« À toutes fins utiles…»

Olivier Doubre  • 3 juillet 2008 abonné·es

Il est sans doute une part non négligeable du travail du sociologue qui consiste à s’intéresser aux moments de la vie quotidienne, événements ou traces écrites, considérés a priori comme les plus insignifiants. Dans la lignée de travaux d’historiens ou de sociologues tels Philippe Artières, Arlette Farge, Numa Murard, Claudine Dardy ou Didier Fassin (dont bon nombre ont d’ailleurs travaillé avec lui), le sociologue Jean-François Laé, professeur à l’université Paris-VIII, a choisi de se plonger dans la masse de ces écrits de travail, par nature éphémères et strictement internes à la structure où ils sont produits, regroupés dans des cahiers accessibles à tous les membres d’un service, que l’on nomme généralement la « main courante » . Bien connue dans les commissariats mais existant très souvent ailleurs, celle-ci est un véritable « réservoir de gestes et d’expériences qui requiert une écriture courante, rapide, automatique, de précision et d’humeur parfois » , où sont consignés scrupuleusement tous les événements, horaires, lieux, dates, identités et autres informations, des plus basiques aux plus importantes.

Des textes par nature non communicables. Le sociologue, lui-même ancien travailleur social, a parfois dû user de stratagèmes pour parvenir à consulter « ces informations au plus bas de l’échelle des documents » , rédigés par un gardien d’immeubles HLM, dans un centre d’hébergement pour personnes à la rue, un service d’alcoologie, un lieu de vie pour handicapés, une maternité… Si « ceux qui tiennent la plume la plongent dans l’intimité d’autrui » , leurs écrits ont plusieurs fonctions et objectifs : de la « prudence » qui veut que l’on consigne, « à toutes fins utiles » , les actes effectués, jusqu’au « contrôle » du travail (bien fait ou non). Réalisant là un superbe travail, à mi-chemin entre ethnographie et sociologie, Jean-François Laé interroge par ce biais le « quotidien d’une poignée de métiers » , révélant en particulier l’engagement intense – au fil d’actes anodins au premier abord, mais en fait souvent lourds de conséquences – de ces travailleurs sociaux confrontés à la détresse humaine au sein de nos sociétés. À travers la lecture de ces feuilles de papier lourdement « lestées de réel » , le sociologue redonne à leurs tâches toute la noblesse qu’elles méritent.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…


Franco : une récupération aux mille visages
Extrême droite 20 novembre 2025 abonné·es


Franco : une récupération aux mille visages

Quarante ans de dictature franquiste ont imprimé en profondeur la société espagnole. Son empreinte, décryptée par l’historien Stéphane Michonneau, pèse aujourd’hui sur le débat politique, en y insufflant les relents nauséabonds du fascisme. Même si le franquisme est maintenant poursuivi par la loi.


Par Olivier Doubre
Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »
Entretien 18 novembre 2025 abonné·es

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »

Alors que le gouvernement échappe à un vote budgétaire et que le PS choisit la négociation, le leader insoumis dénonce une « comédie démocratique » et acte la rupture avec les socialistes. Sa stratégie : refonder une gauche de rupture, préparer les municipales en autonomisant La France insoumise et affronter les grands débats sur l’immigration, le syndicalisme, l’Ukraine, la Chine et le Proche-Orient.
Par Lucas Sarafian, Pauline Migevant et Pierre Jequier-Zalc
Les pédés sont des sorcières comme les autres
Essai 14 novembre 2025 abonné·es

Les pédés sont des sorcières comme les autres

Dans un essai visionnaire initialement publié en 1978, l’auteur et militant gay Arthur Evans dresse des ponts entre la culture des sorcières et le destin des communautés LGBT à travers les âges. Une histoire rythmée par les dominations sexistes, homophobes, racistes et écocidaires.
Par Salomé Dionisi
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre