettement négatifs ; mais il est peut-être déjà trop tard pour redonner du lustre à un règne qui s’effiloche, moins d’un an après avoir commencé. Est-ce l’incohérence de la politique suivie (c’est flagrant sur cette affaire d’OGM, avec des élus de la majorité sous influence des semenciers et en parfaite contradiction avec le Grenelle de l’environnement), l’absence dramatique de résultats sur l’engagement majeur du candidat Sarkozy (la hausse du pouvoir d’achat), la montée d’une contestation qui jette lycéens et profs dans la rue, mais aussi bien d’autres (jusqu’aux handicapés !), vent debout contre une rigueur qui se refuse à dire son nom (ou plutôt : qu’on refuse de nommer) ? Le tout dans un climat de crise financière, économique et maintenant alimentaire aux dimensions planétaires ­ et dont il est clair que ce n’est pas ce pouvoir à la fois débile, autoritaire et foncièrement antisocial qui pourra en épargner les dégâts au pays : toujours est-il que la plus grande confusion, les embrouilles, les querelles, les malentendus se sont installés au coeur de l’équipe gouvernante (supposée telle), et d’abord entre un Président et un Premier ministre dont on dit qu’ils ne peuvent plus se voir en peinture. D’ici quelques jours, le président plouf-plouf va tenter de reprendre la main dans un grand show télévisé, qui veut faire oublier la lamentable conférence de presse du début janvier.

On doute qu’il y parvienne, tant il a déjà des allures de roi Pétaud.

MAUVAISE MINE

Et en cette pétaudière qu’est la Cour devenue, ce sont amis que vent emporte. L’amour est morte, pauvre Rutebeuf ! Reste la haine vigilante, la concurrence exacerbée. Et chapeaux que l’on mange en couronne, un coup Rama, un autre Kouchner !

Beaux ministres d’ouverture, comme vous avez mauvaise mine, si vite, si tôt ! Vous, le maire de Mulhouse, qui, fort des assurances présidentielles, partîtes en guerre contre ces rois nègres qui prospèrent en Françafrique : comme ils ont vite eu raison de vous, ami Bockel. On ne vous reproche pas tant d’avoir cédé (le moyen de faire autrement, quand le chef vous lâche ? Et avant vous, sous François le roué, Jean-Pierre Cot avait tenu à peine plus de temps, qui s’en souvient ?), mais d’avoir, sans gloire, accepté cet autre portefeuille qui gère breloques et pensions de guerre, et de vous en déclarer ravi en plus, hypocrite ! Et vous, Fadela, déjà disparue dans le triangle des Bermudes d’une impossible politique des quartiers ! J’oublie le traître emblématique, le fringant Besson, on ne sait même pas à quoi il sert. Et que dire de Kouchner, ci-devant héraut des droits de l’homme et promoteur de l’ingérence, qui déguste chaque matin, avec des baguettes, son bol de couleuvres ? Encore a-t-il, lui, la satisfaction d’accompagner une dérive atlantique qui lui va bien au teint. Quant à ce bon M. Hirsch, qui voit raboter son RSA chaque jour un peu plus, et dont on rappelle qu’il estimait le coût de sa réforme à 3 milliards, menaçant de démissionner si on les lui mégotait… Laissons-lui encore un peu de temps, puisque les choses ne sont pas tranchées, mais ne trouvez-vous pas qu’il a de plus en plus une tête d’alibi ?

En fin de semaine, fut atteint le comble de la confusion et battu le record du rétropédalage lorsqu’il fut question de supprimer les cartes de réduction familles nombreuses : devant la mobilisation des associations familiales et la stupéfaction furieuse des procréateurs, tous électorats confondus, on oublia vite cette brillante idée ; mieux : on ouvrit même l’accès à la ristourne dès le deuxième enfant !

Merci qui ? Merci, ô grand Président, lucide et cohérent. Va falloir maintenant revoir l’histoire des lunettes…

LE MIRACLE DU SILENCE

Pour finir sur une note optimiste, histoire de ne pas désespérer de l’espèce humaine, je vous recommande une histoire vraie. Une histoire de gens bien, pour changer.

Je connaissais le rôle exemplaire de la communauté protestante du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) dans la protection des enfants juifs sous l’Occupation. J’ignorais l’action tout aussi digne d’admiration des habitants de Dieulefit, gros bourg de la Drôme, qui vit en quatre ans sa population doubler (de 2 500 à 5 000 habitants) à la barbe des nazis, « les équarrisseurs » , comme les nomme Anne Vallaeys, qui raconte cette belle histoire [^2] avec minutie et talent. Là aussi, une forte communauté protestante, comme si la répression féroce dont souffrirent les parpaillots après la révocation de l’Édit avait inscrit l’esprit de résistance dans les gênes de leurs descendants (et c’est sûrement le cas). Quelques personnalités hors du commun, autour d’une maîtresse femme, Marguerite Soubeyran, qui fut l’âme (pas désincarnée, on le découvrira…) de cette désobéissance salvatrice aux ordres de Vichy et de ses maîtres. Beaucoup de jeunes juifs sauvés, mais pas que des juifs : Dieulefit fut aussi l’Arche de Noé de dizaines d’intellectuels, de réfractaires, insoumis, fuyards en tous genres. Parmi eux, Henri-Pierre Rocher, l’auteur (et surtout le protagoniste, avec Franz Hessel, le père de Stéphane) de Jules et Jim ; Pierre Emmanuel, poète et futur académicien, entraîné là par son ami Pierre-Jean Jouve ; l’homme d’ Esprit , Emmanuel Mounier ; ou encore le tout jeune écrivain, cher à l’ami Garcin, Jean Prévost (qui sera fauché au Vercors) réfugié avec sa compagne Marcelle Auclair (la fondatrice de Marie-Claire ), et plein d’autres, adultes déjà célèbres (Aragon et Elsa firent de brefs séjours) ou gamins qui le deviendront (comme Pierre Vidal-Naquet ou Pierre Anselme), parce que des gens courageux, des Justes, ont su, au péril de leur vie, leur ménager un avenir.

Tel fut ce « miracle du silence » de toute une petite ville, qui n’ignorait rien et ne soufflait mot de ce qui se tramait en ses murs, chez les « demoiselles » de la colline ; et où Jeanne, l’humble secrétaire de mairie, se coltinait les faux papiers en série pendant que le maire ­ un colonel, pourtant nommé par Vichy ­ regardait ailleurs !

Oui, une belle histoire vraiment, et qui nous est, merci Anne, fort bien contée.

[^2]: Dieulefit ou le miracle du silence, Anne Vallaeys, Fayard, 248p., 19 euros.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 8 minutes