« Donner au consommateur des éléments de choix »

Le réseau de commerce équitable FLO International, dont est membre Max Havelaar France, s’est livré durant un an à une analyse de son action. Christophe Alliot, coordinateur de ce chantier, en livre les premiers résultats.

Philippe Chibani-Jacquot  • 3 juillet 2008 abonné·es

Qu’est-il sorti de cette année de réflexion menée au sein de FLO International [^2]
?

Christophe Alliot : Plus qu’un document stratégique, il en sort une charte des fondamentaux qui nous servira de guide d’action et d’outil d’évaluation de nos objectifs. Cette charte répond aux questions : pour qui est-on là, pour apporter quoi, sous quelle forme, avec quels engagements et quels espoirs d’aller plus loin ? C’est important, car ce qui a fait le succès du système FLO, c’est son pragmatisme. Mais, avec la forte croissance des années 2005 et 2006, les choses sont allées beaucoup plus vite que prévu. Face à cette croissance tous azimuts (nombre de produits, de producteurs, demande du consommateur, de l’opinion publique), il fallait construire le bateau adapté à ce nouveau contexte.

FLO International est-il allé trop loin et trop vite ?

Nous avons avancé de manière irréfléchie sur un certain nombre de sujets. Notamment sur la question de l’entrée des gros acteurs économiques dans le système, et de la concurrence avec les petits [^3]. Il n’y a pas eu de réflexion sur ce qu’est une saine concurrence. Mais je ne dirais pas que nous sommes allés trop loin car nous n’avons pas commis d’acte irréversible. On s’est rendu compte qu’on ne peut pas être dans le système FLO et en rester à : « Tant que les gens ont un peu plus d’argent, ils sont un peu plus heureux, et c’est bien. » Cela peut conduire à des dérives de charité.
Des problèmes mis en évidence par le commerce équitable dans le système commercial conventionnel sont devenus un problème interne en 2005 et 2006, lorsque nous avons joué dans la cour des grands. Par exemple, une tendance est de créer des chaînes de dépendance et de faire en sorte qu’une coopérative de producteurs vende à un seul ou deux acheteurs. Tant qu’on est entre gentils on se dit que la dépendance est rééquilibrée par un partenariat fort et de confiance. Mais, à un moment donné, il faut arrêter de faire de l’idéologie là-dessus. Ce qu’on observe, c’est qu’il faut une liberté de choix pour le producteur.

Allez-vous faire du tri parmi les entreprises qui utilisent votre marque ?

Nous veillerons à avoir une diversité de solutions, sans pour autant admettre qu’il y ait des loups dans la bergerie qui dévorent les autres, sous prétexte qu’ils sont plus gros. Si une entreprise veut entrer dans le système, elle doit justifier d’un projet, discuté ensemble. Ce qui permet la discussion relève bien du contractuel. Mais la solution n’est ni de laisser entrer tout le monde, ni d’être tellement sélectif qu’on se prend pour la reine qui décide d’intégrer ceux qu’elle aime bien. Ce serait recréer un système de dépendance. On est là pour offrir un choix dans lequel les opportunistes n’ont pas leur place.


Allez-vous sortir d’un marketing qui vous faisait vendre du commerce équitable ?

Nous ne voulons pas d’un système qui se résume à mettre un sticker sur un produit et à ne pas savoir qui est le producteur derrière. Cela ne veut pas dire qu’on ne fera plus de marketing, mais l’enjeu n’est pas tant de donner plus d’informations que de connecter le consommateur au producteur, et réciproquement. Il faut donner au consommateur les éléments du choix. Par exemple, la question du réchauffement climatique s’est posée à propos de la filière des fleurs coupées équitables venant du Kenya. L’enjeu de la filière n’était absolument pas de vendre un « petit producteur » à travers les roses, mais de prendre conscience que deux tiers des roses vendues aujourd’hui viennent du Sud. Une rose certifiée commerce équitable vous permet de savoir qu’elle ne vient pas d’Europe, et qui l’a cultivée. Et, en améliorant la transparence, vous saurez ce qui se passe là où est le producteur. Après, c’est à vous de vous poser la question : est-ce bon d’acheter ces fleurs ? Il faut plus de transparence et non un modèle consumériste qui dit : « Achetez ces roses, c’est bien pour eux. »


Vous parlez liberté de choix, transparence, mais on a du mal à comprendre l’intention profonde de ce travail…

Il ne s’agit pas de laisser tomber les opérateurs qui n’ont rien à faire dans le système. Mais si nous sommes clairs sur les fondamentaux, les gens qui étaient là pour d’autres raisons s’en iront. Qu’ils soient producteurs, importateurs, à n’importe quel niveau. Quoi qu’il arrive, tout le travail qu’on a fait nous oblige à être excessivement clairs, mais pas à faire le choix à la place des gens. À terme, je pense que certains consommateurs diront : « Finalement, FLO ce n’est pas mon truc. » Et si on avait des consommateurs pour qui FLO représentait un système alternatif, parallèle au marché, ils sauront que c’est ailleurs qu’ils doivent trouver cette solution.

[^2]: FLO International regroupe les réseaux continentaux de producteurs et les associations nationales de commerce équitable, notamment Max Havelaar France. Cette organisation a décidé au cours de son assemblée générale de décembre 2006 de mener une action destinée à établir sa stratégie pour les années à venir.

[^3]: Voir « Une garantie discutable », Politis n° 986.

Temps de lecture : 5 minutes